[alerte] N° 87 -JM Bérard - 25 février 2012

Sommaire

  1. 1* Un collectif et 15 réformes pour changer la donne.

  2. 2* Au fil des jours

* Karcher

* Viande hallal : comment se laisser entrainer dans un raisonnement faux

  1. 3* Tintin et Milou au pays de l'or blanc

  2. 4* Ouvertures

* Rubrique actualisée pour chaque numéro de [alerte]

 


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1* Un collectif et 15 réformes pour changer la donne.

Le collectif comporte entre autres Stéphane Hessel, Jean-Marc Roirant et Eric Favey de la ligue de l'enseignement, Susan George, Pierre Larrouturou, Patrick Pelloux.

Vous pouvez lire les 15 propositions, et signer sur

collectif

2* Au fil des jours

* Karcher

Le style et la politique Sarkozy ont été marqués par de nombreux symptômes expressifs, qui, chacun à leur façon, ont fait sens : la soirée du Fouquet's, le yacht de Bolloré, le « cass'toi pov con », le discours de Grenoble sur les gitans, entre autres. Ainsi, en « visite » pendant une durée inouïe de 2h30 dans une cité de banlieue, avait-il promis de « nettoyer la cité au Karcher ». Étrangement et avec une totale mauvaise foi, quelques belles âmes en avaient déduit que N. S. considérait certains habitants des banlieues comme des déchets. (Des êtres humains, nettoyés au Karcher... ).

A l'époque, la société Karcher était un peu gênée de cet emploi non autorisé de sa marque. Et la voici qui fait un clin d’œil, avec un humour que j'apprécie. Dans la récente campagne de publicité télévisée pour cette marque apparait en rouge un logo « élu produit de l'année. » Je ne crois pas du tout qu'il y ait eu un jury, des produits candidats, des critères pour élire Karcher « produit de l'année ». Mais un coup de griffe de Karcher au président : « nous sommes élus, tout le monde ne pourra pas en dire autant ! »

Je prête trop d'humour aux communicants de Karcher ? Pas sûr.

* Viande hallal : comment se laisser entrainer dans un raisonnement faux

Marine Le Pen lance une campagne énergique pour attirer notre attention sur la viande hallal : avant de venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, les musulmans envahissent nos supermarchés avec de la viande hallal non étiquetée comme telle. Habillée sous des oripeaux de défense des animaux que l'on tue sans les étourdir, l'obsession de la droite extrême actuelle s'exprime. Les minarets, les prières dans les rues, la viande hallal, notre civilisation est en danger.

Une remarque toute bête et qui n'a rien à voir : peut-être est-il cruel d'abattre les animaux sans les étourdir. Lorsque j'étais petit en Savoie ma grand-mère tuait les poules en leur coupant la langue, et mes oncles égorgeaient les porcs suspendus la tête en bas. Ce n'était sans doute pas idéal pour les animaux, mais personne ne reprochait aux paysans de mettre la civilisation chrétienne en danger.

Une autre remarque qui n'a rien à voir : il vaut mieux torturer les humains pour la bonne cause en Algérie qu'abattre les animaux sans les étourdir selon le rite musulman.

Bon, venons en au fait. Je ne sais pas vous, mais moi... Je me suis vraiment laissé abuser par l'argumentation de Marine Le Pen. Heureusement la rubrique intox désintox de Libération m'a permis de me rendre compte que je m'étais laissé embarquer dans une déduction fausse.

Constat : tous les abattoirs de l'Ile de France abattent les animaux de façon rituelle hallal ou cacher. [Note de JM B : c'est vrai, c'est en tout cas ce qui résultait d'une enquête sérieuse conduite par des journalistes de France 2]

Conclusion: toute l'Ile de France est donc envahie par le la viande hallal non étiquetée comme telle.

Où est l'erreur ? Elle consiste à pratiquer un raisonnement implicite mais erroné : 1 Tous les abattoirs d'Ile de France sont rituels. (vrai) 2 La viande consommée en Ile de France vient des abattoirs d'Ile de France. (affirmation implicite, et fausse) 3 Donc la viande consommée en Ile de France est rituelle. Conclusion fausse, puisque l'étape 2 du raisonnement est fausse.

En fait, la quasi-totalité de la viande consommée en Ile de France vient d'abattoirs de province qui, eux, pratiquement peu l'abattage rituel. 2,5% seulement de la viande consommée en Ile de France vient des abattoirs d'Ile de France. Il y a donc effectivement en région parisienne de la viande hallal non étiqueté comme telle (ce n'est pas obligatoire) mais sûrement pas la totalité de la viande.

J'ai beau être vigilant sur la rigueur des raisonnements, là j'étais tombé dans le piège.

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3* Tintin et Milou au pays de l'or blanc

Huit jours dans le petit village dont mes parents sont originaires, autrefois pays d'élevage de veaux, aujourd'hui producteur de fromage au label « Beaufort » et surtout station de sports d'hiver assez réputée.

Soyons clairs : je n'ai jamais vécu dans ce village, et n'y étais que l'été, lorsque mes parents montaient pour aider leurs frères et sœurs a récolter le foin. Je n'ai donc pas connu la dureté des temps de l'agriculture pauvre ou moyenne-pauvre, ni bénéficié de l'amélioration de la vie apportée par le développement touristique.

D'autre part, je ne suis pas fortement attiré par l'exercice physique. Même le rock and roll m'a conduit à deux accidents, et je considère que la pratique sportive est bien dangereuse :-)

Cela dit, quel étrange civilisation que celle des sports d'hiver. On vient rencontrer la nature. Il faut pour cela un village envahi par des constructions bas de gamme, qui seront hideuses dans vingt ans. Il faut des paysages sillonnés par les pistes et les remontées mécaniques, qui ont rendu inaccessibles certains petits hameaux, pourtant dûment cadastrés, et modifié tout le régime d'écoulement des eaux. Il faut des projecteurs de neige de culture (je crois que canons à neige n'est plus politiquement correct) qui épuisent les ressources en eau et dispersent des produits chimiques dont les conséquences sur la flore et la faune n'ont jamais été étudiées. Il faut des transhumances de population à date fixe, conduisant à des embouteillages couteux. Il faut saler les routes, ce qui détruit la végétation. Il faut des autocars pour transporter les skieurs d'une remontée mécanique à l'autre, un fichage des touristes par une carte à puce pour le forfait analogue à la carte Navigo du métro. Il faut un matériel spécifique, vêtements, chaussures et skis à la pointe de la technologie et toujours dépassés. Il faut des pistes dangereuses vu la saturation, de nombreux touristes ne respectant pas les règles de sécurité. Il faut un personnel et des outils d'entretien pour damer les pistes la nuit, il faut des dispositifs de surveillance et de secours pour protéger les gens de leur propre imprudence... J'ai été impressionné par les engins à damer : machines énormes, avec une batterie de phares trouant la nuit, on se croirait dans un film d'horreur où les robots menacent les hommes.

On vient huit jours, cela coute une fortune, mais bon, on a retrouvé la nature authentique. Comme disait Alphonse Allais, on construit les villes à la campagne, l'air y est plus pur.

Je vous l'ai dit, je suis mal placé pour alimenter ce débat. Je ne gagne pas ma vie grâce au tourisme, et je n'aime pas le ski, qui fait violence au corps. Vive la gymnastique Feldenkrais et le chi-qong.

La réalité est brutale : comptez combien d'emplois directs et indirects pour tout cela. Comment le pays aurait-il survécu sans cette industrie nouvelle ? Question récurrente : pour lutter contre l'obésité, il faudrait édicter des règles qui nuiraient à l'emploi dans l'agro-alimentaire ; pour lutter contre la destruction de la terre et de la végétation en Bretagne, il faudrait réduire la production de porcs et mettre les agriculteurs au chômage.

Quelle solution ? Je n'en vois pas dans le cadre du système économique actuel. Pour survivre notre société doit se détruire.

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4* Ouvertures

* Rubrique actualisée pour chaque numéro de [alerte]

- La vie des idées : l'un des livres présentés le 21 2 2012 : « L’hôpital en réanimation», Éditions du Croquant, B. Mas, F. Pierru, N. Smolski et R. Torrielli.

Je n'ai pas lu le livre. L'article sur le site a pour titre « L’hôpital mis à mal par le management » par A. Bourdet

http://www.laviedesidees.fr/L-hopital-mis-a-mal-par-le.html

Chapeau de l'article : « L’hôpital subit depuis 2009 des réformes lourdes de conséquences pour ses agents comme ses patients. Un ouvrage collectif montre comment le management pénètre progressivement tous les aspects de la vie hospitalière pour en modifier l’activité et la finalité. »

L'article est fouillé complexe et percutant. Impossible d'en rendre compte par quelques citations. Vous avez le lien ci-dessus.

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- Gilles Raveaud, le site de Gilles Raveaud pour l'économie politique.

Un article du 20 2 2012 : « C'est donc ainsi que les grecs vivent ». Il fait référence à un excellent reportage de France 2 intitulé « Une semaine en Grèce, une tragédie grecque ». Humour ? Pour regarder le reportage on doit d'abord subir une pub pour une banque.

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- Délinquance justice et autres questions de société

Laurent Mucchielli, sociologue

En ligne le 24/2/2012 : La mise en place de l'alternance dès la quatrième, vers une fin du collège unique.

Je sais que ce type d'articles, qui soutient le collège unique, provoque chez au moins deux de mes lecteurs de très vives divergences. Et pourtant, je maintiens !

Extraits du site de Mucchielli :

« Le décret du 15 février 2012 « relatif aux dispositifs d’alternance personnalisés durant les deux derniers niveaux d’enseignement au collège » réactualise avec force une logique de tri scolaire, dès le début de l’adolescence, qui nous rappelle ce qui fonctionnait encore dans les années 1980.

[...]Ce texte est pourtant loin d’être anodin et pourrait interpeller toutes celles et tous ceux qui aujourd’hui se préoccupent de l’avenir du système éducatif français. S’il est effectivement appliqué dans les prochains mois comme cela est annoncé, il participera assurément du renforcement de la déjà très puissante logique ségrégative qui caractérise aujourd’hui l’école. Que dit précisément le texte ? Dans le sillage de la loi du 28 juillet 2011 « pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels », ces nouveaux dispositifs à destination des élèves qui « éprouvent des difficultés » et « manifestent des besoins éducatifs particuliers » doivent notamment permettre « une découverte approfondie des métiers », une « première formation professionnelle » et le suivi de « stages dans des centres de formation d’apprentis »… « grâce à des aménagements d’horaires et de programmes » (voir le texte sur Legifrance).

Suivant cette perspective, les élèves en difficulté - dont on ne peut plus ignorer qu’ils viennent majoritairement des classes populaires - se verront donc privés d’une scolarisation longue et ambitieuse susceptible de leur donner les moyens de construire ce que l’on appelle communément « un choix » professionnel. Dès 14 ans, ils n’auront pas d’autres possibilités que de renoncer, dans le cadre scolaire, à toute confrontation aux éléments savants de la culture de l’écrit au profit d’une soumission précipitée aux exigences du marché du travail en matière de formation. Au nom de leurs supposés « besoins éducatifs » spécifiques, ils devront ainsi s’installer dans un rapport essentiellement instrumental à l’école pour acquérir les compétences ou les savoir-faire dont le système productif a besoin. Exit pour eux le « loisir studieux », le questionnement gratuit, l’expérimentation mentale dégagée des nécessités immédiates, la possibilité d’aiguiser un sens critique et l’imagination créative avec le temps que cela implique, la poésie, la philosophie ou les sciences de l’Homme… »

Ne vous privez pas de lire la totalité de l'article, remarquable analyse des inconvénients de l'orientation professionnelle précoce.

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Fin de [alerte] N° 87