[laerte] - JM Bérard - 20 mai 2015

Sommaire

Bribes

Logique 

Numérique à l'école

Système économique libéral

Un film

Collège

Une réforme porteuse d'avenir

Le fond du problème : l'idée fausse mais couramment admise que les « pauvres » ne sont pas faits pour les études

Les contenus

La solution !

À propos de [alerte]

Le nuage de [alerte]

Fonctionnement de la lettre [alerte]

Fin



Bribes

Logique 

Que penser de la phrase « toute généralisation est abusive » ?

Numérique à l'école

J'ai dans le numéro précédent de [alerte] exprimé des réserves sur le plan numérique pour l'école présenté par F. Hollande : le numérique ne peut être, par sa seule existence, la solution miracle à tous les problèmes du système éducatif si l'on ne se demande pas quoi en faire. L'une de vous confirme : « l'humain est la chance et l'avenir du numérique, non l'inverse. »

Système économique libéral

Le libre fonctionnement du marché est le fondement théorique du système économique libéral. À bas les contraintes sur le marché du travail, sur les règles de licenciements, sur les horaires, sur les salaires, il faut laisser le système se réguler par lui-même. À bas les contraintes sur les prix, c'est au marché de former les prix. C'est ce que l'on appelle la théorie du renard libre dans le poulailler libre... Les tenants du système libéral nous expliquent que la libre concurrence profitera in fine (vous avez vu, c'est du latin) aux consommateurs. Bon, j'ai un peu voyagé ces jours-ci dans des hôtels bas de gamme ou moyenne gamme. Et j'ai constaté que les hôtels Formule 1, Kyriad et Campanile appartiennent tous au même groupe financier Louvre hôtels. De même que les hôtels plus luxueux Tulip Inn, Golden Tulip et Royal Tulip. Voici un bel exemple de libre concurrence : si vous voyagez dans les hôtels basse ou moyenne gamme, vous avez la liberté de loger chez Louvre hôtels. En choisissant Kyriad plutôt que Campanile vous pensez faire jouer la concurrence, alors que vous vous pliez sans le savoir à la segmentation du marché imposé par Louvre Hotels.

Un film

Le film « La loi du marché » vient de sortir. J'ai été très convaincu par les prestations de l'acteur Vincent Lindon sur les plateaux de télé et à la radio et par les articles dans les journaux. Je vais voir le film dès que possible.

Collège

Une réforme porteuse d'avenir

Je suis révolté, écœuré par la violence et la mauvaise foi des réactions contre la réforme du collège proposée par le président Hollande et le gouvernement.

La réforme proposée est-elle bonne ? Oui, globalement elle présente des avancées courageuses et pertinentes. Aucune réforme n'est parfaite, toute réforme sera contestée ici ou là, je pourrais peut-être en d'autres circonstances me joindre aux critiques, par exemple en ce qui concerne l'évaluation. Mais globalement je trouve la réforme bonne. Alors pourquoi la hargne, la haine, les mensonges de ceux qui sont montés au créneau sur les plateaux télé pour discréditer cette réforme ?

Et pourquoi l'immobilisme permanent du syndicat conservateur Snes, qui mobilise aujourd'hui 19 mai 2015 sur ses crispations habituelles : non à l'interdisciplinarité qui veut conduire les profs de disciplines différentes à travailler ensemble. Ah, les disciplines ! À l'Université, les domaines d'enseignement et de recherche sont structurés en disciplines. On ne voit pas pourquoi ce qui fonctionne dans la recherche et à l'Université ne serait pas bon au collège ! Les tenants de cette thèse ont l'air d'oublier que, de nos jours, même à l'Université, les domaines scientifiques doivent faire appel les uns aux autres. Il serait donc, pour certains, absurde de considérer que la langue française que l'on emploie dans les cours de français est la même que celle employée dans les autres disciplines et qu'un professeur d'histoire, de physique, de SVT, de technologie et un professeur de français pourraient travailler ensemble sur un projet interdisciplinaire concernant le thèmes « sciences et société » ! Ce serait contraire au respect des sacro-saintes disciplines ! Chacun chez soi et les disciplines seront bien gardées ! En Allemagne tous les professeurs enseignent deux disciplines. Je suppose que cela explique la décadence de la littérature et du cinéma allemands, l'effondrement de l'économie allemande ?

Le fond du problème : l'idée fausse mais couramment admise que les « pauvres » ne sont pas faits pour les études

Vous connaissez la question, j'en ai parlé souvent, je vais donc pour ce paragraphe me contenter d'une rédaction d'humeur un peu à l'emporte-pièce. Étant entendu que je peux justifier tout ce que j'écris.

De tous les pays de l'Ocde la France est celui où les inégalités culturelles (dont on peut prouver qu'elles sont essentiellement d'origine sociale) s'aggravent le plus au cours de la scolarité. Quelle école ! Notre système est incapable de remédier aux inégalités, au contraire il les laisse s'aggraver. Chaque année 140 000 élèves sur les 750 000 d'une classe d'âge quittent l'école sans aucune formation.

Sur les plateaux de télévision on a crié au génocide culturel, à l'assassinat de la république devant les projets de réforme du collège. Ceux-ci ont au moins le grand mérite de tenter de proposer des dispositifs pour essayer de corriger cet inégalitarisme. Mais ce qui inquiète les vociféreurs de la télé ce n'est pas la masse des jeunes qui sortent sans formation. Là est pourtant le vrai génocide culturel. Ce qui les panique est que les élèves les plus favorisés risquent d'être un peu moins favorisés. Ce n'est pas exact, c'est ce qu'ils reprochent dans leurs fantasmes à un gouvernement « socialiste » forcément partisan de la médiocrité et hostile à l'élite. Mais ils n'ont pas un mot pour dire « Nous n'approuvons pas la réforme parce qu'elle ne corrige pas assez les inégalités. Il faut aller plus loin.» Ce n'est pas leur problème.

Il y a à cela bien des raisons. L'une d'elles est cette remarque apparemment de bon sens : nous ne sommes pas tous égaux devant l'intelligence, il est normal que certains aillent en lycée professionnel passer un CAP (c'est l'intelligence de la main, expression dont l'élégance cache le mépris) alors que d'autres vont à l'ENA. Ce qui est révoltant est que tous, peu ou prou, nous avons intégré et admis ce « raisonnement ». Comment se fait-il que comme par fatalité les échecs scolaires tombent justement sur les enfants des milieux défavorisés ? L'intelligence serait-elle héréditaire ? Ou, alors que nous ne voulons pas nous l'avouer, n'est-ce pas le système scolaire qui est mal conçu et qui, nolens volens (c'est du latin !) aggrave la sélection sociale ?

Je suis toujours très déçu de constater que ce fatalisme social (les études longues ne sont pas pour les enfants de milieux modestes) est très répandu dans les milieux modestes. Le bourrage de crâne, les préjugés historiques fonctionnent : on a aussi convaincu les « pauvres » que la culture n'est pas pour eux, et ils l'ont cru.

Ce qui est au fond particulièrement méprisable dans tous les hurlements sauvages que nous avons entendus concernant la réforme est que tous disaient « on vise à la médiocrité, on vise à détruire l'élite » et que aucun ne se demandait « comment rendre le collège moins injuste ? »

Les dispositifs projetés vont-ils rendre le collège moins injuste ? Difficile à dire avant d'avoir essayé. Je suis content en tout cas de me trouver en partisan de la réforme aux cotés de personnes comme Baudelot, AM Chartier, Establet, Dubet, A. Prost, JP Obin, JP Delahaye. Il est tout de même plus honnête de dire « le collège ne marche pas, essayons d'améliorer les choses » plutôt que de hurler ou de défiler en criant « ne changeons rien à ce qui ne marche pas ».

Les contenus

Bien que cela ne me passionne pas dans cet article-ci, je vais dire un mot des contenus. Les vociféreurs se sont focalisés sur une réduction-suppression de l'enseignement du latin, qui permet de comprendre les sources de notre langue et de notre civilisation. Il est vrai que le latin (qui concerne 20% des élèves) est un magnifique outil pour renforcer la sélection sociale. (Attention : cela ne veut pas dire qu'il faut le supprimer, mais cela explique la force des glapissements.) Les enfants de pauvres ne vont pas spontanément dans des classes où l'on fait du latin, du grec et de l'allemand. Au moins là on est tranquilles, entre soi. Lorsque j'étais élève du grand lycée d'élite lyonnais (qui comportait aussi un collège) j'ai évidemment fait du latin (je ne crois pas qu'il y avait de sections où l'on n'en faisait pas) et de l'allemand. En y réfléchissant, je pense qu'il faut de temps en temps (tous les cinquante ans?) se poser un peu et réfléchir : qu'est-ce qui de nos jours fait partie d'une culture générale que l'on doit acquérir ? Le président vient de décider que l'informatique doit faire partie de cette culture générale. Personnellement, je suis atterré par le bas niveau de culture générale scientifique d'une grande partie des français. Ne devrait-on pas aussi faire de la philo beaucoup plus tôt ? Et puis je serais assez tenté d'enseigner le chinois dès l'école primaire. Pas du tout parce qu'il y a de vastes marchés, mais parce que la pensée chinoise s'applique à des concepts qui nous sont radicalement étrangers. Il faut apprendre à penser un autre monde. Et dans une graphie totalement différente. Alors le latin ? Pourquoi pas, mais à condition de tout mettre bien à plat, et de se dire : pourquoi enseigner ceci plutôt que cela. C'est en principe le rôle du conseil des programmes.

Un petit mot sur le latin (pas un mot vengeur, j'étais bien sur un excellent élève.) La grammaire latine permet de bien maîtriser certains principes logiques fondamentaux. Oui, c'est vrai,mais l'informatique aussi. Quant-à la connaissance de nos sources historiques … J'étais dans un lycée d'élite, j'avais sans doute de très bons profs, et les choses ont sans doute changé depuis. Je ne me rappelle pas du tout avoir eu à réfléchir sur les évolutions des principes de gouvernement à Rome au fil des siècles, ni sur l'économie romaine. Je ne me rappelle pas avoir eu à réfléchir sur les rapports avec les peuples conquis, sur l'esclavage. Je ne me rappelle pas avoir eu à travailler sur les rapports entre les romains et les chrétiens. Je n'ai que fort peu (ou pas) travaillé sur la peinture et la sculpture romaines. On me dira sans doute : les choses ne sont plus comme cela, maintenant on étudie tout cela. Il est vrai qu'il y avait un plaisir à dire des vers latins avec leur scansion si particulière. Mais n'aurais-je pas apprécié les heureux paysans de Virgile dans une traduction française ? Ne m'a-t-il pas fallu attendre une exposition toute récente à la Villette pour découvrir les richesses de la civilisation gauloise ? Alors, le latin, pourquoi pas, mais n'en faisons pas un miracle.

La solution !

Au début du XXème siècle, seuls 10% des élèves (des garçons) entraient au lycée et passaient un bac classique. Ce n'est qu'en 1924 que les filles ont eu le droit de passer le bac. Ce modèle est resté dans l'esprit de chacun. En 1975 sous Giscard d'Estaing (pourtant de droite) René Haby instaure le collège unique : plus d'examen d'entrée en 6ème, le même collège pour tous. Dans les esprits, cette réforme n'est toujours pas admise. Dans les débats récents, l'UMP Bruno Lemaire propose de revenir à un tri dès le sortir du CM. On renoncerait donc à essayer de faire fonctionner le collège de façon plus égalitaire, on se contenterait de trier dès le départ. Fastoche. Et cela serait sans doute bien admis par l'opinion.

Deux problèmes :

- on retomberait sur l'injustice fondamentale qui consiste à considérer comme normal que les pauvres ne sont pas faits pour des études longues ;

- on oublie que le collège unique n'étais pas seulement une lubie égalitariste de Giscard. Nous ne sommes plus à l'époque du certif, le pays a besoin de travailleurs qui aient un bon niveau d'études. Certains articles de journaux laissent penser que la production industrielle va décliner du fait des robots. Fini Charlot qui serrait les boulons à la chaîne : notre société a besoin de personnes ayant un bon niveau d'études.

Mathématiques : le niveau baisse !

Source : Le Parisien, 17 juin 2015. Une étude de la direction de l'évaluation du ministère de l'éducation nationale montre que le niveau en math des élèves en fin de collège a baissé entre 2008 et 2014, et que l'écart entre les « bons » et les « moins bons » s’accroît. Cette étude montre aussi que les résultats les meilleurs sont obtenus dans les collèges où l'indice de position sociale est le plus élevé. La directrice de l'évaluation conclut « Le collège sait bien faire réussir les bons élèves et les élèves favorisés mais les résultats baissent pour les autres. » On serait bien tenté d'en conclure que la ministre a bien raison de vouloir faire un collège plus égalitaire, pour la réussite de tous ! Eh bien oui, cédons à cette tentation !

L'article du journal affirme que les tests posés aux élèves portaient sur des questions simples. Personnellement je trouve que cela n'est pas si simple. Je vous laisse essayer. Répondez-vous vraiment facilement à toutes ces questions de fin de collège ?

* Marc possède 6 crayons rouges, 4 crayons verts et 5 crayons bleus. Il prend au hasard un crayon sans regarder, quelle est la probabilité pour que le crayon soit vert ?

Cochez la bonne réponse : 1/3 1/4 4/11 4/15

* Brigitte va dans une librairie. Elle y achète autant de livres que de magazines. Les magazines coûtent 2 euros chacun, les livres coûtent 6 euros chacun. Elle dépense en tout 40 euros. Combien de livres a-t-elle achetés ?

* Axelle soutient à Igor que l'opposé d'un nombre lui est toujours inférieur. Igor n'est pas d'accord. Êtes-vous d'accord avec Axelle ou avec Igor ?

* Je transcris sous forme de texte un test qui repose sur une figure. C'est plus facile avec la figure sous les yeux. Faites vous-même la figure.

L'hypoténuse d'un triangle rectangle isocèle mesure 10 cm. Combien mesure un coté du triangle ?

5 cm 7 cm racine carrée de 50 cm Racine carrée de 200 cm


Je donnerai les réponses à ceux qui les demanderont.

À propos de [alerte]

Diffusion libre à condition de citer la source, [alerte] JM Bérard, et impérativement la date.

Le nuage de [alerte]

J’ai placé dans le nuage de [alerte] des textes et documents divers, avec le seul critère qu’ils me semblent intéressants et méritent d’être portés à votre connaissance. Cliquez, naviguez. Pour accéder au nuage cliquer sur :

https://drive.google.com/folderview?id=0B_Wky0_FwW1tekd3aXNsOEpwVk0&usp=sharing

Fonctionnement de la lettre [alerte]

Inscription sur la liste de diff sur simple demande. On peut aussi se désinscrire. Les adresses des destinataires n’apparaissent pas lors de l’envoi.

jean-michel.berard x orange.fr

Ce qui est écrit dans cette lettre n’engage strictement que moi, sauf bien sûr s’il s’agit de la citation d’un appel ou d’un communiqué.

Les remarques et réactions que vous m’envoyez concernant ce que j’écris me sont précieuses, indispensables, car elles font rebondir la réflexion.

Lorsque je publie l’une de vos réactions, je ne mentionne pas votre nom. La liste de diffusion comporte 200 abonnés, qui plus est la lettre est disponible sur internet, et je pense que vous ne tenez pas forcément à ce que votre qualité de lecteur de [alerte] soit diffusée ainsi.

Les messages que vous m’envoyez, s’ils concernent la lettre [alerte], peuvent être diffusés dans la lettre, (un peu comme le courrier des lecteurs qui écrivent à un journal), mais sans que votre nom soit cité. Si en m’envoyant une réaction sur la lettre vous ne souhaitez pas du tout qu’elle soit publiée, merci de me le signaler.

Outre l’envoi par courrier électronique sur simple demande, les lettres [alerte] sont consultables sur

http://alerte.entre-soi.info/

Fin

de la lettre du mai 2015