[alerte] - JM Bérard - 28 avril 2015

Sommaire

Au jour le jour

Chanson

Culture ?

Moteurs de recherche

Moteurs de recherche et système éducatif

Les migrants

Loi sur le renseignement, encore

Mesure pour mesure

Malaise dans les relations sociales : méfions-nous de l'autre

À propos de [alerte]

Le nuage de [alerte]

Fonctionnement de la lettre [alerte]

Fin


Au jour le jour

Chanson

Juliette Greco est née en 1927. Elle entame en ce moment sa tournée de remerciements, pour remercier tous ceux qui l'ont aimée et soutenue tout au cours de sa longue carrière : les personnes du milieu de la chanson, qui ont très vite reconnu son talent et lui ont offert des chaussures et une robe pour son premier tour de chant, le public toujours fidèle. Bizarrement Juliette Greco, égérie de Saint Germain des Prés, fait un peu moins partie de ma vie que Brassens, Brel Boris Vian ou Maxime Le Forestier. Mais tout de même elle était là.

L'une de ses plus célèbres chansons :

https://www.youtube.com/watch?v=XyqIs8xPCd0

Une autre

https://www.youtube.com/watch?v=3PdwfO6LotY

Culture ?

Je m'étais inquiété la semaine dernière. Il me semble que l’État manque un peu d'une politique culturelle volontariste, la ministre de la culture Mme Pellerin semblant plus intéressée par les questions relatives à la diffusion des œuvres par les moyens numériques que par une réflexion sur une politique culturelle générale.

Mes craintes sont hélas renforcées. Les chaînes de télévision publiques sont d'importants outils de diffusion du loisir et de la culture. Il fallait nommer un nouveau président de France Télévision. Le conseil supérieur de l'audiovisuel (en principe indépendant du gouvernement) a désigné Mme Ernotte, jusque là directrice opérationnelle de l'opérateur Orange. Les différents articles que l'on peut lire à son sujet ne font pas apparaître d'expérience concernant l'audiovisuel, la création et la diffusion culturelle en général. Tout comme Mme Pellerin, Mme Ernotte est surtout expérimentée dans les questions relatives aux réseaux de diffusion, aux techniques de diffusion, à l'équilibre et à la concurrence entre les opérateurs. Bien inquiétante est la déclaration du président du CSA à propos de sa nomination : « Elle a le souhait […] de placer les nouveaux usages du numérique au cœur de l'offre, et de faire émerger un nouveau modèle économique pour la diffusion des programmes, apte à procurer de nouvelles ressources. » Nouveaux usages, nouvelles ressources, nouveau modèle économique, rien sur les contenus, l'équilibre entre le culturel et la télé-réalité. Espérons qu'elle saura nommer quelques saltimbanques à son cabinet.

Moteurs de recherche

Chacun le sait maintenant : le moteur de recherche de Google piste tout un chacun, enregistre les moindres recherches de chacun, revend le tout aux opérateurs commerciaux et, accessoirement, renseigne dans certains cas la police et les services de renseignement US. Ce dernier point, on ne peut pas lui reprocher : aux USA, avec le patriot act, c'est la règle pour tous les opérateurs, et en France avec la nouvelle loi sur le renseignement les opérateurs devront eux aussi fournir des données aux services de renseignement. Nous devrons être vigilants sur les modalités d'application de cette loi.

Bon, revenons à Google. Comme le dit le proverbe maintenant bien connu, si c'est gratuit c'est parce que c'est vous la marchandise, vos données de recherche étant revendues par Google aux commerciaux de tout acabit. D'où le souci des internautes de faire des recherches non pistées. Je vous avais parlé du moteur Duck duck go, qui semble protéger assez bien les traces de vos recherches. C'est devenu mon moteur de recherche. C'est un moteur américain, donc soumis aux lois américaines.

L'un de vous me signale le moteur Qwant, qui, lui, est français, fait l'objet d'un article positif dans la revue La Tribune et a fait l'objet de louanges de la part du premier ministre et de la ministre de l'éducation nationale. J'ai l'intention de m'en servir durant quelques temps, mais surtout de rester à l’affût d'articles ou de commentaires permettant de se faire une idée de ses qualités pour la protection de la vie privée. Essai vigilant. Si la réalité correspond à ce qui est dit (non conservation des données de recherche, non communication de ces données à d'autres, société de droit français avec des machines installées en France, ce qui garantit une certaine protection des données personnelles, peu protégées par les lois étatsuniennes) je prendrai ce moteur comme moteur par défaut. Avez-vous un avis ?

https://www.qwant.com

Moteurs de recherche et système éducatif

La ministre de l'éducation nationale soutient Qwant avec enthousiasme. Ce logiciel présente une version pour enfants, qui filtre les contenus indésirables. Je demande à réfléchir, et je souhaite que les éléments du dossier soient clairement affichés. Certes, tout le monde souhaite le développement des usages du numérique dans les classes. Tout le monde semble d'accord (moi aussi) pour accepter que, dans le cadre scolaire, les résultats soient filtrés, car sinon la responsabilité de l'institution auprès de parents serait engagée pour un oui pour un non. Mais il y faut de la transparence. Les élèves des écoles, les collégiens, les lycéens ne pourront accéder à tout dans le cadre scolaire. Mais n'oublions pas que, au travers des enseignants, l'école a pour but de développer la culture générale et l'esprit critique. Si filtrage il y a il faut que les enseignants soient très clairement informés des critères de filtrage, des modalités de décision, des modalités de contestation des décisions. On commence par filtrer le tableau « l'origine du monde » de Courbet, on filtre tous les sites qui de près ou de loin évoquent le terrorisme, et, de fil en aiguille, on crée une police de la pensée surveillant le conformisme, ce qui à mon avis n'est pas le rôle de l'école. Je crois que Baudelaire avait été condamné pour certains de ses poèmes. Filtrer dans le cadre scolaire, oui, mais à condition que l'on rende publics pour les enseignants les critères de filtrage, les modalités de décision et les modalités d'appel.

Les migrants

Une émission de France Musique, recommandée par l'un de vous

http://www.francemusique.fr/player/resource/91947-94635

Loi sur le renseignement, encore

Reçu de l'une de vous :

Je partage toutes vos interrogations sur ces nouvelles lois liberticides.

Mais lorsque la misère grandit et que les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres deviennent intolérables, n’importe quel pouvoir a besoin d’un solide outil de contrôle de la société....le terrorisme et les attentats sont d’excellents prétextes ! ! !

La démocratie (une vraie démocratie) ne peut exister sans un minimum de justice sociale...

Bon, revenons encore une fois sur cette loi sur les pouvoirs et les activités des services de renseignement, adoptée dans l'enthousiasme par les députés. Les protestations d'associations, de personnalités qui attirent l'attention sur le caractère liberticide de cette loi se multiplient. L'opinion publique reste dans l'ensemble indifférente.

Le dimanche 26 avril un projet d'attentat contre une église est fortuitement découvert. La communication du premier ministre est navrante : les chrétiens sont eux aussi attaqués, vous voyez bien qu'il faut des lois contre le terrorisme.

Personne ne doute qu'il faille des lois contre le terrorisme. La question est de trouver la limites entre des lois efficaces contre le terrorisme et des lois restreignant au delà du nécessaire les libertés publiques.

Qui plus est, mais c'est secondaire, dans l'affaire de l'attentat déjoué,aucun des dispositifs liberticides actuellement débattus n'a eu ou n'aurait eu d'utilité. Communication opportuniste et navrante.

Mesure pour mesure

La revue « La recherche » de mai 2015 consacre un long article au changement des unités de mesure. J'ai comme certains de vous appris à l'école que le mètre est la distance qui sépare deux traits gravés sur une règle en platine iridié déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres. Cela aurait donc changé ? Et pourquoi changer des unités qui, précisément, devraient être intangibles ?

Je ne sais depuis combien de temps l'humanité pratique des activités de mesurage. Les hommes qui ont peint les immenses animaux de la grotte Chauvet reportaient-ils des longueurs avec des baguettes de bois ? Je n'ai pas étudié l'historique de la question.

Quoi qu'il en soit, la Révolution française de 1789, soucieuse d'humanisme et d'universalisme décide de créer un système de mesure universel. Les unités seraient les mêmes d'une province à l'autre, d'un pays à l'autre. (Sur ce deuxième point, le système métrique décimal n'a pas encore en 2015 conquis le monde entier, les pays anglo-saxons tenant à leur spécificité.) Les unités devaient être liées à la nature, et non à la longueur du pied ou du pouce du roi. C'est pourquoi par exemple la définition du mètre était liée aux dimensions du globe terrestre, commun à toute l'humanité : le dix-millionième du quart du méridien terrestre. Les savants Mechin et Delambre sont chargés, dans de grandes difficultés de toutes sortes, d'organiser des expéditions pour mesurer le méridien. Mais le méridien n'étant pas commode à manipuler, on matérialise les résultats trouvés grâce à deux traits gravés sur une règle. En 1889, le Bureau international des poids et mesures (BIPM) redéfinit le mètre comme étant la distance entre deux points sur une barre d'un alliage de platine et d'iridium. Cette barre (la troisième concrétisation légale du mètre-étalon) est toujours conservée au pavillon de Bretueil à Sèvres.

Cette concrétisation du mètre s'avérera vite assez peu compatible avec les progrès réalisés et avec les besoins de précision demandés par le milieu scientifique. Celui-ci s'inquiète déjà des conditions de conservation de ce mètre légal également difficile à reproduire en laboratoire, le mètre-étalon légal n’étant pas assez accessible pour permettre des mesures comparatives précises sans en même temps altérer irrémédiablement ses propriétés physiques. Wikipedia

Et c'est là que l'on rentre dans le cœur du sujet. L'évolution des théories scientifiques nécessite des mesures de plus en plus précises. Les évolutions technologiques aussi. Or une mesure ne peut pas être plus précise que la définition de l'unité qui la sous-tend. Il faut donc constamment redéfinir les unités pour qu'elles soient plus précises. La nouvelle définition est compatible avec la définition précédente, l'incertitude sur la nouvelle définition est inférieure à l'incertitude sur la définition précédente et incluse dans cette incertitude.

Tout cela est défini par le bureau international des poids et mesures. Ainsi, au grand dam de ceux qui sont allés à l'école en même temps que moi, le mètre légal n'est plus déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres. Il est depuis 1983 défini à partir de la vitesse de la lumière dans le vide, cette vitesse étant considérée comme constante dans toutes les théories scientifiques actuellement admises. Le mètre est la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458 seconde. Autrement dit la vitesse de la lumière est fixée comme étant de 299 792 458 mètres par seconde. C'est précis, car la seconde est par ailleurs définie avec une grande précision. Un inconvénient : c'est moins parlant qu'un objet déposé dans un pavillon.

Alors, pourquoi la revue La Recherche de mai 2015 consacre-t-elle une grande partie de son numéro aux changements d'unité actuellement travaillés par le Bureau international des poids et mesures ? Justement parce que les unités actuellement définies ne sont plus assez précises en fonction des évolutions des théories scientifiques et des évolutions technologiques. Doivent ainsi être modifiées en 2018 les définitions du kilogramme (unité de masse), de l'ampère (unité d'intensité du courant électrique), de la mole (unité de quantité de matière), du kelvin (unité de température thermodynamique). Dans tous les cas on cherchera à définir les unités à partir de constantes fondamentales des lois physiques. Inconvénient : les définitions seront abstraites et peu transposables en représentations concrètes.

Le kilogramme est actuellement défini (depuis 1989) comme étant la masse d'un cylindre en platine iridié déposé à Sèvres. Il faut changer cette définition. L'objet en platine peut être modifié, usé chaque fois que l'on veut l'utiliser. Il existe une centaine de copies de ce cylindre. Problème : l'écart entre la masse de ces copies et la masse de l'étalon augmente au cours du temps, sans que l'on sache pourquoi. Ennuyeux pour définir une unité ! Les travaux actuels s'orientent vers une définition indirecte, qui relie la masse à l'énergie et l'énergie à une constante des lois physiques appelée constante de Planck. Un dispositif technologique très complexe, la balance du Watt, va permettre de déterminer la constante de Planck avec une précision de 2x10 puissance -8, et donc, indirectement, de définir le kilogramme avec la même précision. Inconvénient bien sur : cela devient totalement abstrait, inaccessible au grand public. C'est l'un des problèmes actuels de la science.

Au fond, c'est paradoxal : pour rester stable il faut changer.

Malaise dans les relations sociales : méfions-nous de l'autre

Le texte que j'ai publié dans le dernier numéro de [alerte] n'était peut-être pas très clair.

Il me semble que nous sommes aujourd'hui (mais peut-être n'est-ce pas nouveau) dans un grand degré de méfiance, où l'autre est souvent considéré plus comme un ennemi potentiel dont il faut se protéger que comme un enrichissement.

Au fil des exemples, on recense de nombreuses tentatives pour classer et éliminer l'autre :

- prévoir la dangerosité de chacun et toutes ses caractéristiques, (profil intellectuel, maladies potentielles) comme le proposent certains pseudo-scientifiques qui se font fort de tout dépister à partir de l'analyse du génome, désormais facile à réaliser. Trouver chez chacun tous les signes du péché originel : fichage des enfants dès l'école maternelle pour « dépister » très tôt les déviances potentielles, fichage des délinquants pour prévoir les récidives (illusion, mais illusion porteuse...).

- décréter la dangerosité de divers groupes a priori criminogènes : les roms, les noirs américains, les musulmans.

- prévoir les crimes avant qu'ils ne soient commis : des logiciels permettent à la police de prévoir que des délits seront probablement commis à telle heure dans tel quartier de la ville. Ainsi le journal Le Monde du 24 avril 2015 décrit le logiciel employé par la police de Modesto en Californie pour tenter de prévoir les lieux des futurs délits.

- et, le plus simple, protéger les « honnêtes gens » en les séparant des autres. Ce sont, aux Usa mais aussi en France, ces quartiers ghettos pour l'élite, surveillés, où il faut montrer patte blanche pour entrer, et où se regroupent ceux qui se sont reconnus comme dignes de vivre ensemble. J'avais par ironie proposé une solution encore plus simple : ne jamais emprisonner les délinquants, mais ne mettre en prison que les honnêtes gens ou ceux qui se considèrent comme tels, et seront ainsi parfaitement protégés.

Une certitude : il faut se méfier de l'autre, on ne sait jamais ce qu'il mijote !

À propos de [alerte]

Diffusion libre à condition de citer la source, [alerte] JM Bérard, et impérativement la date.

Le nuage de [alerte]

J’ai placé dans le nuage de [alerte] des textes et documents divers, avec le seul critère qu’ils me semblent intéressants et méritent d’être portés à votre connaissance. Cliquez, naviguez. Pour accéder au nuage cliquer sur :

https://drive.google.com/folderview?id=0B_Wky0_FwW1tekd3aXNsOEpwVk0&usp=sharing

Fonctionnement de la lettre [alerte]

Inscription sur la liste de diff sur simple demande. On peut aussi se désinscrire. Les adresses des destinataires n’apparaissent pas lors de l’envoi.

jean-michel.berard x orange.fr

Ce qui est écrit dans cette lettre n’engage strictement que moi, sauf bien sûr s’il s’agit de la citation d’un appel ou d’un communiqué.

Les remarques et réactions que vous m’envoyez concernant ce que j’écris me sont précieuses, indispensables, car elles font rebondir la réflexion.

Lorsque je publie l’une de vos réactions, je ne mentionne pas votre nom. La liste de diffusion comporte 200 abonnés, qui plus est la lettre est disponible sur internet, et je pense que vous ne tenez pas forcément à ce que votre qualité de lecteur de [alerte] soit diffusée ainsi.

Les messages que vous m’envoyez, s’ils concernent la lettre [alerte], peuvent être diffusés dans la lettre, (un peu comme le courrier des lecteurs qui écrivent à un journal), mais sans que votre nom soit cité. Si en m’envoyant une réaction sur la lettre vous ne souhaitez pas du tout qu’elle soit publiée, merci de me le signaler.

Outre l’envoi par courrier électronique sur simple demande, les lettres [alerte] sont consultables sur

http://alerte.entre-soi.info/

Fin

de la lettre du 28 avril 2015