[alerte] - JM Bérard - 14 novembre 2013

Sommaire

Pédagogie « M'sieu, j'peux être libre ? »

Compléments et rectificatifs

Avenir des socialistes

Manuel Valls

Christiane Taubira

Un film

A quoi bon l'école ?

Science, que reste-t-il à découvrir ?

Cannibales


Pédagogie « M'sieu, j'peux être libre ? »

Lu dans la salle de classe d'une école Montessori : « toute assistance inutile crée la dépendance.» C'est vrai et cela nous concerne tous, enseignants, parents, humains dans nos rapports avec les autres. Mais une fois cela écrit tout reste à réaliser : quelle est la limite entre l'absence d'assistance sous prétexte d'autonomie (« débrouille-toi »), proche de l'indifférence, l'assistance attendue, qui vient à point, qui permet d'avancer dans la joie et l'assistance étouffante, qui transforme l'autre en assisté pour me permettre d'exister ? Question toujours présente, solutions à créer à chaque instant.

Tout de même je suis un peu gêné de voir cela affiché dans une salle de classe. Qui a décidé de placer cette affiche sous le nez des enseignantes ? N'est-ce pas un peu contradictoire, les enseignantes ont-elles besoin qu'on leur rappelle à chaque instant les préceptes Montessoriens ? Attention, je vous apporte une assistance pour vous dire les méfaits de l'assistance...

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Compléments et rectificatifs

L'émission de Philippe Meyer « La prochaine fois je vous le chanterai » est diffusée sur France Inter le samedi de midi à une heure, juste après l'émission « Sur les épaules des géants ».

Erreur historique : dans la dernière lettre [alerte] j'ai écrit que le zoo humain où l'on exposait 100 kanak avait été organisé dans le cadre de l'exposition coloniale de 1931 au zoo de Vincennes.

L'un de vous (un historien, un vrai, c'est son boulot) me signale que c'est une double erreur : le zoo était une exposition privée, en parallèle de l'exposition coloniale, et était exposé au jardin d'acclimatation.

Je suis très contrit, car l'une de mes préoccupations, vous le savez, est que l'on trouve sur internet tout et n'importe quoi et qu'il faut vérifier soigneusement ce que l'on met en ligne.

Vous trouverez dans la dernière lettre [alerte] un lien vers un film très intéressant sur l'histoire des zoos humains.

zoos humains, expositions coloniales

Il y apparaît clairement que, dès 1920, le pouvoir colonial freinait, puis refusait l'organisation de zoos humains dans les expositions officielles : montrer dans des cages des colonisés considérés comme à la limite de l'humain, cela aurait prouvé l'échec de la mission civilisatrice de la colonisation.

Lors de l'exposition coloniale de 1931 le zoo kanak n'était pas présenté dans le cadre de l'expo, mais au jardin d'acclimatation, et c'était une exposition privée.

Cela est très bien décrit dans le texte de Catherine Hodeir « 1931, des kanak au jardin d'acclimatation ». En cherchant sur google je trouve que C. Hodeir est enseignante à l'université d'Amiens et à Sciences po Paris, et auteure de nombreux ouvrages sur les expositions coloniales. Je dépose son texte dans le nuage. Pour le lire cliquer sur documents alerte puis simple clic sur le dossier kanak puis simple clic sur le fichier Hodeir. Texte très intéressant, qui cite ses sources.

Mais alors, pourquoi une telle erreur, que j'ai rencontrée, en écrivant l'article, sur plusieurs sites et dans les livres de Didier Daeninckx ? Eh bien voilà, intéressante observation sur la propagation de la rumeur : selon Mme Hodeir, qui l'a interrogé, Didier Daeninckx, dans ses romans qui ont fait découvrir au grand public l'existence de ce zoo humain, a préféré situer les faits dans le cadre de l'expo et au zoo de Vincennes parce que cela se vendrait mieux. Je suis effaré, j'avais toute confiance en Didier Daeninckx. Il faut lire attentivement : il est vrai qu'il ne dit jamais que ses romans sont historiquement fondés. Je suis contrit d'avoir fait un travail insuffisant et d'avoir propagé la rumeur. Cela dit, cela conforte mon leitmotiv selon lequel on ne vérifie jamais assez ses sources avant de publier, en particulier sur internet.

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Avenir des socialistes

Je ne sais plus sur quel média, mais en tout cas Frédéric Mitterrand (qui a beaucoup plus d'expérience politique que moi, je le dis sans ironie) conclut, au terme d'une analyse cohérente, que les socialistes sont encore pour dix ans au pouvoir.

C'est peut-être vrai, mais à condition d'admettre comme valide l'hypothèse totalement absurde selon laquelle Manuel Valls et la ligne Valls sont socialistes, ou même de gauche !

En ce mardi 12 novembre 2013 les journaux sont emplis du même questionnement : le remaniement ministériel est urgent, inévitable, le président va-t-il décider que c'est maintenant, plus tard, encore plus tard ? Je ne vois pas trop l'intérêt d'un remaniement ministériel si c'est pour garder la même politique. Mais bon, au moment où tout semble bloqué, faire quelque chose peut redonner un peu de marges. Et puis cela peut clarifier les choses en nommant premier ministre un homme franchement de droite comme Valls. La droite classique déjà divisée sera désarçonnée, car le premier ministre sera de droite, la place sera prise, et il ne restera plus à la France que l'opposition Valls FN. Je ne parle pas de Hollande, car si Valls est premier ministre cela voudra dire que l'on doit admettre que Hollande n'est pas de taille et qu'il faut un homme à poigne.

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Manuel Valls

Un article de Edwy Plenel sur Mediapart le 11 novembre 2013.

Je vous donne le lien, mais il faut être abonné pour accéder au texte. Je vous en donne aussi quelques extraits.

http://www.mediapart.fr/journal/france/111113/la-gauche-l-extreme-droite-et-la-xenophobie

Reste le débat de fond. Je maintiens évidemment que Manuel Valls, en affirmant sur France Inter le 24 septembre que « les populations d’origine rom » ne peuvent aspirer à une insertion en France et doivent retourner en Roumanie et en Bulgarie parce qu’elles « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation » (réécouter l’émission ici), a franchi la même frontière républicaine que celle qu’avait allègrement (et, j’en conviens, plus sauvagement) piétinée Nicolas Sarkozy dans son tristement fameux discours de Grenoble, le 30 juillet 2010. Exclure n’importe quel peuple du creuset national français, parce qu’il nous serait par essence étranger, c’est violer le principe constitutionnel, affirmé depuis la catastrophe européenne inaugurée en 1914, ses massacres et ses génocides nés des passions xénophobes et racistes, lequel principe énonce que notre République ne fait pas de distinction selon l’origine, la race ou la religion. 

Repris à son compte par la Constitution de 1958 actuellement en vigueur, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme en effet, en son article premier : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » Deux ans plus tard, la Déclaration universelle des droits de l’homme, à laquelle souscrit la France, énonçait parmi les droits fondamentaux celui de circuler librement et de quitter son pays (article 13), ainsi que celui de chercher asile face aux persécutions (article 14).

Si on laisse dire, qui plus est par un ministre, qui plus est chargé de l’ordre public, qui plus est se prétendant de gauche, que des populations ne sont pas intégrables à raison de leur origine, donc de leur apparence, de leur façon d’être, de leur mode de vie, on ouvre grand la porte que, de tout temps, l’extrême droite a voulu forcer. Celle du racisme, celle de la xénophobie, celle de la haine de l’autre, au cœur même de la société. Par son usage répété de la formule « ennemi intérieur » à propos des menaces terroristes liées à l’islamisme radical, Manuel Valls est d’ailleurs un spécimen de cette dérive aveugle dont le philosophe Michel Foucault a montré qu’au nom de la défense de la société contre des menaces indistinctes, elle en venait à mettre cette société en guerre contre elle-même (écouter ici ou lire là son cours de 1976 au Collège de France).[...]

De fait, c’est bien dans la foulée du franchissement de cette barrière symbolique à propos des Roms et, plus largement, des peuples nomades, gens du voyage, errants sans frontières, irréductibles aux identités nationales à racine unique, fermées et closes, que nous avons assisté à la libération, dans l’espace public, du racisme contre les Noirs, ce racisme européen le plus archaïque (avec l’antijudaïsme que le Code Noir revendiquait d’ailleurs dès son premier article), racisme de longue durée, indissociable du crime imprescriptible de la Traite négrière. Portraiturée en singe et qualifiée de guenon, Christiane Taubira a donc subi, dans l’indifférence et le silence du plus grand nombre, cette animalisation qui dit la vérité violente du racisme : ce déni d’humanité qui détruit l’humanité des racistes eux-mêmes par l’expulsion d’une partie de l’humanité, déchue de l’espèce humaine.[...]

Il y a bien des raisons d’être déçu par la présidence de François Hollande, mais il en est qui ne pardonnent pas : plus fatales que d’autres, plus décisives pour bien des électeurs de gauche, ordinairement et foncièrement de gauche. Jamais leur discipline électorale, serait-elle résignée, n’outrepassera leur morale républicaine au point de la renier. Quand, au soir des élections municipales puis européennes de 2014, les socialistes s’étonneront des voix qui leur auront manqué, quand ils constateront l’ampleur de l’abstention à gauche, quand ils s’inquiéteront de ne pas avoir été secourus face à la menace de l’extrême droite, ils feront bien de demander des comptes à Manuel Valls.

Mais, alors, il sera sans doute trop tard.Fin de la citation de Edwy Plenel sur Mediapart.

Je ne suis pas sûr. Les thèses de Manuel Valls plaisent aux électeurs.

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Christiane Taubira

Mme Taubira, garde des sceaux ministre de la justice, a subi récemment de violentes attaques racistes l'assimilant à une guenon : à la télévision (par une candidate FN aux municipales), dans une manifestation de l'association Civitas (par un abbé défilant en scandant des slogans racistes), dans une manifestation publique où une enfant de 12 ans, semble-t-il avec l'approbation de ses parents, défilait en comparant Mme Taubira à une guenon. Attaques non seulement racistes, mais d'un racisme que l'on croyait historiquement dépassé : le racisme « ancien » comparait les êtres « inférieurs » à des animaux (c'est le cas dans les exemples cités), le racisme « moderne » se déguise en s'en prenant aux différences culturelles et au risque d'invasion.

J'ai, sans doute comme beaucoup, été un peu écœuré par le fait que le Président de la République, garant des institutions, attende une semaine pour soutenir l'une de ses ministres, victimes de propos non seulement odieux mais totalement illégaux. Je ne crois pas que des poursuites aient été engagées. Selon d'obscures analyses tactiques, engager des poursuites valoriserait le front national ! Engager des poursuites contre les détenteurs de capitaux dans les paradis fiscaux valoriserait le capitalisme financier. Engager des poursuites contre les quelques hommes politiques corrompus valoriserait l'idéologie du « tous pourris ». (Le 13 11 2013 des poursuites sont tout de même engagées contre le journal Minute, à l'initiative du premier ministre.)

Quid de Mme Taubira, l'un des seuls ministres de gauche du gouvernement ? Je dis « l'un des seuls » pour n'oublier personne, et je compte sur vous pour m'en citer un autre.

Outre le fait d'être noire, Mme Taubira présente de nombreux défauts, inhabituels dans la classe politique : c'est une femme, elle est rigoureuse, déterminée, courageuse, travaille sur des faits et non sur des présupposés idéologiques. Insoutenable.

Le mariage pour tous était inscrit dans le programme du candidat Hollande : elle l'a soutenu avec hauteur de vue. (Personnellement je ne crois pas que c'était une question très urgente, mais elle a « fait le travail », comme on dit en américain, de façon remarquable.)

Mais alors, quid de certaines autres propositions du candidat Hollande ? Elles se heurtent à l'idéologie sécuritaire dominante, et font l'objet de vives critiques venant du sein même du gouvernement, cf. Manuel Valls, souvent soutenu par F. Hollande.

La réglementation des contrôles d'identité pour éviter trop de contrôles au faciès ? Abandonnée à la demande de Valls sous la pression des syndicats de police.

La suppression de la rétention de sûreté, loi juridiquement absurde créée par Sarkozy, qui consiste à garder en prison des gens non pour ce qu'ils ont fait mais pour ce qu'ils pourraient faire ? Promesse électorale totalement enterrée.

La fin de la destruction de la spécificité de la justice des mineurs, obsession du gouvernement précédent : rien.

Quant-aux lois pénales élaborées par Mme Taubira, je doute, dans le climat actuel, qu'elles aboutissent à quoi que ce soit : elles seront édulcorées parce que le gouvernement craindra que cela ne déplaise aux électeurs. Ou peut-être même leur examen par le parlement sera-t-il reporté sine die. Cela dit, tous les projets de Mme Taubira déplairont d'autant plus aux électeurs qu'ils vont à l'encontre du refrain permanent de la droite, et que personne à gauche n'aura pris le temps d'expliquer le sens de la nouvelle politique.

De quoi s'agit-il ? L'article paru dans le supplément Culture et Idées du journal Le Monde daté du samedi 9 novembre décrit la question bien mieux que je ne le ferais. J'avoue aussi que je n'ai pas relu à l'occasion de cet article les ouvrages donnant les points de réflexion indispensables, tel Surveiller et punir, naissance de la prison, de Michel Foucault.

Pour faire court et en résumant à ma façon : de longue date, et encore plus sous le gouvernement Sarkozy, l'opinion publique est marquée par l'idée que toute faute mérite punition et que la seule punition qui vaille est la prison, puisque hélas la peine de mort, la torture et le bannissement sont abolis. Toutes les lois prises sous Sarkozy étaient fondées sur ce présupposé : pour éviter la récidive, il faut emprisonner, en limitant le laxisme des corps judiciaires. Or cette affirmation, reprise par Manuel Valls, est une contre-vérité pure et simple : toutes les études nationales et internationales prouvent que la prison n'évite pas la récidive, au contraire. On peut même penser que, pour des primo-délinquants auteurs de délits mineurs, la prison est plutôt une école de la récidive. Après avoir étudié les faits, et, effectivement, contre le sentiment de l'opinion publique, Mme Taubira propose des peines de substitution à la prison, peines soigneusement encadrées et qui peuvent éviter une partie des récidives. Tollé général, y compris de Manuel Valls : quel laxisme, la population en a assez de l'insécurité, emprisonnons, emprisonnons.

C'est le type même du mensonge idéologique : au lieu de chercher les causes réelles d'un phénomène, on invente des solutions mythiques, qui ne résolvent rien mais sont portées par les électeurs. C'est la démocratie, me dira-t-on. Et bien non : la démocratie, c'est aussi d'informer clairement les citoyens pour des choix éclairés.

Bon, on verra : je crains bien que dans le contexte actuel toute cette réflexion sur la politique pénale ne passe à la trappe.

Le 8 octobre 2013 un collectif a adressé une lettre au premier ministre pour lui demander d'être reçu et d'aborder avec lui les questions concernant la justice des mineurs, l'abrogation de la rétention de sûreté, les peines de substitution, afin de hâter le vote de ces textes au parlement. Je ne sais pas s'il a été reçu, je doute qu'il soit entendu.

Composition du collectif : Ligue des droits de l'Homme, CGT pénitentiaire, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France, SNPES protection judiciaire de la jeunesse FSU, Personnels de l'administration pénitentiaire FSU, Observatoire des prisons, enseignement aux personnes incarcérées. Tous des bien-pensants laxistes.

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Un film

Quai d'Orsay, de Bertrand Tavernier, décrit avec dynamisme, humour et pertinence le fonctionnement du cabinet ministériel de Dominique de Villepin lorsqu'il était ministre des affaires étrangères. Intéressante réflexion sur le fonctionnement de l'appareil d’état.

Cela dit, pour ce qui est de l'appareil d’État, ne pas oublier le grand film de Pierre Schoeller « L'exercice de l’État », avec Michel Blanc. Ce film est maintenant disponible en DVD et Blue ray, et en streaming. Stupéfiant de profondeur, de réalisme et de rigueur d'analyse.

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A quoi bon l'école ?

Vous n'avez pas vu le film de Plisson « Sur les chemins de l'école » ?

Synopsis extrait de Allocine : Ces enfants vivent aux quatre coins du globe mais partagent la même soif d’apprendre. Ils ont compris que seule l’instruction leur permettra d’améliorer leur vie, et c’est pour cela que chaque jour, dans des paysages incroyables, ils se lancent dans un périple à haut risque qui les conduira vers le savoir.

Jackson, 11 ans, vit au Kenya et parcourt matin et soir quinze kilomètres avec sa petite sœur au milieu de la savane et des animaux sauvages.

Zahira, 12 ans, habite dans les montagnes escarpées de l’Atlas marocain, et c’est une journée de marche exténuante qui l’attend pour rejoindre son internat avec ses deux amies.

Samuel, 13 ans, vit en Inde et chaque jour, les quatre kilomètres qu’il doit accomplir sont une épreuve parce qu’il n’a pas l’usage de ses jambes. Ses deux jeunes frères poussent pendant plus d’une heure son fauteuil roulant bricolé jusqu’à l’école...
C’est sur un cheval que Carlos, 11 ans, traverse les plaines de Patagonie sur plus de dix-huit kilomètres. Emmenant sa petite sœur avec lui, il accomplit cet exploit deux fois par jour, quel que soit le temps.
(J'ai des doutes sur ce synopsis : en voyant le film j'avais compris que les enfants quittaient leur famille le lundi matin pour revenir le vendredi soir.)

Tout cela pour dire que ces enfants déshérités de pays déshérités font preuve d'une volonté extraordinaire pour rejoindre l'école, seule possibilité d'acquérir une formation qui leur permettra de transformer leur destinée.

Bof, me dira-t-on, vu le chômage en France, le diplôme permet de moins en moins de trouver du travail, d'où le découragement des jeunes devant l'école. C'est ce que je croyais, et je me trompais. Dans un article paru dans Le Monde des 13 et 14 octobre, 2013 Claire Guéaud rend compte d'une enquête de l'Insee datant de septembre : le taux de chômage des diplômés au delà de bac+2 est de 5,6 % quand celui des non diplômés est de 17 %. L'école est utile ! Mais les inégalités s'accroissent : au début des années 1970 les risque d'être au chômage pour les non diplômés était de une fois et demi plus forte que celui des autres jeunes. Au début des années 90 il est devenu deux fois et demi plus élevé, et trois fois plus élevé aujourd'hui. Il n'est pas du tout prouvé que le niveau baisse, mais sans aucun doute le niveau d'exigence de la société monte.

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Science, que reste-t-il à découvrir ?

C'est le titre du cahier science et médecine du journal Le Monde du 13 novembre 2013.

Un article sur la physique, par David Lerousseau.

La question « que reste-t-il à découvrir » était posée en physique dès la fin du XIXème siècle, ou un grand savant dont j'ai oublié le nom (vous allez me le rappeler) disait qu'il n'y avait plus rien à trouver en physique, sauf à expliquer deux petites expériences sur l'effet photo-électrique d'une part et l'expérience de Michelson et Morley d'autre part. Expliquer ces petites expériences a conduit à modifier radicalement la façon dont s'expriment les théories physiques, avec la relativité et la mécanique quantique. On a ainsi ouvert à des immensités de questions non résolues.

Je ne crois pas, pour ma part, qu'il y ait de limite à ce que l'homme peut chercher et connaître. Mais je ne crois pas non plus qu'un jour ou pourra dire « ça y est, on sait tout », car chaque question résolue en ouvre de nouvelles.

J'ai tenté de vous parler (en m'inspirant des explications de Étienne Klein) du boson de Higgs. Son existence était théoriquement nécessaire pour préserver la cohérence des théories décrivant les particules en mécanique quantique : sans le boson de Higgs, et selon ces théories (appelées modèle standard) les particules n'auraient pas de masse. Et c'est longtemps après l'hypothèse théorique que l'utilisation d'une machinerie complexes et d'ordinateurs puissant a permis à des milliers de savant travaillant en équipe de confirmer l'existence d'une particule qui a toutes les propriétés du boson de Higgs. Ouf ! Dans la théorie, avec le boson de Higgs, les particules ont une masse, ce qui était évident en pratique mais inexplicable sans le boson de Higgs.

Est-ce pour autant que l'on sait tout sur les particules et la matière ?

Une première question : l'interaction du boson de Higgs avec les autres particules permet d'expliquer la masse de ces particules. Mais pourquoi ce boson a-t-il la masse qu'il a ?

Et puis tant d'autres questions non résolues. La matière que nous connaissons et décrivons grâce aux théories actuelles ne représente que 5 % de l'univers. Les observations du satellite Planck obligent à admettre qu'il existe une matière noire, qui structure notre univers à grande échelle par son effet gravitationnel, empêchant par exemple que les galaxies n'explosent. Elle représente plus de 25 % du total de l'univers, et jusqu'à présent, malgré de gros détecteurs complexes on n'a jamais pu la mettre en évidence. Elle est indispensable théoriquement, mais on n'a pas pu prouver qu'elle existe. L'énergie noire, elle, représente 70 % du total, et explique l'expansion de l'univers. Mais, là encore, on en ignore tout, on ne la connaît que par ses effets, qui obligent à admettre qu'elle existe.

C'est comme pour le boson de Higgs. Si la matière et l'énergie noire n'existent pas, il faudra repenser entièrement les modèles théoriques par lesquels nous expliquons l'univers.

On est donc bien loin de tout connaître. Cette idée de « tout connaitre » est sans doute un mythe.

Est-ce que ces questions rapprochent du paradis terrestre et de l'interdiction faite par Dieu à Adam et Eve de goûter le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal ? Je ne sais. Dès qu'on parle de théologie, tout est symbolique, et une réflexion sérieuse sur ce mythe anthropologique dépasse mes compétences.

En tout cas je ne pense pas que l'homme ait à se fixer des limites dans ce qu'il a le droit de connaître. En revanche les réflexions éthiques sont cruciales, non pas sur la connaissance elle-même, mais sur les applications que l'on peut en faire.

Une autre remarque. Je ne crois pas que la recherche scientifique fondamentale doive « servir » à quelque chose. La recherche appliquée, oui, qui permet de faire évoluer les technologies. Les recherches très calées en mécanique ont permis de faire largement progresser les technique des prothèses. Mais a priori on n'a pas à se demander à quoi va servir la mécanique quantique ou la relativité. On constate après-coup que sans la théorie de la relativité pas de GPS, mais la question des applications ne se pose pas au départ. On cherche à connaître pour connaître.

C'est d'ailleurs l'un des grands risques que court la science de nos jours. Faute de crédits, la recherche est contrainte de passer des contrats avec l'industrie. Tout à fait légitimement l'industrie attend des retombées, alors que la recherche fondamentale ne peut pas les lui promettre, et qu'elle n'a pas à les lui promettre.

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Cannibales

Didier Daeninckx, Folio.

Par ce roman Daeninckx a fait connaître d'une opinion publique qui ignorait ces faits, l'existence d'un zoo humain d'une centaine de kanak en 1931 à Paris.

Je l'ai à nouveau parcouru. A lire absolument.

Cela dit, ce roman place clairement le zoo humain kanak au zoo de Vincennes, dans le cadre de l'exposition coloniale, alors qu'il était au jardin d'acclimatation hors exposition coloniale.

Je sais bien qu'il s'agit d'un roman, mais tout de même, Daeninckx aurait pu mettre une petite note en préface.

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Outre cet envoi par courrier électronique, les lettres[alerte] sont consultables sur

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fin de la lettre du 2013 11 14 / 14 novembre 2013