[alerte] - JM Bérard - 23 mars 2014

Sommaire

Gratuité

Sidération et écœurement

Au fil des jours


Gratuité

Plusieurs éléments m'incitent cette semaine à entreprendre une réflexion sur la gratuité. Je vous livre en quelques notes le tout début de cette réflexion, qui recouvre des questions de grande ampleur sur la notion même de vie en société, et que pour aujourd'hui je ne fais qu'amorcer.

La nourriture comme droit de l'homme : dans son numéro des 22 et 23 mars 2014 Libération (oui, c'est encore un journal) publie un important article intitulé « l'alimentation devrait être un droit de l'homme », où le juriste François Collart-Dutilleul propose de ne pas soumettre la nourriture aux lois du libre échange et d'ajuster les ressources naturelles aux besoins sociaux. Remarquable. Et je constate avec étonnement que cela ne m'était jamais venu à l'idée et que je n'en avais jamais entendu parler.

Bien que je n'aie pas mis de guillemets, la plus grande partie de ce qui suit est une citation de l'article.

L'ambitieux projet Lascaux part du constat que dans le monde 1,2 milliards de personnes souffrent de la faim. « Nourrir les gens n'est pas seulement leur sauver la vie, c'est aussi sauver l'humanité ». Actuellement, la situation juridique du droit à l'alimentation n'est pas bonne, car le droit à la propriété est considéré comme un droit de l'homme, y compris lorsque de grandes sociétés monopolisent des ressources en eau ou en nourriture. Le droit à la propriété est supérieur au droit à la nourriture.

Le projet Lascaux, qui associe 400 chercheurs de cinq continents tente d'élaborer un système juridique qui permettrait de sortir la nourriture du système marchand libéral. Cela était prévu par la charte de La Havane, élaborée à l'initiative du président Roosevelt en 1948, charte par laquelle l'alimentation, l'eau, la pêche, les sous-sols dérogent au libre échange car ils doivent satisfaire au triple objectif de la sécurité alimentaire, du développement économique et de la préservation des ressources naturelles. Roosevelt est mort, et la charte de la Havane n'a jamais été ratifiée par qui que ce soit.

Le projet Lascaux propose quelques mesures : par exemple qu'un pays ait le droit de faire des stocks de blé quand les cours sont bas et pratique ensuite des prix réglementés pour nourrir la population. Seul problème : ce n'est pas permis par les règles du commerce international !

Le projet préconise donc une souveraineté alimentaire pour que les états puissent s'affranchir des règles de l'Organisation Mondiale du Commerce, et une démocratie alimentaire visant à produire une nourriture conforme aux besoins, en limitant par exemple la graisse et le sucre, sources de profits mais qui créent des maladies. Les règles de l'OMC interdisent à un état de contingenter ses importations et ses exportations. Il ne peut pas décider d'affecter une production à une population en circuit court et donc en échappant à la spéculation. Le projet Lascaux propose une loi d'ajustement des ressources naturelles et des besoins sociaux, ne serait-ce qu'en complément de la loi d'ajustement de l'offre et de la demande.

Je suis étonné, je n'avais jamais entendu parler d'un travail d'une telle importance. Je ne sais s'il existe des associations militantes Lascaux, je les rejoindrais volontiers.

Libération donne un lien : http://www.droit-aliments-terre.eu Je ne l'ai pas lu, je me précipite.

La gratuité des transports en commun : elle a été décidée récemment dans plusieurs villes, au cours du pic de pollution aux particules fines. Il s'agissait d'inciter les usagers à abandonner leur voiture pour prendre les transports en commun. Cela n'a pas très bien marché, la circulation automobile est restée dense. Et cela a coûté cher à la région Île de France et aux communes, car, gratuité ou pas pour les usagers, il faut bien que quelqu'un paie. Il me semble que les évolutions des habitudes de transport sont amorcées (covoiturage...) mais que cela prendra du temps. La gratuité peut-elle y contribuer ? Oui probablement. On a vu la semaine dernière à la télévision une enquête dans une ville moyenne et les communes environnantes où la gratuité, en vigueur depuis longtemps, s'est accompagnée d'une modification des habitudes, et d'une meilleure « vie commune » (de nos jours on dit « synergie ») entre la ville et les communes voisines. Qui doit payer ? A Paris, les employeurs participent au coût du transport. Une commune, une agglomération doit-elle mettre la gratuité des transports en tête de son budget ? Par rapport à quelles autres priorités ?

La gratuité des parkings en ville : c'est me semble-t-il une stupidité régulièrement agitée par l'association de défense des automobilistes (sic). Quelle que soit la façon de compter, il y a plus de voitures dans les villes que de places au bord des trottoirs. Stationnement gratuit signifie voitures ventouses, que même les commerçants (pourtant partisans d'une économie libérale ! ) critiquent car ces voitures ventouses bloquent l'accès des clients. Toutes les mesures prises dans les projets locaux d'urbanisme pour associer la construction de tout nouveau logement à la construction d'une ou plusieurs places de parkings me semblent indispensables. Je n'arrive pas à comprendre la stupidité de l'association de défense des automobilistes qui veut répartir des ressources qui n'existent pas.

La gratuité des logiciels et des téléchargements des œuvres artistiques : trop long pour cette fois-ci, j'y reviendrai.

La gratuité du logement, de l'énergie : je n'y ai pas encore réfléchi, je publierai vos suggestions.

En conclusion provisoire : n'ayez pas la cruauté de me signaler le caractère disparate de mes trois exemples, nourriture, transports, parkings. Je l'ai remarqué tout seul.

Pour aujourd'hui je constaterai seulement que toute action, toute idéologie visant à supprimer l'impôt ou à en contester le principe va dans le sens d'une société du chacun pour soi. Une société solidaire, où existent des formes de gratuité pour l'usager suppose un consentement à l'impôt. Il existe déjà des formes de gratuité pour l'usager, l'école en France pour ne citer qu'un exemple. Reste à définir au cas par cas qui paie, comment, et dire ce qui doit être gratuit, subventionné ou payé au prix fort. Il me semble qu'un principe de prise en compte des ressources devrait s'appliquer, un ménage ayant beaucoup de ressources peut payer son énergie plus cher.

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Sidération et écœurement

Je suis stupéfait, sidéré, écœuré par la violence, la mauvaise foi, le caractère clivant, la tonalité antirépublicaine des propos des amis de Nicolas Sarkozy (Copé en particulier) et de Sarkozy lui-même à propos des affaires dans lesquelles son nom est cité.

Tout est bon dans l'approximation et la haine : il est clair selon eux que nous sommes dans un régime dictatorial où le gouvernement a la justice en mains pour persécuter le pauvre Nicolas Sarkozy.

Je suis stupéfait du fait que quelqu'un qui a dirigé le pays et qui aspire à le diriger tienne des propos d'une telle irresponsabilité.

Revenons à de justes proportions : le nom de Nicolas Sarkozy est cité dans de nombreuses affaires (financement de la campagne électorale de E. Balladur, financement de sa propre campagne électorale, arbitrage en faveur de Bernard Tapie, pour n'en citer que quelques unes.) Dans l'une des affaires concernées (affaire Bettencourt) il a bénéficié d'un non-lieu, mais de proches amis politiques restent impliqués. Pour toutes les autres affaires l'instruction se poursuit ou est en attente d'une saisine de la cour de justice de la république. Rien pour l'instant ne « blanchit » entièrement N. Sarkozy. Il faut tout de même un culot pas possible pour se considérer comme victime parce que l'on est impliqué dans de nombreuses affaires ! Sarkozy a pourtant beaucoup lutté contre la récidive :-)

Les écoutes judiciaires dont ont été l'objet N. Sarkozy et son avocat étaient parfaitement légales et sous contrôle judiciaire. Il ne faut pas les confondre avec des écoutes de police, ni avec le fait que Buisson, conseiller de Sarkozy, enregistrait tout ce qui se passait à l’Élysée et que ces enregistrements « fuitent », mettant Sarkozy sous la coupe de maîtres chanteurs issus de son propre camp.

Ce qui crée la stupéfaction totale est l'audace avec laquelle Sarkozy crie au manque d'indépendance de la justice et dénonce la politique antidémocratique de F. Hollande. N'est-ce pas lui qui voulait supprimer les juges d'instruction et par là-même donner plus de pouvoirs aux procureurs, dont chacun sait qu'ils dépendent statutairement du gouvernement. ? N'est-ce pas lui qui a créé la rétention de sûreté, qui permet de garder des gens en prison non pas pour ce qu'ils ont fait (leur peine est purgée) mais pour ce qu'ils pourraient faire ? N'est-ce pas lui qui a fait voter une loi autorisant la police de placer des micros ou des caméras chez les gens à leur insu ? N'est-ce pas sous son autorité qu'était prévue la mise en place du fichier edvige qui autorisait les services de renseignement à collecter des informations sur tous les militants politiques, associatifs et syndicaux et sur toute personne ou groupe susceptible de porter atteinte à l'ordre public. (Le fichier edvige a été édulcoré suite à un fort mouvement de protestation.) N'est-ce pas sous son règne et à l'initiative du directeur central du renseignement intérieur que les factures téléphoniques détaillées d'un journaliste ont été illégalement utilisées ?

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Au fil des jours

* Au moment où la NSA (agence des USA) et le président Obama considèrent comme nécessaire à la sécurité du monde « libre » que tous les échanges électroniques soient pistés, au moment où l'on apprend que la France n'est pas en reste et se place désormais à un rang honorable dans les pratiques de la cyberguerre, au moment où le pillage des données personnelles n'émeut plus personne (alors que en 1978 une protestation citoyenne massive avait obtenu la mise en place de la loi informatique et libertés, qui interdit en particulier l'usage du numéro de sécu comme identifiant informatique... on en est loin), le monde entier reste ébahi par le fait que l'on puisse perdre un avion tout entier. On vous le disait bien, nous ne sommes pas suffisamment écoutés, suivis, espionnés. Il faut améliorer le système... Certains proposent que les avions transmettent toutes leurs données de vol en temps réel. Techniquement difficile, économiquement très coûteux, mais rien n'est trop. Dans un autre registre, il faut aussi mettre davantage de caméras de surveillance dans les villes et même dans des petits villages. C'est d'ailleurs au programme de nombreux candidats maires pour les élections en cours. Les études montrent que cela ne fait pas notablement baisser la délinquance, mais au moins, en période de chômage, cela fait fonctionner tout un secteur économique.

* Manque de clairvoyance : j'avais tendance à aimer l'humour de Stéphane Guillon. Quel manque de clairvoyance. Il publie dans Libération des 22 et 23 mars 2014 un article intitulé « votez pour le moins pourri. » Et, surprise, le contenu de l'article correspond au titre, dans le genre « tous pourris. » Pour moi, exit Stéphane Guillon. Et ne me dites pas qu'il s'agit d'humour au second degré, rien dans l'article ne le laisse supposer.

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Fin de la lettre du 2014 323 / 23mars 2014