[alerte] - JM Bérard - mise en ligne 18 6 2012

Cette mise en ligne du 18 juin 2012 comporte

le billet du 30 mai 2012 : lettre d'un esclave affranchi

le billet du 18 juin 2012 : éthique en fin de vie

La formule de la lettre [alerte] change. Les envois seront plus fréquents, mais chaque billet sera limité à un ou deux sujets.

Billet du 30 mai 2012

Un extrait de Internetactu 10 2 2012

"La lecture de la semaine n’a, dans son propos, rien à voir avec les questions qui nous intéressent ici dans Place de la toile, mais voilà, elle m’est arrivée par les réseaux, par un ami qui assure une veille web depuis Quito, en Équateur, et elle provient d’un très beau site Letters of note, dont le sous-titre dit tout : “des correspondances qui méritent un plus large public”. Un texte magnifique qui ne parle pas du web, mais auquel le web nous donne accès.

Ce texte, il s’agit d’une lettre qu’un ancien esclave adresse à son maître. Le maitre, c’est le colonel Anderson qui vit à Big Spring, dans le Tennessee. En 1865, il a écrit à son ancien esclave, Jourdan Anderson, qui est libre désormais, pour lui demander de revenir travailler chez lui. Voici la réponse de Jourdan Anderson, sans doute dictée à un tiers. Elle est sublime.

« Dayton, Ohio, le 7 août 1865

A mon vieux maïtre, le Colonel Anderson, Big Spring, Tennessee.

Monsieur : j’ai bien reçu votre lettre et j’ai été heureux de voir que vous n’aviez pas oublié Jourdan, et que vous vouliez que je revienne vivre avec vous, promettant que vous seriez meilleur pour moi que n’importe qui. Je me suis souvent inquiété pour vous. Je pensais que les Yankees vous avaient pendu depuis longtemps, pour avoir hébergé les Rebs qu’ils ont trouvés chez vous. J’imagine qu’ils n’ont jamais su que le colonel Martin vous avait demandé de venir tuer le soldat yankee qui avait été abandonné par sa compagnie dans l’étable. Même si vous m’avez tiré dessus deux fois avant que je vous quitte, je ne vous souhaite pas de mal et suis heureux que vous soyez encore en vie. Cela me ferait plaisir de revenir dans cette bonne vieille demeure, et revoir Mademoiselle Mary, Mademoiselle Martha, ainsi que! Allen, Esther, Green et Lee. Transmettez-leur toute mon amitié, et dites-leur que j’espère les revoir dans un monde meilleur, si ce n’est pas dans celui-ci. J’avais l’intention de revenir vous voir quand je travaillais à l’hôpital de Nashville, mais un voisin m’a dit que Henry tenterait de me tirer dessus s’il en avait l’occasion.

Je veux savoir précisément si la proposition que vous me faites est une bonne chose pour moi. Je m’en tire assez bien ici. Je gagne 25 dollars par mois, avec la nourriture et le linge ; j’ai une maison confortable pour Mandy – les gens, ici, l’appellent Madame Anderson – et les enfants – Milly, Jane et Grundy – vont à l’école et apprennent beaucoup. Le professeur dit que Grundy a des talents de prêcheur. Ils vont au catéchisme, Mandy et moi allons régulièrement à l’église. Nous sommes bien traités. Parfois, nous entendons les autres dire “ces gens de couleur étaient des esclaves, là-bas, dans le Tennessee”. Ces remarques blessent les enfants, mais je leur dis que dans le Tennessee, il n’y a pas de honte à appartenir au Colonel Anderson. Beaucoup de Noirs auraient été fiers, comme je l’étais, de vous appeler Maïtre. Maintenant, si vous nous écrivez pour dire le salaire que vous me donnerez, je pourrais plus facilement décider si c’est intéressant pour moi de revenir chez vous.

Du côté de ma liberté, que vous garantissez, je n’ai rien à gagner, puisque j’ai reçu mes papiers en 1864, des mains du Provost-Marshal-General du Département de Nashville. Mandy dit qu’elle aurait peur de revenir sans la preuve que vous êtes disposé à nous traiter avec justice et gentillesse, et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait mettre à l’épreuve votre sincérité en vous demandant de nous envoyer la somme que vous nous devez pour le temps que nous avons passé à votre service. Cela nous permettrait d’oublier et de pardonner les vieilles blessures et de nous assurer de votre droiture et de votre amitié dans l’avenir. Je vous ai loyalement servi pendant 32 ans, et Mandy pendant 20 ans. A 25 dollars le mois pour moi, et 2 dollars la semaine pour Mandy, notre paie s’élèverait à 11 680 dollars. Ajoutez à cela les intérêts pour le temps où ces salaires ne nous ont pas été versés, et déduisez ce que vous avez avancé pour nos vêtements, pour 3 visites d’un médecin pour moi, et une dent arrachée pour Mandy, et vous obtiendrez ce que nous sommes en droit de recevoir. Envoyez s’il vous plaît l’argent par Adams’s Express, aux soins de V. Winters, à Dayton, Ohio. Si vous ne nous rétribuez pas pour ces années de travail fidèle, nous ne pourrons accorder que peu de crédit à vos promesses. Nous sommes certains que le Bon Dieu a ouvert vos yeux sur le mal que vous et vos ancêtres nous avez causé, à moi et à mes ancêtres, en nous mettant au labeur pendant des générations, sans récompense. Ici, je suis payé tous les samedis soir, mais dans le ! Tennessee, il n’y avait pas plus de paies pour les n&egr! ave;gres que pour les chevaux et les vaches. Il y aura sûrement un jour où l’on demandera des comptes à ceux qui ont spolié le travailleur de son salaire.

En réponse à cette lettre, assurez-nous s’il vous plait que mes filles Milly et Jane seront en sécurité. Elles ont grandi maintenant, et sont toutes les deux très belles. Vous savez comment ça se passait avec les pauvres Matilda et Catherine. Je préfèrerais rester où je suis et mourir de faim plutôt que d’exposer mes filles à la honte de subir la violence et la méchanceté de leurs jeunes maîtres. Vous nous assurerez aussi qu’il y a près de chez vous des écoles ouvertes aux enfants de couleur. Mon plus grand désir aujourd’hui est d’apporter à mes enfants une éducation et de les former à des vies vertueuses.

Saluez de ma part George Carter, et remerciez-le de vous avoir enlevé le pistolet avec lequel vous étiez en train de me tirer dessus.

De votre vieux serviteur,

Jourdon Anderson." Fin de la citation de internetactu

Remarque JM Bérard le 18 juin 2012

A la relecture au moment de mettre en ligne ce texte, je dois vous faire part de mes doutes quant à l'authenticité de cette lettre. J'ai recopié le site de toute confiance "internet actu". Et pourtant, en me reportant au lien qu'il cite, j'ai un double doute : le site comporte une photos d'esclaves affranchis au dessus du texte. Cela donne une apparence d'authenticité, mais la photo n' a aucun rapport avec le texte. De plus, en lisant le site, on constate qu'il n'y a pas vraiment de références permettant de "sourcer" ce document. Évidemment, si le document n'est pas authentique, le texte est beau mais perd beaucoup d'intérêt.

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Billet du 18 juin 2012

Éthique en fin de vie

Plan du texte :

L'ADMD

Les positions du candidat Hollande

L'avis de Robert Badinter

Que faire ?

Mon ami Jacques Ricot

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Au fil des lettres [alerte] les réflexions concernant l'euthanasie sont celles qui ont suscité chez vous le plus de réactions.

J'y reviens brièvement aujourd'hui pour trois raisons :

- la mort de ma maman, entourée me semble-t-il de toute la sollicitude des
médecins et du personnel de la maison de retraite, avec qui elle a su me semble t-il construire avec sérénité cette fin d'un chemin.
- le fait que mon ami Jacques Ricot a soutenu tout récemment brillamment une thèse de philosophie.
- l'annonce par F. Hollande pendant la campagne électorale, de positions
favorables à l'euthanasie, ou, plus précisément de positions proches de celles
soutenues par l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD),
positions que je désapprouve.


L'ADMD


J'ai plusieurs fois dans cette lettre critiqué les positions de l'association pour le droit de
mourir dans la dignité, au grand dam de ceux d'entre vous qui en sont membres.

Mourir dans la dignité ? Quelqu'un qui a perdu la parole du fait d'un AVC, qui perd petit à
petit la faculté de communiquer avec les autres est-il indigne ? Indigne de quoi ? Où est
la limite ? Où va-t-on si l'on se met à décider qui est digne ou pas ?

En France, la loi du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie (dite loi
Leonetti) apporte un cadre précis, humain et respectueux aux questions posées par la fin
de vie au corps médical et au familles.

Voir le texte sur Loi sur les droits des malades et la fin de vie

Essai de synthèse du contenu de la loi Leonetti (extrait du site figaro.fr)

« L’obstination déraisonnable » du corps médical et la « prolongation artificielle de la vie» du patient (articles 1 et 9) sont proscrites, y compris lorsque ce dernier est hors d’état
d’exprimer sa volonté. Le médecin peut prendre le risque d’abréger la vie du patient en
lui administrant une dose de soins palliatifs qu’il juge nécessaire à son confort, à
condition d’en informer le patient, éventuellement la personne de confiance ou un proche
(article 2).
• La décision de cesser l’administration d’un traitement, lorsque le prolonger semble
relever de l’ « obstination déraisonnable » doit être collégiale et ne peut être prise
qu’après consultation de la « personne de confiance », de la famille, à défaut d’un
de ses proches et des « directives anticipées » du patient (articles 1 à 9)
• La volonté du patient de limiter ou de cesser un traitement doit être respectée
(articles 5 à 9). Le patient doit être informé des conséquences de sa décision.
• L’avis de la « personne de confiance », choisie par le patient pour l’accompagner
dans ses démarches et, si le patient le souhaite, dans ses entretiens médicaux,
doit être consulté (articles 2, 5, 8 et 9).

On voit que cette loi, si elle est appliquée, permet à chacun de vivre sa mort dans la
sérénité. Mais hélas cette loi est peu connue du corps médical, peu connue des familles
et trop peu appliquée.

Dans ses prises de position et sa propagande, l'ADMD ignore ou feint d'ignorer les
dispositions de cette loi.

L'objet de cette loi n'est  pas de permettre de provoquer volontairement le
décès, il est de permettre la limitation des soins jugés futiles et la mise en route de
traitements de confort sédatifs et analgésiques même si cela peut entrainer le risque
d'une mort plus rapide. Si elle était bien comprise, si elle était connue et appliquée, cette
loi permettrait un fin de vie sereine à chacun.

L'ADMD, elle, demande que dans certaines conditions le droit de donner volontairement
la mort puisse être exercé. Et l'on en revient à la question de fond : qui et de quel droit
peut décider de donner la mort ?

En France le suicide n'est pas illégal. (Cela a l'air absurde dit ainsi mais cela signifie que
en cas d'échec de la tentative on ne risque pas, en plus, d'être poursuivi par un tribunal).
Mais il y a loin du suicide au fait de donner délibérément la mort à autrui.

L'euthanasie souhaitée par l'ADMD est le fait de donner volontairement la mort à autrui.

Les positions du candidat Hollande


Hélas, l'ADMD a fortement influencé le candidat Hollande, et de nombreux hommes
politiques socialistes.

La proposition 21 du candidat Hollande est très ambiguë, et l'on ne
sait clairement si elle soutient les dispositions de la loi Léonetti, ou si elle introduit un
droit d'euthanasie. Plusieurs personnes de l'entourage de Hollande ont, elles, parlé d'une
avancée vers la reconnaissance de l'euthanasie.

Sous la plume de certains hommes ou femmes politiques j'ai lu qu'autoriser l'euthanasie
était judicieux, car approuvé par un grand nombre de français. (70% si ma mémoire est
bonne).
Étrange conception de l'éthique, définie comme pensée de la majorité.
En 1981 une majorité de français étaient pour la peine de mort.

L'avis de Robert Badinter


Robert Badinter a été auditionné le 16 septembre 2008 par la mission parlementaire sur
la fin de vie.

Extraits de sa déposition
La loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie est satisfaisante.
Le droit à la vie est le premier des droits de l'homme.
Je ne conçois pas qu'un comité aussi honorable soit-il puisse délivrer une autorisation de
tuer.

Détail : Robert Badinter est l'artisan de l'abolition de la peine de mort en France.

Que faire ?


Ce n'est pas parce que j'ai voté Hollande que j'accepte toutes ses propositions. Je suis en
désaccord avec la proposition 21.
J'aurai me semble-t-il bien des raisons de me mobiliser dans les cinq ans à venir, dont
celle-ci.

Pour l'instant, j'ai signé le manifeste pour la dignité de la personne en fin de vie proposé
par le collectif « Plus digne la vie ».

Même si je ne vous ai pas convaincus, prenez au moins connaissance du texte de cette
pétition, et du texte de l'éditorial qui présente la pétition, qui expose clairement les
options sous-jacentes et demande un débat public sur la question avant toute décision.

Mon ami Jacques Ricot

philosophe, est l'un des spécialistes en France de la réflexion sur l'éthique en fin de vie. Ila soutenu récemment une thèse de philosophie intitulée

Les enjeux de l’éthique médicale en fin de vie

Voici une partie du texte qu'il a envoyé à ses amis après la soutenance :

« Les enjeux de la thèse que j’ai soutenue sont graves. Ils demandent que l’on quitte la sphère de l’émotion non raisonnée qui structure l’opinion (à travers les puissants médias contemporains que sont la télévision et l’Internet) et nos expériences vécues, pour
entrer dans le calme de la réflexion. C’était la raison de mon éloge appuyé des vertus de
l’Université dont la vocation est précisément de prendre de la distance et de la hauteur
par rapport aux évidences communes.

Quelques-uns m’ont demandé si la thèse serait disponible. Le jury en a proposé
généreusement une publication aux Presses Universitaires de Rennes. Je ne sais pas s’il
sera donné une suite à ce projet. Mais l’essentiel de ce que j’y développe est présenté
dans mon Éthique du soin ultime, livre publié aux Presses de L’EHESP, en l’an 2010, et
aussi dans un livre plus ancien Philosophie et fin de vie, chez le même éditeur, en 2003.

http://www.presses.ehesp.fr/sciences-humaines-etsociales/
essais/Details/218/13/sciences-humaines-et-sociales/essais/ethique-du-soinultime.
html


Pour ceux qui sont plus pressés, mon premier texte sur la question intitulé Philosophie et
euthanasie (2000) est toujours disponible sur le site de l’académie de Nantes à l’adresse
suivante :
http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/philo/philosophie_et_euthanasie.htm