[alerte] - JM Bérard - 14 juin 2013



Sommaire

Mon nuage Google

Actualité

Babel ou le totalitarisme

Un livre

L'école détruit-elle le désir d'apprendre ? Souvent, oui

Du tableau noir à la tablette numérique

Tout le monde n'avait pas le certif, tout le monde n'a pas le bac

Alerte, tout va bien ou presque : entretien Larrouturou Rocard



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Mon nuage Google

Vous pouvez accéder aux documents que j'ai déposés dans le nuage (cloud) Google tout simplement en cliquant sur documents alerte .

Mode d'emploi : en cliquant sur le lien vous obtenez une pré-visualisation des fichiers. Il suffit alors de faire un simple clic (simple clic) sur la pré-visualisation pour que le fichier s'ouvre.

J'y dépose des textes, des images, sans autre critère de sélection que le fait que cela m'a intéressé et que je souhaite vous le faire partager. Vous pouvez piocher, flâner, zapper. Cliquez, vous ne risquez rien...

Cette semaine j'ai déposé la préface, la présentation des textes décrivant la vie dans une ferme belge, vue par le regard aigu d'une chaussette. Cliquer sur documents alerte puis simple clic sur la pré-visualisation Une vie préface.

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Actualité

En Grèce, une politique drastique d'austérité et de privatisations est en œuvre depuis six ans sous la pression, en particulier, du FMI. Il semble que cette politique n'ait aucun, absolument aucun effet positif sur la « relance » de l'économie, mais au contraire qu'elle crée un chômage, un laminage des classes moyennes, une pauvreté sans précédent. « Seuls les armateurs et l'Église échappent encore à la curée. » Libération 13 6 13. (Attention : le mot « la curée » ne signifie pas que les orthodoxes acceptent les femmes prêtres. On reconnaît les calembours de Libé.) Personnellement je n'ai jamais compris comment une restriction des moyens de la population peut permettre de relancer l'économie. C'est pour cela que l'on n'a pas voulu de moi au FMI. Du coup je suis moins célèbre que DSK.

Dans le monde entier on s'inquiète du fait que le gouvernement des USA ait accès, sans avoir à se justifier, à toutes, absolument toutes nos données numériques : téléphone, internet, données stockées dans les nuages, lorsque ces données transitent par des serveurs de sociétés US, largement employés par tous (Google, etc.). On se demande, à juste titre, ce que deviennent les libertés individuelles, la protection de la vie privée et aussi le secret industriel dans une période de guerre économique. De nombreuses associations militantes soupçonnaient et dénonçaient cela depuis longtemps, on en a maintenant des preuves.

On se rassurerait à bon compte en pensant que cela ne concerne que le gouvernement US. L'Europe est très divisée sur la question de la protection des données personnelles, qui sont devenues une marchandise d'une valeur fabuleuse.

Mystère : plus de la moitié des Américains restent favorables à une telle surveillance.

Dans l'opinion publique, le besoin d'une sécurité souvent illusoire semble l'avoir emporté, hélas. On en perçoit déjà les conséquences. Lorsque nous en ressentirons davantage les effets, il sera beaucoup, beaucoup trop tard. Il est déjà bien tard !

En France, 13 6 2013 , le projet de loi préparé par Mme Taubira pour protéger le secret des sources des journalistes est vidé d'une partie de son contenu sous la pression des ministères de la défense et de l'intérieur. (Le Monde, La reculade, 14 6 2013). Le Monde cite Robert Badinter (sans préciser la date) : « la France n'est pas la patrie des droits de l'homme, c'est la patrie de la Déclaration des droits de l'homme »

Nos conditions de vie sur la Terre

La cour de justice européenne vient de condamner la France pour pollution des eaux par excès de nitrate. Faut arrêter, là : de quoi se mêlent les bureaucrates de Bruxelles ? On est chez nous. Laissez tranquilles nos agriculteurs productivistes, nos nappes polluées et nos algues vertes.

Les preuves du danger des pesticides s'accumulent, les produits phytosanitaires provoquent des cancers et des troubles neurologiques. (Source Inserm 13 juin 2013). Faut arrêter, là : en agriculture productiviste, il faut bien des pesticides pour produire de quoi nourrir la population. On mourra de tumeurs diverses, mais l'on aura moins faim.

Les insectes sont de plus en plus résistants aux produits chimiques chargés de les détruire. Et alors ? Cela montre bien qu'il faut produire de plus en plus de produits chimiques nouveaux.

Halte aux ayatollahs écolo qui veulent freiner le progrès et revenir à l'âge de pierre. Retournons beaucoup plus en arrière, aux époques géologiques où l'humain n'existait pas.

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Babel ou le totalitarisme

« L'exposition Babel » a eu lieu de juin 2012 à janvier 2013 au Palais des Beaux Arts de Lille. Le catalogue de l'expo est un objet superbe, avec de magnifiques reproductions de dessins et tableaux, de « La tour de Babel », 1563 Bruegel l'ancien, aux multiples, étouffants et vertigineux immeubles de Rousseau (2011) ou Yongliang (1980).

Vous trouverez une présentation de l'exposition sur

Présentation exposition Babel Lille où vous verrez plusieurs des œuvres exposées, et aussi

Dossier de presse Babel

La Bible dit que les peuples de la terre, qui parlaient tous la même langue et utilisaient les mêmes mots se mirent à construire une tour dont le sommet pénètrerait les cieux. Et Yahvé se dit que ce n'était pas bon, car l'Homme tentait d'être à l'égal de Dieu. Il confondit leurs langages, et les hommes, qui ne se comprenaient plus, se dispersèrent à la surface de la Terre et cessèrent de construire la tour. L'expression « confondre » est celle employée dans la traduction de l'école biblique de Jérusalem, et, étrangement, elle ne signifie pas rassembler mais disperser, jeter la confusion dans l'unique, faire naitre plusieurs langues là où il n'y en avait qu'une.

Selon ce que j'ai compris des textes de réflexion que l'on peut lire dans ce beau catalogue, le sens de ce mythe ne se réduit pas à une mauvaise humeur de Yavhé craignant d'être dépassé, mais marque que si tous parlaient la même langue et avaient le même projet il n'y aurait aucune diversité entre les hommes.

S'en tenir à une seule langue c'est méconnaitre le rapport d'altérité. […] Un langage unique ne peut rendre compte des diversités d'approche du monde. […] Dans notre langage moderne nous appellerions totalitarisme cette situation de centralisation en une seule langue et un projet commun. […] Babel peut se concevoir comme la richesse des échanges interlangagiers, (p. 43) et sans doute aussi comme la richesse que crée la diversité entre les êtres humains (JM B). Le désir n'existe que s'il y a différenciation, oppositions et différences pour lesquelles les hommes luttent et combattent. C'est par ces luttes que leur existence reçoit son sens moral. Yeshayahou Leibowitz, philosophe israélien. Quoi que... je m'interroge sur le choix des mots « lutte » et « combat », mais je ne suis pas philosophe. Je veux les comprendre au sens de combat pour un idéal, et pas au sens de guerre.

Le mythe de Babel (qui n'est pas propre à la tradition biblique) est donc l'un des mythes fondateurs de l'humanité et exprime que tous ne restent pas dans la confusion (rassemblement) du un, mais que le un essaime en tous et se disperse dans le monde. Enfin bon, c'est comme cela que je comprends les choses. La fin de la construction de la tour n'est pas un échec, mais une ouverture vers l'humanité.

C'est étrange car j'avais toujours cru que Babel marquait l'incapacité des hommes à s'entendre, alors que son non-achèvement est un signe d'ouverture, de non-repli. Je croyais aussi que la multiplicité des langues était un obstacle à la communication entre les hommes. Voici que le mythe prend pour moi un autre sens.

Babel est toujours d'actualité, elle se réalise sous nos yeux quand les mégalopoles poursuive leurs courses vers les sommets, quand le langage web devient le nouvel esperanto qui relie les hommes en une seule communauté d'internautes. Du village global au réseau mondial, de la crise internationale aux bouleversements climatiques, Babel illustre l'évolution incontrôlable du monde présent. (Régis Cotentin, p. 33)

Dès le début du XXème siècle (1927) le film « Métropolis » de Fritz Lang augurait de l'avenir funeste de l'industrialisation massive. Le réalisateur allemand espérait sur la foi de la raison humaine, incarnée par une femme, que le monde reprendrait conscience et recouvrerait une raison démocratique. (p. 61)

La planche de bande dessinée de Brambilla, p. 51, pousse cette interprétation dans ses conséquences : la mondialisation fait que nous ne parlerons bientôt plus qu'une langue unique et appauvrie, l'anglais réduit à 500 mots, et que nous sommes tous collés au même chantier de l'économie de marché. Pour atteindre quel ciel ?

Une langue, le globish, un projet, l'économie de marché, un réseau mondial orientant surveillant et normalisant notre pensée. Le totalitarisme ? Ein Volk, ein Reich, ein Führer. Non, plutôt un totalitarisme désincarné et sans limite. Nous n'en sommes pas là, mais le chemin, facile, s'ouvre hélas devant nous.

J'ai été passionné par la lecture de cet ouvrage, mais cela ne résout pas, à mes yeux, la question de la limite à déterminer entre le local et le global pour permettre le lien social.

Toute petite fierté personnelle : j'ai écrit en 1996 le texte « La toile de Babel », qui compare l'internet à la bibliothèque de Babel de JL Borgès. Vous le trouverez dans le nuage en cliquant sur documents alerte puis en faisant un simple clic sur la pré-visualisation « Toile de Babel ».

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Un livre

Je me demande parfois si l'on n'apprend pas mieux l'histoire par les romans et les films (s'ils sont historiquement fondés) qu'à l'école. Je suis souvent très intéressé par les romans policiers de la collection Grands détectives. Certains sont mal faits, tirent à la ligne en recopiant des pages entières de Wikipedia, mais dans d'autres l'intrigue nous plonge dans le cœur du fonctionnement d'une société, comme Nicolas Lefloch menant ses enquêtes à l'époque de Louis XIV.

Le célèbre mathématicien Alain Connes, son directeur de Thèse Dixmier et son épouse Danye Chéreau s'unissent pour éditer un roman policier « Le théâtre quantique ». A propos de la mort d'une jeune chercheuse dans un laboratoire l'ambition est « d'initier le lecteur aux plaisirs et aux mystères de la mécanique quantique ». Source : Le Monde

Beau défi. Plus difficile que de nous plonger dans l'époque de Louis XIV.

Odile Jacob, 215 p, 20,90 euros.

Je ne vous en dis rien (ce n'est pas plus mal) car je l'ai commandé (chez le libraire) mais pas encore lu. Je vous dirai la prochaine fois si j'ai compris d'une part la mécanique quantique, d'autre part l'intrigue amoureuse et le dénouement que Le Monde décrit comme surprenant et un peu osé. Comme pour Pascal, le silence des espaces infinis m'effraie, et comme pour chacun de vous l'érotisme de la mécanique quantique me donne le vertige.

Ajout au 21 6 2013. Je l'ai lu, décevant.

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L'école détruit-elle le désir d'apprendre ? Souvent, oui

« Alors, pourquoi tu veux l'être, institutrice ? Pour faire chier les mômes. » Zazie, onze ans, dans Zazie dans le métro, Raymond Queneau.

Sans exagérer, très sérieusement et très gravement, je suis de plus en plus convaincu que le système scolaire détruit, très souvent, le désir de connaître, d'explorer, d'apprendre pourtant vivace chez les enfants. L'idéologie scolaire de la faute, de l'échec, du classement marque chacun, rares sont ceux dont la créativité y survit. Cette idéologie baigne l'ensemble de notre société et tue finalement le plaisir de connaître, de créer et aussi de travailler avec d'autres, car on risque d'être jugé.

C'est d'ailleurs l'un des résultats de l'évaluation internationale PISA : paralysés par la crainte de l'échec, les élèves français réussissent beaucoup moins bien que les autres dans tous les exercices qui demandent un peu d'initiative, d'invention, de créativité.

Je dis cela parce que, au départ, j'ai été surpris par votre réticence à réjouir vos petites cellules grises sur des exercices de logique ou de mathématiques. Et puis je crois avoir compris. Beaucoup m'ont dit « je ne regarde même pas tes exercices de math », et l'une m'a expliqué : « j'ai beaucoup souffert à l'école du couperet, du bon point ou de la sanction qui tombaient en permanence. Je suis maintenant cadre, et n'ai pas l'intention, adulte, de me remettre en situation d'échec, alors que c'est moi maintenant qui évalue les autres. »

Même si les épreuves de certif que je citais dans le précédent numéro de [alerte] semblent définitivement appartenir au passé, leur principe continue d'envahir l'espace de l'école et de la société. Le maitre sait, on doit lui redire ce qu'il a dit, et le couperet tombe : humiliation de celui qui ne sait pas (voit la gêne que provoque chez chacun de nous le fait d'être pris à faire une « faute » d'orthographe, suprême délit social ), notation à la précision illusoire mais terrifiante, classement, comme si le but n'était pas d'apprendre et de mesurer ses propres évolutions mais de se situer les uns par rapport aux autres et de faire plaisir au maitre et à ses parents. Du coup, tout apprentissage qui se fonde sur une « vérité », l'orthographe, les mathématiques, dans une certaine mesure les sciences, suscite la répulsion. Vérité implique ensuite jugement et condamnation. On ne court pas ce risque en s'intéressant à la littérature, la politique, au cinéma, domaines où des opinions contradictoires peuvent s'exprimer, où deux critiques du Masque et la Plume peuvent avoir des avis opposés sur le même film.

Je ne peux pas dire que je vais relire « Chagrin d'école » de Pennac, roman qui décrit toute la détresse de l'enfant dans un monde scolaire qu'il ne comprend pas. Et qui l'anéantit. Je ne peux pas le relire car je ne l'ai pas lu. Je me précipite. Question totalement provocatrice : Pennac serait-il devenu un romancier créatif s'il n'avait pas été humilié à l'école ? :-) Question sans objet : ce n'est pas parce que une personne s'en sort que statistiquement la majorité est épargnée.

Au total, même de nos jours, l'institution école n'a pas essentiellement pour objectif de nourrir la connaissance, la créativité, la sensibilité artistique de tous, mais bien de classer, de dégager une élite scolaire, de la distinguer des cancres, et de convaincre les cancres qu'ils n'ont, par leur faute, pas grand chose à attendre de la société.

Certains mouvements pédagogiques, ou encore les écoles de Sophie Rabhi tentent de changer les mentalités, mais c'est fort difficile dans une société libérale imprégnée de l'idée de concurrence et de réussite individuelle, où la plupart des parents demandent des notes, des classements, des redoublements et un retour à plus de sévérité. Nostalgie de la belle époque du certif, même si, comme je le disais dans la précédente [alerte] cette nostalgie est totalement illusoire.

http://www.rue89.com/2013/01/11/chez-la-fille-de-pierre-rabhi-une-ecole-ou-ladulte-sadapte-lenfant-238499

Sophie Rabhi pointe à juste titre le rôle normatif, étouffant et démobilisateur du système actuel. Mais je suis en total désaccord avec l'expression « offrir un enseignement au plus près des envies des enfants. » Comment peut-on avoir envie de ce que l'on ne connait pas ? Et la société n'a-t-elle pas à faire valoir les nécéssités du lien social dans la définition de ce que l'on enseigne aux enfants, le socle commun pour faire court ?

Le numéro 3307 de Télérama contient un article de six pages : Une autre école est possible.

Oups, comme disent les ordinateurs lorsqu'ils n'arrivent pas à résoudre une situation. Dans cet article je soutiens l'idée d'un socle commun pour créér du lien social. Dans l'article sur Babel les textes que je cite soutiennent l'idée d'une diversité nécessaire pour éviter le totalitarisme. Cela semble un peu contradictoire ! Il faut que j'approfondisse la question ! Imposer le français comme langue nationale dans un pays aux multiples langues régionales ? Imposer aux écoles un socle commun, ou laisser chacune choisir ce qu'elle enseigne ?

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Du tableau noir à la tablette numérique

Ce titre est volontairement décalé, car ma thèse est que si l'on tente cette transition du certif au numérique sans changement en profondeur des modes d'enseignement, d'apprentissage et d'évaluation, les usages du numérique dans le système éducatif sont voués à l'échec. Inutile de remplacer un tableau noir par un tableau blanc numérique si c'est pour garder le même fonctionnement du système scolaire. Aucune étude à ma connaissance n'a prouvé que le numérique, à soi seul, améliore les performances scolaires des élèves, celles que l'on teste lors des évaluations et des examens.

De l'information à la connaissance, de la connaissance au savoir

A l'époque du certif, le maître était seul détenteur du savoir à dispenser et à évaluer, l'internet met le savoir à la portée de tous.

Que vont devenir les enseignants si, avant le cours ou dans la salle de classe les élèves peuvent interroger leur tablette, leur smartphone pour explorer les savoirs dispensés en classe ? Michel Serres affirme « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà déjà partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais tout le savoir est accessible à tous. »

En toute modestie, je ne suis pas du tout d'accord avec Michel Serres.

Certes, l'information est disponible partout et pour tous. Cependant, comme dans la bibliothèque de Babel de JL Borgès, où sont présents sans exception tous les livres qu'il est possible d'écrire, on trouve sur internet tout et le contraire de tout. Le rôle de l'enseignant, du système éducatif dans un système démocratique est vital : apprendre à faire le tri, à analyser l'information reçue, sa date, son auteur, ses sources, à la croiser avec d'autres, pour en estimer la validité dans le fatras de la Toile. Dans une bibliothèque, les livres ont un éditeur, ont été sélectionnés par le bibliothécaire, sont indexés, et doivent cependant faire l'objet d'analyses critiques. Rien de tout cela dans le fatras de ce que chacun peut déposer sur internet. Une première étape de tri critique, une formation à la recherche sur internet sont indispensables.

Une fois cela fait, seule une partie de la tâche est accomplie. L'internet, me dit-on, est comme une vaste bibliothèque où tout le savoir du monde est accessible. Je ne crois pas du tout que tout le savoir du monde soit accessible intellectuellement dans les bibliothèques. Un livre du mathématicien Bourbaki, un ouvrage d'un philosophe chinois écrit en chinois ne sont pas pour moi un savoir accessible. Comme on le dit souvent actuellement, le rôle de l'enseignant est de guider les élèves pour faire le chemin intellectuel qui conduit de l'information à la connaissance, de la connaissance au savoir. Il faut pour cela qu'il apporte des connaissances, encore, car rien ne se bâtit sur rien. Il faut aussi qu'il développe les méthodes de raisonnement logique. Mais il faut surtout qu'il guide le travail consistant à décanter, pétrir, à assembler, à comparer, à sculpter tout cela pour en faire un savoir cohérent permettant d'échanger avec d'autres et de créer et non d'en rester à la surface d'un patchwork. A vrai dire, rien de nouveau avec le numérique : c'est ce qu'est, ce que devrait être en permanence le rôle de l'enseignant. Simplement, avec le numérique, on sort de la parole du maitre, du CDI de l'établissement, de la bibliothèqe municipale pour accéder à une quantité immense de ressources, ce qui change un peu la donne.

Nous ne savons pas le faire, me dit-on. Nous savons dispenser des connaissances disciplinaires dans un cadre bien défini, mais comment former l'esprit logique et construire un savoir à partir d'informations multiples dont nous ne maitrisons pas les flux ? Il le faudra bien, car le dehors est là, qui surgit et éclot. Nous ne sommes peu formés à cela, que ce soit comme anciens élèves ou comme enseignants. Il me semble que l'on ne peut se poser la question du rôle du numérique dans l'école sans travailler cette question du passage de l'information au savoir et du savoir à la connaissance.

L'évaluation des élèves

La démocratisation et la refondation de l'école supposent que l'on modifie de façon drastique les objectifs de l'évaluation des élèves, que l'on sorte ce ce système de sélection et de tri que le sociologue Antibi appelle « la constante macabre ». (Voir plus haut l'article « L'école détruit-elle le désir d'apprendre ? »  Dans Libération le 13 6 2013 le sociologue Pierre Merle affirme : « la pédagogie doit être repensée, en France, par exemple, le système de notation est très décourageant. […] Il faudrait une autre forme d'évaluation pour aboutir à une école qui aide et intègre, et non à une école qui classe. L'école doit abandonner son obsession de la hiérarchie. » Il faut sortir d'un système où l'on note pour marquer les insuffisances, au lieu d'évaluer pour marquer les progrès.

La démocratisation et la refondation de l'école supposent aussi que l'on modifie les méthodes d'évaluation traditionnelles : lors du mythique certificat d'études, le maître dit, l'élève enregistre, le maître questionne pour savoir si l'élève peut redire ce qu'il a dit. (Effet « de quoi sont les pieds. ») Le numérique nous oblige à ces bouleversements : avec l'accès de tous à de nombreuses sources d'information, l'évaluation ne peut rester dans l'implicite d'une relation maître-élève. De plus, il sera de plus en plus difficile d'interdire sérieusement les moyens de communication avec l'extérieur pendant les examens.

En Suède, dans certaines disciplines, l'accès à l'internet est autorisé pendant les examens. Les relations individuelles avec l'extérieur (chat, mél) sont interdites.

Cela suppose de notre part un travail considérable pour faire évoluer les sujets d'évaluation, et les sortir de la simple répétition. Les questions posées doivent permettre aux élèves de réfléchir à partir de situations non encore rabâchées en classe, de faire fonctionner leurs connaissances en dehors du simple psittacisme, peut-être même de travailler en réseau avec d'autres dans certaines épreuves. Nous ne savons guère élaborer de telles questions. Sans doute aussi faudrait-il renoncer au mythe de l'examen solennel, certificat d'études ou bac, pour diversifier les moments et les formes des évaluations.

Le numérique ne modifie pas à lui seul la nature des exercices d'évaluation, mais il offre un outil remarquable pour créer de nouveaux outils.

Le numérique ne peut contribuer aux apprentissages et l'évaluation que si l'on modifie les méthodes d'enseignement et d'apprentissage et les méthodes d'évaluation. Inverser les causes et les conséquences serait illusoire, et conduirait une fois de plus à un constat d'échec du numérique.

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Tout le monde n'avait pas le certif, tout le monde n'a pas le bac

Dans le précédent numéro de [alerte] j'insistais sur le fort clivage du système éducatif, dans, par exemple les années 1920 : le certif pour les enfants d'ouvriers et de paysans pas riches. Et de plus seuls 50% de ces enfants obtenaient ce mythique certificats. Puis écoles primaires supérieures pour former les cadres moyens, et bac pour l'élite.

JP Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire, décrit ainsi la situation du bac aujourd'hui:(Source : le café pédagogique, 13 6 2013)

"On constate qu'il y a encore de très grandes inégalités dans notre pays dans l'accès au bac général et technologique ou même professionnel", a déclaré Jean-Paul Delahaye en ouvrant la présentation du bac 2013. "Trois catégories sociales dans notre pays aujourd'hui voient pour leurs enfants les chances d'obtenir le bac quel qu'il soit diminuer. Ce sont les enfants d'inactifs, d'employés de service et d'ouvriers non qualifiés". Sur la génération qui est entrée en 6ème en 1995 et dont on peut suivre la scolarité, 13% des enfants d'inactifs n'ont même pas atteint la 3ème, contre 0,4% des enfants d'enseignants. Pour le bac 9% des enfants d'inactifs, 13% des enfants d'ouvriers non qualifiés ont obtenu un bac général contre 72% des enfants d'enseignants. "En réalité dans notre pays les écarts sont en train de se creuser... et tout le travail de la refondation de l'école est...de réduire ces écarts insupportables de réussite selon les origines sociales", a déclaré JP Delahaye. "C'est important d'avoir ces chiffres en mémoire... Tout le monde n'a pas le bac. Tout le monde n'entre pas en université. On a des marges de progression importantes chez les jeunes d'origine populaire".

Sans doute, à condition de refonder vraiment l'école, les méthodes d'enseignement, d'apprentissage et d'évaluation et de ne pas se limiter à quelques mesures institutionnelles ou organisationnelles.

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Alerte, tout va bien, ou presque... disait l'autruche bien informée : entretien Larrouturou Rocard

Un extrait de la lettre d'information du collectif Roosevelt, qui cite un extrait de l'entretien Larrouturou Rocard dans Le Monde du 14 6 2013, page 17

Petite récession ou crise de civilisation ? La réponse est évidente. Non ! Ceci n'est pas une "petite récession". Une banale récession comme nous en avons déjà connu quatre en quarante ans. [Edgar Morin a raison : nous sommes face à une crise de civilisation. Phrase non présente dans le journal papier. Peut-être sur le site ?] Comme celle de 1929, cette crise peut conduire à la barbarie : guerre aux frontières de la Chine, guerres pour l'eau ou pour l'énergie, émeutes urbaines et montée de l'extrême droite en Europe... [Si nous continuons à laisser pourrir la situation, si nous continuons à mettre quelques rustines en misant sur un miraculeux retour de la croissance (auquel plus personne ne croit) Idem] tout cela peut, en quelques années, finir dans un fracas terrifiant. [...] Crise sociale, crise financière, crise climatique, crise démocratique, crise du sens... dans tous ces domaines, nous sommes proches d'un point de non-retour. L'humanité risque une sortie de route. C'est l'ensemble de notre modèle de développement qu'il faut changer, de toute urgence."

Dans la suite de l'entretien publié par Le Monde les auteurs donnent des directions de travail à entreprendre d'urgence : organiser un nouveau Bretton Wood, mettre fin aux privilèges incroyables des banques, lutter contre les paradis fiscaux, lutter contre le chômage en élaborant un nouveau contrat social assurant un meilleur partage des gains de productivité. En fin d'entretien les auteurs citent Mendès France : l'immobilisme et la pusillanimité sont toujours plus dangereux que l'audace. Je n'ai pas compris. Pensent-ils que Hollande a trop d'audace ?

Oui, bon, pas de problème. A l'aise. Il suffit de convaincre les états du monde entier, les détenteurs de capitaux, le patronat et les détenteurs de rente. Ce n'est ni plus ni moins compliqué que de refonder le système éducatif français.

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Diffusion libre à condition de citer la source, [alerte] JM Bérard, et impérativement la date.

Lorsque vous m'envoyez des réactions, je les publie sans votre signature. En effet, c'est une chose que d'écrire à des personnes que l'on connait ou qui sont rassemblées sur la base d'un consensus précis, c'en est une autre d'écrire à une liste à laquelle chacun peut s'abonner sans condition ou sur un site auquel chacun a accès.

Si vous préférez que vous contributions soient signées, dites-le moi en les envoyant.

jean-michel.berard orange.fr

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fin de la lettre du 2013 6 14 / 14 juin 2013