[alerte] - JM Bérard - 8 novembre 2013

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Que dire, que faire ?

Les kanak

Robert Vialle, dit Chamois



Que dire, que faire ?

L’État est pour l'instant paralysé par une impossibilité d'agir. D'étranges manifestations insurrectionnelles ont lieu en Bretagne. On met en cause le consentement à l'impôt, pilier de la république. Les « plans sociaux » (sociaux ! Si si, c'est le terme correct pour désigner les licenciements massifs) se multiplient. Et surtout les valeurs de notre vie commune s'effritent dangereusement.

Des propos racistes circulent sur internet et dans les têtes de tout un chacun : les roms ne peuvent être intégrés car différents de « nous » (!), l'arabe (que l'on présente systématiquement comme islamiste intégriste) devient l'envahisseur, l'occupant, et les noirs sont tout juste destinés à manger des bananes. L'ennemi c'est l'autre. C'est d'autant plus l'autre que l'on tient à son égard un vocabulaire d'exclusion : ce n'est pas un homme, il n'est pas comme nous, etc.

Il paraît qu'il y a en ce moment tant d'infractions de ce genre aux lois antiracistes que l'on ne peut pas les poursuivre : les procédures sont trop longues et cela leur donnerait de la publicité. (Étrange argument ! Il me semble qu'elles se développent fort bien sans cette publicité.)

Que dire, que faire quand une gamine de 12 ans (12 ans, elle est en cinquième, elle a l'âge de raison) brandit une banane en direction de Mme Taubira en criant « C'est pour qui la banane ? C'est pour la guenon.», sans que se parents ne réagissent ? (Si, si, elle a été filmée. Le simple fait de recopier cela me révulse.) Que faire quand dans une manifestation de l'association Civitas un abbé défile en criant « Y'a bon banania, y'a pas bon Taubira » ? Au moins dans un tel cas symbolique (c'est non seulement une noire, mais une ministre de la République qui est maltraitée) le parquet ne pourrait-il porter plainte contre les parents ? Et contre l'association Civitas ?

En tout cas, quel silence : les ténors de la vie politique, les intellectuels prompts à signer des pétitions, les artistes, rien. Aucune clameur de révolte. La presse (à l'exception de Libération et du Parisien) fait profil bas. Et quel silence écœurant du président de la République, garant des institutions, qui attend une semaine pour s'exprimer sur des propos odieux, illégaux et visant l'un de ses ministres.

Que dire, que faire ?

J'entends déjà vos protestations : vous vous en tenez à la surface des choses. Nous sommes en train de détruire méthodiquement notre cadre de vie. Nous remettons en cause la notion même d'humain par les manipulations génétiques et les tentations de l'homme augmenté et du transhumain, et vous n'en parlez pas.

C'est vrai. Le myope voit mieux ce qui est proche. Mais est-ce pour autant que le proche n'a pas d'importance ?

Que dire, que faire ?

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Les kanak

Pourquoi continuer, alors que, après le billet précédent, je pense qu'il n'y a, du moins pour aujourd'hui, plus rien à dire ?

Suite aux accords de Nouméa, le terme kanak est invariable

Au musée du quai Branly à Paris, jusqu'au 26 janvier 2014, a lieu l'exposition « Kanak, l'art est une parole ». La succession des objets choisis et exposés avec méthode nous emporte dans le mode de vie, les coutumes, la culture, la philosophie, la conception du monde des kanak de Nouvelle Calédonie. Arrivés au terme du parcours, dans la dernière salle, la sensation nous emplit d'être au cœur des racines de toute l'humanité.

Le livre de Didier Daeninckx « Le retour d'Ataï » (Folio, 4,90 euros) nous plonge avec force dans les excès répressifs des méthodes coloniales pratiquées par « la métropole » dans cette région et la montée des luttes de libération. Il me semble que ce livre m'intéresse d'autant plus que j'ai visité l'exposition la veille. (La chute est dans les deux dernières lignes. Il serait dommage de les lire à l'avance.)

A Paris, l'exposition coloniale de 1931 est érigée à la gloire des colonies françaises et de l’œuvre civilisatrice de la France. Les autorités coloniales persuadent une centaine de personnalités kanak de venir à Paris pour représenter la culture de leur île. L'arrière grand‑père du footballeur Karembeu fait partie du « lot ». En fait à leur arrivée ils sont enfermés pendant des mois dans une cage au jardin d'acclimatation. Leurs corps sont dénudés, malgré le froid et la pudeur. Ils sont présentés comme des anthropophages polygames. Leur exhibition attire les foules (des millions de visiteurs), les enfants leur jettent des cacahuètes. Des « savants » ayant mal lu Darwin, les classent tout en bas de l'humanité, juste au dessus des animaux. Au bout d'un temps des voix s'élèvent pour protester contre l'exposition coloniale, tels les intellectuels André Breton, Paul Eluard, Benjamin Péret, Georges Sadoul, Pierre Unik, André Crevel, Aragon, René Char, Maxime Alexandre, Yves Tanguy, Georges Malkine. Eh oui, à l'époque il y avait des intellectuels pour protester. De nombreuses personnalités religieuses et sociales se mobilisent contre le zoo humain. Selon wikipedia, la presse politique (L'Humanité, le Canard enchaîné) reste muette. Au bout d'un temps le zoo humain est démantelé. Certains kanak sont envoyés en Allemagne, qui manque de matériaux à exposer dans ses zoos humains. En échange l'Allemagne envoie des crocodiles, car la France manque de sauriens pour exposer dans ses propres zoos. La plupart des exilés auront le plus grand mal à regagner leur pays.

Voir le film zoos humains, expositions coloniales (tout est intéressant, mais si vous êtes pressés pointez sur 36 min.) Une phrase extraite du film : « l'autre est toujours monstrueux. » Beaucoup de vous ne cliquent pas sur les liens. Vous n'imaginez pas ce que vous perdez en ne regardant pas un film comme celui-ci.

Bon arrêtez de ressasser, c'est du passé... Personne ne propose d'enfermer Mme Taubira dans une cage. Tout ça n'est pas grave :-( :-(

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Robert Vialle, dit Chamois

Je vous ai déjà parlé de Robert Vialle, décédé récemment à St Jean d'Arves en Savoie. Ses plus proches amis ont rédigé une brochure que je dépose dans le nuage. La partie dans laquelle Robert dicte le récit de sa vie à ses amis est forte et émouvante.

Cliquer sur documents alerte puis simple clic sur Livret pour Robert. Pour compléter faites aussi un simple clic sur Un mur de l'artiste Robert.

Je relève dans la brochure une phrase qui fait rêver.

Robert a commencé à travailler à 12 ans. Pendant des dizaines années il a exercé le métier de maçon dans toute la région.

Et puis un jour des amis, qui avaient comme lui un itinéraire dense, mais très différent du sien, lui ont demandé de participer à la construction de leur maison. Ils ont discuté, échangé, confronté leurs expériences. Et dans ce contexte Robert a su faire éclore des talents qu'il portait en lui même, sans le savoir.

J'ai été maçon un peu partout en Savoie, […] Je travaille encore comme maçon et j'aime bien faire de beaux murs. Quand j'ai fait le mur au Collet, je ne savais pas que je pouvais en faire d'aussi beaux. Ça fait du bien de pouvoir faire de si belles choses.

Je ne savais pas que je pouvais en faire d'aussi beaux... Un peu d'espoir dans cette lettre sombre.

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fin de la lettre du 2013 11 8 / 8 novembre 2013