[alerte] - JM Bérard - 20 avril 2015

Sommaire

Au jour le jour

Du culot

Grève à radio France

Loi sur le renseignement

Malaise dans les relations sociales : méfions-nous de l'autre

À propos de [alerte]

Le nuage de [alerte]

Fonctionnement de la lettre [alerte]

Fin


Au jour le jour

Du culot

Nicolas Sarkozy souhaite changer le nom de son parti, l'UMP. Ce sigle évoque sans doute trop des pratiques passées et des affaires juridiques douloureuses. Il semble que l'on s'oriente vers un nouveau nom « Les républicains ». Quel culot. Je rafle la mise : les autres, tous les autres, ne sont pas des républicains. On imagine les commentaires des journalistes et les débats lors des soirées électorales. Cela va être difficile à suivre. C'est le but : brouiller les pistes.

Grève à radio France

Fin de la longue grève de 28 jours ce 16 avril. 2015 Un extrait de l'édito de Libération le 15 avril : « ...la vraie question, absente de cette grève : quels contenus pour quelles radios de demain ? […] Le président Gallet évoque suppressions de postes, création de services marchands, couverture du territoire, accélération du numérique. Mais au final peu les contenus. Même impression du coté des grévistes, surtout des techniciens, qui se cristallisent sur les questions de syndication de programmes, d'externalisation de services, d'économies. »

Depuis toujours, on se heurte à la même question : la politique culturelle ne peut être décidée uniquement en termes de rentabilité. Mais du coup, quels sont les processus de décision ? Louis XIV doit-il soutenir Molière ou Lully, Mozart ne vit-il que grâce à l'argent versé par l'empereur ? Pour la créativité musicale et la diffusion de la culture musicale faut-il à Paris deux grands orchestres symphoniques sur le budget de Radio-France ? Un seul ? Des orchestres régionaux ? Les décisions vont bien au delà de simples questions de financement de Radio-France, elles dépendent de décisions nationales concernant politique culturelle. Mais qui prend ces décisions, selon quels critères ? L'actuelle ministre de la culture semble plutôt préoccupée par les questions de stratégie économique, de place du numérique dans la diffusion de la culture, etc. Qui et comment prend les décisions sur la politique culturelle de la France ? Devra-t-on regretter un ministère de la culture un peu centralisé, ayant une vue sur tout, du genre Malraux ou Lang ? Culture d’État ou libéralisme à tout crin, les frontières sont sans cesse à réinventer.

Durant la grève, la Cour des comptes a publié un rapport parfois sévère sur la gestion de Radio-France et certains grévistes ont regretté ce rôle joué par la Cour. Je ne suis pas de leur avis : toute politique publique doit être évaluée par des instances extérieures aux instances de décision. Cela est encore plus important dans une époque où les collectivités locales ont de grands pouvoirs, qui doivent selon moi être encadrés par les cours régionales des comptes. La Cour joue en enquêtant un rôle indispensable de contrôle. Ensuite, c'est aux responsables politiques de prendre des décisions, après avoir été informés par les rapports de la Cour. La dérive économiste serait que la Cour décide. A mon avis, actuellement en France ce n'est pas le cas.

Loi sur le renseignement

Pourquoi y revenir ? Parce que c'est une question qui me semble grave et préoccupante. La loi débattue en urgence (fort peu débattue, il y a un fort consensus des députés de tous bords, sauf parti de gauche et EELV) permet une surveillance qui peut concerner tout un chacun, y compris vous et moi, touchant des domaines très larges, sans contrôle de juges de l'ordre judiciaire, sans contrôle des fichiers de données. Pas dangereux pour les libertés puisque le gouvernement est démocratique ? Qui peut jurer que des éléments incontrôlés dans les services de renseignement ne feront pas mauvais usage des données collectées ? Et surtout qui peut parier que les gouvernements à venir seront totalement démocratiques ?

On a suivi les épisodes précédents : à la suite des attentats de janvier le gouvernement présente en procédure d'urgence un projet de loi permettant d'adapter les activités des services de renseignement à la lutte contre le terrorisme. C'est jouer sur du velours : qui peut raisonnablement ne pas vouloir sacrifier un peu de ses libertés pour mieux lutter contre la menace terroriste ? Plus des deux tiers des français sont prêts à sacrifier une partie de leurs libertés dans ce noble but de sécurité.

On peut tout d'abord se demander si toutes les mesures proposées seront vraiment efficaces pour lutter contre le terrorisme.

Mais on doit surtout constater que la présentation faite par le gouvernement est très partiale. En fait, utilisant l'inquiétude créée par les attentats terroristes, le projet de loi régularise des pratiques jusque là illégales des services secrets et accumule les motifs de surveillance, dans des termes juridiques souvent mal définis. Les services secrets pourront surveiller à peu près tout le monde, même vous et moi qui pensons pourtant n'avoir rien à nous reprocher. Ils pourront ainsi déroger au principe de respect de la vie privée dans les domaines touchant à l'indépendance nationale, aux intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France, à la criminalité et la délinquance organisées, à la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale... Avec une liste aussi vaste et aussi floue, où s'arrêtera t on ?

Les services de renseignement agiront après accord du premier ministre sur avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, donc en dehors de l'ordre judiciaire. Ils pourront intercepter les correspondances par voie électronique, capter des paroles ou des images dans un lieu privé, installer des logiciels espions, des caméras, des micros chez un particulier ou dans sa voiture. On découvre aussi à l'occasion des débats sur cette loi que les services secrets pourront utiliser des « dispositifs » qui permettront de détecter et d'enregistrer les métadonnées de toutes les communications électroniques dans un rayon de quelques centaines de mètres (une gare par exemple). Fort inquiétant, les renseignements captés seront analysés par un logiciel ultra-secret qui permettra de détecter les propos témoignant d'un comportement suspect ! On ignorera évidemment les critères retenus par ce logiciel. Si j'ai bien compris (je n'ose le croire) en tout lieu public un logiciel pourra analyser les données de communication pour détecter les comportements préoccupants ! Quel outil terrifiant dans des mains un peu avides de pouvoir. J'espère avoir mal compris.

Quelles réactions face à ces graves préoccupations concernant les libertés ? Très peu. A quelques exceptions près, députés de droite et de gauche sont enchantés. Il faut bien dire qu'ils y sont un peu forcés. Qui oserait assumer la moindre réserve sur une loi censée lutter contre le terrorisme ?

Des associations protestent, en premier lieu la ligue des droits de l'homme. Comme le dit son président Pierre Tartakowski « Que Nicolas Sarkozy ne nous écoute pas en 2008 lorsque nous dénoncions les abus du fichier de renseignements Edvige ne nous avait pas vraiment étonnés, mais que en revanche un gouvernement de gauche campe à ce point sur des positions sécuritaires est plus qu'inquiétant ». Et encore... Il oublie que en 2008 la mobilisation de masse lancée par la ligue des droits de l'homme avait obligé le gouvernement à réécrire entièrement le projet Edvige. Rien de tel aujourd'hui : pas de mobilisation de masse, attitude inflexible du gouvernement.

Un dirigeant du PS dont on ne cite pas le nom (courageux, mais pas trop !) déclare au journal Le Monde « On espère que demain un tel arsenal ne tombera pas entre les mains d'un pouvoir plus autoritaire ». Il espère ! Plus inquiétant encore est l'article du député UMP Pierre Lellouche dans le même journal. Je n'ai pas recherché sur internet, mais dans ma mémoire Pierre Lellouche est très, très à droite. Et pourtant il écrit : « Si le laxisme en matière de terrorisme est blâmable, les effets collatéraux de la loi sur le renseignement en débat à l'assemblée risquent d'être bien pires que le mal. […] Membre de l'équipe dirigeante de l'UMP et ayant longuement travaillé sur les questions de sécurité nationale et de terrorisme, je ne suis pas franchement suspect de laxisme en la matière. Mais la défense de la démocratie contre le terrorisme n'autorise pas tous les excès. Et je revendique le droit de contester publiquement les aspects ouvertement liberticides de ce texte […] le juge judiciaire ayant été totalement écarté de l'ensemble du système. […] On doit s'interroger sur le suicide dans l'avion de la Germanwings : les portes blindées dans les avions commerciaux sont le résultat direct des attentats du 11 septembre. 150 morts. […] Gare à ce qu'une loi censée protéger la démocratie ne vienne, par les excès qu'elle contient et les risques de détournement dont elle pourra faire l'objet demain conduise à des résultats plus funestes encore que l'action de quelques illuminés, qu'il faut bien sur combattre sans relâche, mais avec nos valeurs, pas les leurs. » Bon, ce député UMP est évidemment totalement minoritaire dans son groupe. Mais tout de même. Autres personnalités de droite, Alain Marsaud (ancien juge antiterroriste) et Bruno Lemaire pointent les risques d'une « police politique ».

Alors, pourquoi cela passe-t-il si facilement, avec une si faible mobilisation de l'opinion ? Une hypothèse intéressante de Schneiderman dans le 9-15 du 15 avril 2015 : « Pourquoi, en dépit des défauts manifestes de conception du projet de loi (notamment les insuffisantes procédures de surveillance des surveillants, la radicale éviction des juges du dispositif, et l'opacité de l'algorithme des fameuses "boîtes noires"[lien intéressant, cela vaut le coup de cliquer], en dépit aussi de l'ardeur, sur les sites et les réseaux sociaux, d'une poignée de journalistes spécialisés hyper-vigilants, pourquoi ce projet que même BFMTV qualifie de "Big brother" laisse t-il l'opinion aussi indifférente ? Avançons une hypothèse : la peur de l’État, en ce début de XXIe siècle, est une valeur en baisse. Sur fond de mondialisation et de maxi-évasion fiscale, c'est plutôt une demande d’État qui monte. D’État protecteur des emplois (Alcatel-Nokia), d’État arbitre entre les communautés et les communautarismes belligènes, d’État surveillant, aussi, contre la menace djihadiste aussi bien que contre l'impunité, fiscale par exemple, des Géants du Net. Ce n'est qu'une hypothèse. »

Bon, les débats sont terminés. On assiste à une grande montée en puissance des protestations des associations et des journalistes spécialisés, mais le gouvernement tient son cap. Lors des débats on a même maintenu la « prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale », sans doute l'une des dispositions les plus inquiétantes de la loi. Le vague de la rédaction permet de craindre la répression contre les manifestations syndicales ou atypiques, type « lutte contre l'aéroport de notre dame des landes » ou zadistes du barrage de Sivens. Télérama souligne (15 4 15) que le spectre d'une suspicion généralisée se profile […] La France est en train de fabriquer un arsenal qui lui permettra de se prémunir contre tous les débordements. Qu'ils émanent des djihadistes, des zadistes ou de la Manif pour tous. « Nous somme face à une démocratie qui n'assume aucune de ses marges » alerte la magistrate Laurence Blisson. « Toute expression de radicalité sera surveillée, des black blocs aux mouvements sociaux. »

Il est tout de même effarant de voir à quel point une classe politique presque unanime élabore les outils de lutte contre ses propres libertés et les libertés des citoyens.

Un article intéressant de Noël Mamère, structuré, convaincant. J'aurais aimé l'écrire. Mais bon je n'ai pas l'expérience de Noël Mamère :

http://blogs.rue89.nouvelobs.com/chez-noel-mamere/2015/04/13/loi-sur-le-renseignement-un-patriot-act-qui-ne-dit-pas-son-nom-234465

Une analyse beaucoup plus détaillée

http://www.nextinpact.com/news/93724-on-vous-reexplique-projet-loi-sur-renseignement.htm

Malaise dans les relations sociales : méfions-nous de l'autre

Quel rapport entre un pilote suicidaire qui entraîne avec lui dans la mort 149 personnes et un homme qui enlève, viole et tue une petite fille ? (Soyons clairs, pour éviter tout malentendu : je ne cherche aucune excuse à l'assassin de la petite fille.)

Un point commun entre ces deux événements et beaucoup d'autres encore est que la presse, la classe politique, l'opinion publique réagissent avec l'idée, l'illusion, que l'on pourrait mettre en place un système préventif capable d'éviter tout drame.

Pour le pilote, c'est simple, il faut supprimer le secret médical ! Le secret médical est pourtant un principe d'ordre public, qui ne connaît que de très rares et très prudentes exceptions, par exemple en cas de maltraitance constatée sur un enfant. Va-t-on lever le secret médical pour les pilotes d'avion qui peuvent tuer 150 personnes d'un coup ? Mais pourquoi s'arrêter là : tout un chacun, du conducteur d'auto au chef de l’État en passant par le chef d'entreprise, la nounou et les parents ont entre leurs mains de nombreuses vies. Il faut supprimer le secret médical dans tous les cas, et demander à chacun à chaque instant de justifier qu'il est sain ! Et l'on sera bien avancé ! Du coup, par peur d'être signalés, les malades ne se soigneront plus, et l'on aura encore davantage de pilotes dépressifs ! L'idée est stupide, et pourtant elle plaît : il faut protéger le public ! Le public sera-t-il mieux protégé si les malades ne se soignent plus ?

Réactions analogues pour l'assassin de la petite fille. On sait que les criminels sexuels récidivent fréquemment et d'habitude en cas de crime sexuel, en particulier sur un enfant, c'est l'escalade des propositions sur ce que l'on devrait faire aux délinquants sexuels. Là l'escalade tourne à vide : l'assassin avait été condamné de nombreuses fois, mais jamais pour des crimes sexuels. La rumeur se rabat alors sur les excès de la liberté de circulation. Les mêmes constatent pourtant que les contrôles excessifs dans les avions nuisent au tourisme (grande source de revenu) et au commerce international. Dans le cas présent, on se demande comment on aurait pu éviter le crime sexuel, alors que rien, absolument rien ne permettait de prévoir que cet homme présentait des caractéristiques qui le rendait susceptible d'en commettre un.

Il me semble qu'il y a derrière ces réactions ultra-médiatisées un double souci :

- on devrait éliminer d'une façon ou d'une autre tous ceux qui ont fait le mal. On ne peut pas guérir, ou s'amender, ou évoluer : qui a fauté doit être mis à l'écart. Les imaginations vont bon train, allant jusqu'à inventer (sous Sarkozy, maintenu par Hollande) une rétention de sûreté qui permet de garder en prison des personnes qui ont déjà purgé leur peine. On les garde donc en prison non pas pour ce qu'elles ont fait mais pour ce qu'elles pourraient faire.

- il faudrait pouvoir fouiller les âmes et les esprits pour prévenir le crime avant qu'il ait été commis, comme dans le film de science fiction « Minority report ». Il faut donc faire des profils psychologiques des enfants dès l'école maternelle, créer des logiciels qui permettent de repérer des intentions suspectes comme dans la loi sur le renseignement, surveiller les roms et autres criminels par nature, faire des logiciels qui permettent de prévoir qu'un crime va probablement être commis à tel endroit et à telle heure... Nul doute que dans l'avenir, avec les progrès du transhumanisme on pourra implanter dans le cerveau de chacun une puce signalant les déviances ! Le péché est en chacun, traquons-le. En oubliant un peu vite que, s'il est en chacun, il est aussi en chacun de nous...

En fait je ne vois qu'une solution. L'humanité étant ce qu'elle est, on ne pourra jamais éviter tout crime. Il suffit donc de mettre tous les gens honnêtes en prison : au moins là seront-ils en sécurité.

Henri Leclerc, avocat ancien président de la ligue des droits de l'homme : «Une société entièrement sûre est un rêve de dictature. Les cimetières sont les seuls endroits où la sécurité est absolue. » 

Il est clair que si l'on extrait hors contexte des passages de mon texte on en déduira que je soutiens le crime !

À propos de [alerte]

Diffusion libre à condition de citer la source, [alerte] JM Bérard, et impérativement la date.

Le nuage de [alerte]

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https://drive.google.com/folderview?id=0B_Wky0_FwW1tekd3aXNsOEpwVk0&usp=sharing

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Fin

de la lettre du 20 avril 2015