[alerte] - JM Bérard - 21 mars 2013

Sommaire

  1. Notes au jour le jour

Un film : Notre monde

Pique-nique

Pour rire un peu

Idéologie : loi Peillon

Relations sociales

Séparation des pouvoirs

  1. Vulgarisation scientifique

Cédric Villani

Les merveilles et les mystères de la glace

A quoi sert la recherche scientifique ?

Les travaux du laboratoire Kastler Brossel

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Cette lettre est diffusée par envoi de message électronique. Vous pouvez vous inscrire sur la liste de diff sur simple demande. On peut aussi se désinscrire.

Jean-michel.berard   orange.fr

La liste de diff comporte environ 200 personnes, et qui plus est les billets sont disponibles sur le présent site internet. C'est pourquoi, lorsque vous m'envoyez des réactions, je les publie sans votre signature. En effet, c'est une chose que d'écrire à des personnes que l'on connait ou qui sont rassemblées sur la base d'un consensus précis, c'en est une autre d'écrire à une liste à laquelle chacun peut s'abonner sans condition.

Si vous préférez que vous contributions soient signées, dites-le moi en les envoyant.

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Diffusion libre, en citant la date et la source.

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Le Monde daté du 22 mars 2013 consacre sept pages aux sciences. Non non, ce n'est pas le supplément hebdomadaire sciences et technologie, c'est un numéro ordinaire. L'idée que la science fait partie de la culture générale progresserait-elle ? En tout cas le présent numéro de [alerte] comporte plusieurs articles consacrés aux sciences : ces articles ne sont pas particulièrement destinés à des spécialistes.

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1 Notes au jour le jour

Un film : Notre monde

Bande annonce http://www.notremonde-lefilm.com/le-film.html

C'est long (deux heures), c'est austère (des intellectuels filmés en plan fixe) et pourtant c'est un moment d'intense jubilation.

Dans de courtes séquences (éducation, santé, justice, démocratie, Europe,...) on aborde d'une façon extraordinairement stimulante intellectuellement un ensemble de questions de fond sur notre société, on est conforté sur ce que l'on sait, on découvre tout ce à quoi l'on n'avait pas pensé, on a envie de projeter le film séquence par séquence pour en débattre avec des amis.

Citation de la présentation du film

Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d'expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean-Luc Nancy à "une pensée commune".

Plus encore qu'un libre espace de parole, Notre Monde s'appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : "faites de la politique" et de préférence autrement.

Rassurez-vous et précipitez-vous : le film est infiniment plus intéressant que ne le laisse supposer cette présentation fade...

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Pique-nique

J'avais dans la lettre précédente dit tout le plaisir d'un pique-nique sur l'autoroute avec des amis et des produits savoyards. L'une de vous m'écrit :

Juste pour vous dire que j'apprécie beaucoup sur l'autoroute les restaurants de l'Arche (surtout pas ceux d'Auto grill qui sont affreux) car vous pouvez y manger de superbes tranches de jambon à l'os chaud avec le légume de votre choix.

Comme le disent certains de vous : le plus intéressant dans ta lettre, ce sont les recettes de cuisine. Pourquoi pas, c'est un plaisir partagé, comme celui de choisir un restaurant pour déjeuner entre amis.

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Pour rire un peu

Voici une publicité inventive. Chute surprenante... A ne pas manquer. La technologie c'est bien, mais...

http://vimeo.com/61275290

Vidéo, 40 secondes.

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Idéologie : loi Peillon

La loi Peillon sur la refondation de l'école est en cours de débat au parlement. On y trouve beaucoup de décisions très porteuses d'avenir pour la formation des élèves, des citoyens. L'éducation nationale est un gros système, (un million de personnes), les évolutions ne seront pas rapides, mais la loi sur la refondation donne des principes et des orientations solides pour ces évolutions.

Trois exemples (qui, je suppose, créeront des réticences chez certains d'entre vous, mais je suis prêt à en discuter) : consécration forte de l'idée du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, affirmation forte du collège unique, refus d'une orientation précoce vers la formation professionnelle et l'apprentissage, pratique des redoublements seulement dans des cas tout à fait exceptionnels.

Un député UMP tranche : cette loi est uniquement idéologique. Je suppose qu'il veut dire que l'on plaque des théories toute faites sur une réalité complexe. C'est bien connu : l'idéologie, c'est ce que pensent les gens qui ne pensent pas comme moi.

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Relations sociales

Selon le site figaro.fr le 19 3 2013,

Une chaîne de cafétérias installée en Italie sur les aires d'autoroute impose à ses employés de porter un bip qui se déclenche dès qu'ils restent immobiles plus d'une minute et demie.

Les responsables de l'entreprise expliquent que cela ne concerne que les employés qui travaillent la nuit : s'ils sont agressés, ils restent immobiles sous la menace de leurs agresseurs armés, et le bip se déclenche ! Ce n'est évidemment pas du tout pour vérifier qu'ils ne s'endorment pas, vers 2h du matin, lorsqu'il y a peu de clients.

Ce système existe sur les TGV pour vérifier que le conducteur ne s'endort pas ou n'est pas mort. Mais sur un TGV, on peut comprendre... D'autant plus que, justement, la sécurité du conducteur est aussi en cause.

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Séparation des pouvoirs

Allez, après les compliments sur Peillon, une critique de Manuel Valls, ministre de l'intérieur et des cultes.

Une employée musulmane d'une crèche parentale privée refuse d'enlever son voile pour travailler. La cour d'appel lui donne tort : l'employée n'a pas le droit de garder son voile. Mais la cour de cassation casse ce jugement et renvoie devant une autre cour d'appel.

Élisabeth Badinter, Jeannette Boughrab s'indignent de cette grave atteinte à la laïcité. Pas de problème. Sauf que, tout de même, elles devraient savoir que la cour de cassation ne juge pas sur le fond mais sur la forme (conformité de la procédure aux règles). Ce sera à la nouvelle cour d'appel de décider, il est trop tôt pour crier à l'atteinte à la laïcité.

Plus grave est l'intervention d'un ministre devant l'assemblée nationale. Manuel Valls conteste la décision de la cour de cassation, en y voyant une atteinte à la laïcité. D'une part il feint de méconnaitre ce qu'est la cour de cassation, mais surtout ignore le principe de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Depuis quand, parlant officiellement devant les députés, un ministre a-t-il à contester une décision de justice ?

La justice rend ses décisions en respectant les lois en vigueur et pas selon les convictions personnelles des juges. Si l'exécutif estime que ces lois ne sont pas bonnes, il faut proposer au législatif de les changer. C'est beaucoup plus démocratique que de faire pression sur les juges.

Pour éviter des remarques inutiles, je précise que ce paragraphe porte uniquement sur le principe de séparation des pouvoirs. Hélas, pour l'instant, je n'ai pas d'avis de fond sur le problème posé.

2 Vulgarisation scientifique

Cédric Villani

Dans Le Monde daté du 22 mars 2013 une double page est consacrée à Cédric Villani, mathématicien, médaille Fields (une très haute distinction dans la recherche en mathématiques) qui, outre ses recherches, consacre du temps à la vulgarisation. Il anime ainsi, en coopération avec Le Monde, une collection d'ouvrages intitulée « Le monde est mathématique. » Quelques titres déjà parus : La secte des nombres, La quatrième dimension, Dilemmes de prisonniers et stratégies dominantes.

Citations :

Il faut s'adresser à tous ceux qui ne feront pas des sciences leur métier, mais qui sont curieux de savoir à quoi ça sert. La vulgarisation remplit la fonction de rapprocher au niveau intellectuel et sensible les chercheurs et les autres. [...]

Il est important et enrichissant pour tout le monde de comprendre ce qui a été réalisé avec la mathématique, une science assez extraordinaire. [...]

La mathématique, c'est comme tout : cela peut se raconter à n'importe quel degré de complexité.[...]

La vulgarisation est une compétence qu'on acquiert et développe pour toucher les gens et être accessible. L'ensemble du corps scientifique a longtemps considéré avec un peu de dédain cette activité, mais les temps changent. [...]

J'ai souvent parlé dans cette lettre du hiatus qui peut se créer entre la recherche scientifique et le public : la mécanique quantique, la relativité, la mathématique sont si éloignées de nos conceptions courantes qu'il est difficile d'en percevoir la réalité et les enjeux. Cela rend donc difficiles les débats citoyens sur les développements des application de la science. Il est heureux que, bien que cela ne soit guère reconnu dans leur carrière, des chercheurs comme Étienne Klein en physique, Villani en maths prennent le temps de ce travail de vulgarisation. J'ai la sensation que, en connaissant bien le sujet, on peut dire beaucoup de choses à chacun (peut-être dès l'école maternelle.) Mais, pour vulgariser des sujets complexes, il faut des chercheurs de très haut niveau connaissant très bien la question. Rares sont ceux hélas qui sont à la fois chercheurs et vulgarisateurs.

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Les merveilles et les mystères de la glace

Cédric Villani, Le Monde, 16 mars 2013 (oui, celui dont je viens de parler)

J'ai été stupéfait en lisant cet article d'apprendre que, au plus haut niveau de la science, on ne sait toujours pas expliquer la cristallisation des liquides à basse température. (L'eau gèle).

Source d'émerveillement depuis quatre cents ans, les infinies variations des motifs symétriques des cristaux de neige ont fasciné les scientifiques, à commencer par Kepler et Descartes. [...]

Les chutes de neige, de grêle et de pluie nous interpellent sur le phénomène de changement d'état, l'un des mystères les plus épais et les plus merveilleux de la physique classique. Un changement d'état n'est pas lié à une modification de la nature des particules : un atome d'eau ou un atome de glace, c'est la même chose.[...]

Quelque chose devrait nous stupéfier si nous n'y étions pas habitués : quand on fait varier la température ou la densité d'un corps, le changement se produit subitement, et non progressivement : ainsi, sous la pression de une atmosphère, l'eau bout à 100° Celsius. Ni plus ni moins.[...]

L'eau est un liquide complexe, siège de nombreux phénomènes physico-chimiques. Mais on a montré dans des simulations informatiques qu'un gaz idéal fait de billes sphériques rebondissant les unes sur les autres sans aucune propriété physique ou chimique notable est sujet aux changements d'état. Ainsi le changement d'état est avant tout un problème mathématique, non résolu pour l'instant .

Pourquoi est-ce que je cite tout cela ?

Le changement d'état de l'eau à basse température fait partie de notre univers familier. Dès tout petits, on peut faire observer et apprendre aux enfants que l'eau gèle et se transforme en glace, que la glace fond et se transforme en eau. Plus tard on constatera que la matière se conserve : même masse pour la glace et pour l'eau à partir de laquelle elle est obtenue. On observera aussi que, si la masse est la même, le volume de la glace est plus grand, etc...

Et pourtant, sur ces phénomènes familiers, que l'on croit savoir vulgariser correctement, on s'aperçoit un jour que les problèmes sont, à un haut niveau, non résolus !

De quoi nous rappeler douloureusement que l'extraordinaire efficacité du monde mathématique à refléter la réalité n'a d'égale que l'extraordinaire difficulté à comprendre même les plus familiers des phénomènes qui nous entourent.

La lecture de ce texte me procure un grand plaisir esthétique, un peu comme celui que me procurent les couleurs des montagnes au coucher du soleil : précision et clarté de la vulgarisation, apparente simplicité et pureté de l'expression, ouverture vers des mondes infinis. C'est un peu comme une nouvelle de Borgès : allegro avec la beauté des cristaux de neige, montée dramatique avec des connaissances de plus en plus complexes, et la chute optimiste sur les abimes de notre ignorance : la tension humaine vers la recherche et la connaissance reste infinie.

Désolé, je n'ai reproduit que quelques extraits.

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A quoi sert la recherche scientifique ?

L'un de vous (merci beaucoup) m'envoie (par courrier papier, nostalgie !) un article de Libération du 15 mars 2013, signé Sylvestre Huet. Titre : Nobel, le labo qui fait recette. Visite au laboratoire Kastler Brossel plongé dans les mystères de la matière et de la lumière et qui compte trois physiciens primés.

Il y a peut-être, comme souvent dans Libé, un jeu de mots que je n'ai pas compris, mais je ne vois pas en quoi ce labo fait recette.

Le laboratoire Kastler Brossel (LKB) est installé rue Lhomond, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, avec un deuxième site sur le campus de Jussieu.

Serge Haroche a reçu le prix Nobel en octobre 2012. En 1966, l'année où Alfred Kastler reçoit le prix Nobel, une photo prise devant la rue Lhomond montre, parmi trente personnes, Serge Haroche, le petit jeune à droite sur la photo et Claude Cohen Tannoundji, Nobel 1997. Trois prix Nobel sur trente personnes. Je trouve le journaliste un peu injuste, car même s'il n'a pas eu le prix Nobel, je pense que l'on ne peut guère parler du labo sans citer Jean Brossel, cofondateur en 1951 de ce qui allait devenir le LKB.

Pour s'en tenir à son titre, le journaliste nous donne les ingrédients ( !) de la recette ( !) de la fabrication de Nobels. Bon, allez, admettons qu'il fait de l'humour au second degré, puisqu'il montre bien dans l'article l'ambition intellectuelle et la complexité de tout cela.

- ne pas confondre gentillesse ou modestie personnelle   l'une des marques des leaders ( ?) du LKB   avec manque d'ambition scientifique. Nous réalisons des expériences assez simples dans leur principe, allant aux limites connues de la physique des interactions entre matière et photons [les « grains » de lumière] pour justement déplacer ces limites, titiller la théorie, voir ce que ces objets quantiques, donc bizarres et rétifs aux sens humains comme au sens commun ont dans le ventre.

- labourer profond le sillon entamé par les prédécesseurs ;

- laisser aux jeunes chercheurs leur autonomie ;

- faire fonctionner la structure « laboratoire ».

Pour en revenir au titre ce mon billet, tout ça pour quoi ? A quoi ça sert ? Et je suis très tenté de répondre : à rien. La recherche scientifique sert à faire progresser notre connaissance du monde, elle ne peut se situer (au contraire de la recherche appliquée) dans un but d'applications utiles ou rentables.

En 1950 Kastler commence ses travaux sur le pompage optique (modification des atomes sous l'effet de radiations lumineuses). Ces travaux ont été le levain de toute la suite du travail du LKB. Nul au départ n'avait dans l'esprit de construire des lasers, technologie devenue incontournable dans de multiples domaines. Nos expériences sont guidées par notre curiosité, notre besoin de comprendre la nature.

Les travaux du LKB ont permis la création de nombreuses applications technologiques : laser, supraconductivité (certains matériaux ont, à très basse température, une résistance électrique nulle), etc. Mais là n'est pas le but premier, les applications viennent « de surcroit ».

On voit bien sur ce point le problème que pose la crise économique et la baisse des crédits d'État. Les labos doivent maintenant présenter des projets en partenariat public-privé. Il faut des industriels d'une grande culture scientifique pour saisir que le pompage optique n'aura peut-être jamais aucune application, mais qu'il peut aussi ouvrir la voie au laser. Pourquoi investir là-dedans si cela ne rapporte pas à terme à l'entreprise ?

Il demeure que, en plus du travail de recherche fondamentale a été créée dans le cadre du LKB une « startup » utilisant les résultats des travaux sur les micro-ondes.

A quoi sert le fruit de l'arbre de la connaissance ? Simplement à goûter le plaisir de la connaissance.

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Les travaux du laboratoire Kastler Brossel

Vous avez constaté que dans l'article précédent je n'ai rien dit de la nature des travaux du LKB.

Grâce sans doute à la compétence du journaliste, mais surtout sans doute aux capacités de vulgarisateurs des membres du labo, l'article nous permet d'entrevoir, de sentir le fumet de ce qui est intellectuellement en jeu.

Mais l'on perçoit plus nettement encore le fossé, où la description de l'infiniment petit par la mécanique quantique est radicalement incompatible avec toutes nos perceptions et toutes nos représentations du monde. En dehors d'un formalisme mathématique complexe et d'une longue fréquentation de ce type de problèmes, le « monde quantique » est strictement étranger à nos perceptions. D'où les difficultés, qu'ont les chercheurs du XXIème siècle à faire comprendre les enjeux de leurs recherches. Comme le dit l'un des chercheurs du labo, dans un euphémisme souriant, notre physique est difficile à expliquer. Le drame est que souvent « l'opinion publique » en tire l'impression que les scientifiques sont des pédants s'abritant derrière un langage incompréhensible. Comme si tout devait être « transparent », accessible sans effort intellectuel. C'est difficile parce que c'est difficile, pas parce que les scientifiques veulent tout nous cacher pour garder leur pouvoir.

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fin du billet du 21 3 2013