[alerte] N° 83 - JM Bérard - 16 janvier 2012

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Sommaire
1* Juste un mot    
2* Au fil des jours    
3* Exposition « Mathématiques, un dépaysement soudain  »   
4* Culture générale, collège unique : inutiles  !   
5* Quotient familial   
6* Quelques adresses
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Toujours : je trouve que la vidéo
La crise financière

décrit avec pertinence la structure du système financier libéral, et les raisons structurelles de la crise. Merci de vos avis ; je n'en ai reçus que très peu.
(Question à FG : faut-il un s à reçus ? )

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1* Juste un mot


Sur le rallye auto-moto « Dakar » les amateurs sont appelés « les poireaux » parce qu'ils se plantent plus souvent que les professionnels. Ce n'est pas que j'aime les sports mécaniques, mais je trouve cela inventif.

Fin du monde : comme on sait (!!) la fin du monde est le 21 décembre 2012. J'ai été stupéfait de voir quelques instants d'une émission de télévision sur Direct 8 expliquant dix façons de détruire le monde, ce qui rend donc plausible la date de la fin du monde. (!!!). Plus d'une heure d'émission, des films de simulation très soignés, très coûteux, deux prétendus scientifiques au titre ronflant donnant avec le sérieux nécessaire des « explications » scientifiques abracadabrantesques... Je m'inquiète : si l'on a dépensé tant d'argent pour un tel film, c'est qu'il y a un public. On me dira : « c'est aux USA ». Oui ? Mais c'est justement sur une chaine française que cela passait. L'irrationnel, surtout en période de crise et d'instabilité, a des très beaux jours devant lui.

Grammaire : en français « le masculin l'emporte sur le féminin ». Exemple : "les garçons et les filles sont prêts à partir." Plusieurs association sérieuses estiment que cela donne, dès l'enfance, une image tendancieuse des rapports entre hommes et femmes, et propose d'accorder l'adjectif avec le nom le plus proche : "les garçons et les filles sont prêtes, les filles et les garçons sont prêts."


Je ne vois pas le problème. Selon des études crédibles, le niveau d’orthographe baisse régulièrement au fil des ans. Dans quelques années, qui sera capable de faire la différence entre les deux possibilités ?

Compétences : en Haïti, le chanteur Michel Martelly, élu président, ne parvient pas à s'imposer. Ces gens-là ne sont pas civilisés :-) Aux USA, Arnold Schwarzenegger, célèbre culturiste, puis acteur jouant le rôle de l'intellectuel Conan le barbare, n'a eu aucun mal à être gouverneur du grand État de Californie.

Vocabulaire : l'expression courante ces jours-ci pour dire que l'on est responsable, que l'on dirige est « être aux manettes ». Du temps de la marine à voile on disait « être à la manœuvre ». Les manettes évoquent un mode de pilotage d'une machine déjà bien dépassé, avec les outils informatiques. Mais « être à la souris » n'a pas encore remplacé « être aux manettes ».

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2* Au fil des jours

République irréprochable


* A Clermont-Ferrand, au cours d'affrontements avec la police, un homme à terre est frappé à coups de pieds par la police à la tête et au ventre, selon deux ménagères de cinquante ans qui ont vu la scène depuis leur fenêtre. Il meurt trois jours après. Je suis bien d'accord : on n'est pas sûr que sa mort soit la conséquence de la manif, il y a présomption d'innocence, il faut attendre l'enquête pour savoir quel était le comportement de cet homme dans la manif et ce qu'ont fait exactement les policiers. Mais tout de même... le ministre de l'intérieur déclare « S'il y a eu interpellation difficile, ce n'est en aucun cas le fait des policiers. » En aucun cas ! Étonnant, non ? Peut-être aurait-il pu lui aussi attendre les résultats de l'enquête. Le public n'a pas, lui, eu besoin d'attendre les résultats : la presse a aimablement colporté les informations venant des services de police selon lesquelles cet homme était ivre, drogué, que sais‑je encore. Mais on ne sait toujours rien sur ce qu'ont fait les policiers, selon la police.

* Dans la même veine : l'IGS, police des polices de la préfecture de Paris, est mise en cause dans une enquête du journal Le Monde. Cette institution aurait monté des fausses preuves de corruption contre des policiers trop proches du parti socialiste, au moment de l'élection de N. Sarkozy en 2007. L'enquête du journal est convaincante et stupéfiante, mais là encore il faut attendre un peu les résultats des enquêtes de justice. Cela n'empêche pas le préfet de police de déclarer « Je conserve toute ma confiance aux fonctionnaires de l'IGS ». Il tire plus vite que son ombre, et en tout cas plus vite que la justice.

* Le juge Trividic, chargé de diverses enquêtes délicates pour le pouvoir, dont celles des commissions de Karachi et du génocide au Ruanda, a décidé de sortir du silence. Quoique non adhérent, il a saisi le Syndicat de la Magistrature pour se plaindre du harcèlement constant dont il considère être victime de la part du pouvoir dans la conduite de ses enquêtes.

Je ne voudrais pas être grandiloquent en citant le président qui avait promis une république irréprochable, mais tout de même cela met bien mal à l'aise.

Triple A


La notation des agences financières exprime la confiance que font ces agences à la capacité qu'a un pays de rembourser sa dette.

Dans l'après-midi du 13 janvier 2012, il apparait comme quasiment certain que la note financière de la France va être dégradée par une agence de notation. Mystère, les cours de la bourse ne baissent pratiquement pas, alors de la perte du triple A était présentée comme une catastrophe. Y a-t-il quelque chose à comprendre dans ce système financier décidément bien irrationnel ?

Le ministre de l'économie déclare à la télévision : cela n'est pas grave, c'est comme si, à l'école,  nous avions 19 au lieu de 20. [...]Nous sommes dans la bonne direction. Je n'ai pas mis de guillemets car je n'ai pas le texte exact, mais je vous assure qu'il a dit « nous sommes dans la bonne direction ». Ben dis donc, qu'est-ce que cela serait si nous n'avions pas été dans la bonne direction... Ou alors veut-il dire que la baisse de la note va se poursuivre ? Nous étions au bord du gouffre et nous avons fait un grand pas en avant ? C'est exactement ce qui va se produire : pour montrer qu'il est fermement aux manettes, le président va sans doute annoncer tout un ensemble de mesures d'austérité, alors que les agences elles-mêmes disent que trop d'austérité nuit à la reprise. Le sang la sueur et les larmes demandés par Churchill à son peuple ont vaincu le nazisme. Les sacrifices énormes demandés par N. Sarkozy ne servent qu'à mettre des rustines dangereuses sur un système sans avenir et producteur de chômage et de pauvreté.

On pouvait s'y attendre : Alain Minc, conseiller de N. Sarkozy, explique sur France info (le 14 1 2012) que la baisse de la note est due à François Hollande et aux socialistes. C'est vrai, ça, F. Hollande et le PS sont aux manettes depuis longtemps, il sont responsables ! On est content que N. Sarkozy ait des conseillers subtils et de qualité.

J'ai beaucoup apprécié le titre de Libération du 14 1 2012
La France dégradée : S RKOZY
avec un A couché tristement en bas de la page.
On retrouve la veine du Libé qui, à la mort du psychanalyste J. Lacan titrait « Tout fou Lacan ».

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3* Exposition « Mathématiques, un dépaysement soudain »


La fondation Cartier (261 Bd Raspail Paris 14) présente jusqu'au 18 mars 2012 une exposition intitulée « Mathématiques, un dépaysement soudain ». De nombreux mathématiciens et neuf artistes ont conçu cette exposition.

Si je recopie le texte de présentation, cela donne « Ensemble ils métamorphosent la pensée abstraite des mathématiques en une expérience sensible et intellectuelle offerte à tous. [...] L'exposition se propose d'offrir à tous des fragments de splendeur mathématique à la faveur d'une conjonction géométrique, algébrique, artistique et cinématographique. »

Et je vois bien en écrivant cela à quel point les auteurs eux-mêmes ont du mal à faire percevoir ce qu'ils ont créé, dans ce texte qui peut tout à fait décourager de s'engager dans cette expo.

Justement, j'ai dit « s'engager » et pas « visiter ». Il me semble que les recherches actuelles, tant en mathématiques qu'en physique sont d'un tel niveau d'abstraction qu'il est presque impossible de les vulgariser. L'exposition a donc pris le parti non pas de nous expliquer des choses, mais de nous les faire percevoir au travers d'un abord poétique et artistique.

Exposition controversée parmi mes amis. A vous de voir.

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4* Culture générale, collège unique : inutiles !

Culture générale

Je suis consterné par la décision de supprimer l'épreuve de culture générale dans les épreuves d'admission à Sciences Po, tout comme j'avais été consterné en son temps de la suppression de cette épreuve à certains concours de recrutement de la fonction publique.

Pour les concours de la fonction publique je crois que N. Sarkozy disait en substance : avoir lu La princesse de Clèves ne sert à rien pour être technicien de surface. Exiger de la culture générale est une mesure élitiste qui interdit aux gens qui en moins cultivés de devenir balayeurs. Je ne peux garantir qu'il disait exactement cela, mais l'esprit y est. C'est bien sûr ! Cela évite à bon compte d'avoir à se demander comment les personnes issues de milieux modestes pourraient acquérir une culture générale, « inutile » pour la pratique de quelques gestes professionnels.

C'est la même justification pour le concours de Sciences Po : les étudiants issus de milieux modestes sont moins cultivés, il est donc élitiste d'avoir une épreuve de culture générale ! En lisant cela, on croirait que cela sort d'un livre d'humour noir absurde.

Il est vrai que les balayeurs ou les énarques n'ont pas besoin de culture, il ne leur est pas utile dans leur travail de goûter le cinéma, la peinture, la littérature, d'avoir de solides repères historiques, d'être effrayé par le silence éternel des espaces infinis ou subjugué par la beauté d'un coucher de soleil, d'échanger avec d'autres, de créer. Le producteur n'a besoin de rien d'autre que de ce qui est nécessaire à son travail. Mais quelle épouvantable société de robots inhumains. Le robot aspirateur parlera de poussière aux autres robots aspirateur.

Collège unique

J'ai souvent parlé du collège unique et du socle commun de compétences et de connaissances, que je pense être les piliers d'une école démocratique. J'ai même eu avec certains de vous des discussions vives sur la question de l'orientation précoce vers l'apprentissage.

Je crains bien que, masquée sous des mesures diverses, la suppression du collège unique ne soit l'un des principaux objectifs des équipes sarkozystes. Je crains aussi que l'opinion publique n'en soit gère révoltée, tant est forte la croyance selon laquelle certains jeunes n'ont rien à faire au collège. Une façon de prendre acte de l'échec du collège au lieu de tenter d'y remédier.

Un peu paresseusement, je recopie ici une chronique de Monique Royer, dans la revue en ligne « Le café pédagogique » du 11 janvier 2012. Pourquoi devrais-je ré-écrire ce qu'elle écrit très bien ?

« Alors comme cela le collège unique est fichu, inutile puisque de toute façon les ignorants y perdent leur temps ». « Ben oui, il faudra bien finir par admettre que, comment dire, certains élèves ne sont pas faits pour apprendre des choses compliquées et que mieux vaut qu’ils se lancent rapidement dans la voie professionnelle plutôt qu’ils perdent leur temps. Et puis après tout appelons un chat un chat, nous ne sommes pas tous égaux ni par la naissance, ni par le cerveau. Tiens prenons un gamin qui vit avec ses quatre frères et sœurs élevés par leur seule mère, caissière,  au quatrième étage du bâtiment « Bizet » de la Cité des Musiciens, comment veux tu qu’il réussisse à l’école. Je suis certain que si on l’interrogeait, il dirait qu’il aimerait être mécanicien ou plombier, et pour ça, le théorème de Pythagore ou Candide il n’en a pas besoin. » Dialogue imaginaire, quoique… 
 
Pour les tenants de cette orientation précoce, la vie est simple. Il y a d’un côté les métiers manuels ou tertiaires mais basiques qui s’apprennent sur le terrain et de l’autre des métiers intellectuels qui s’apprennent à l’école, une référence, encore,  à un temps ancien où le travail en usine se résumait à une répétition des tâches. Et encore, ce temps a-t-il vraiment existé ? Dans le secteur industriel, nombre de progrès ont été réalisés sur la base de biais, astuces trouvées par les ouvriers eux-mêmes pour améliorer leur travail. Aujourd’hui, être électricien, garagiste ou encore boulanger, c’est travailler avec la complexité des techniques, de l’organisation, des normes. Pour être agriculteur, il ne suffit pas, et c’est déjà beaucoup, de savoir comment gérer sa récolte, son bétail. Il faut maitriser la comptabilité, l’informatique, connaitre la réglementation, déterminer une stratégie commerciale. La complexité n’est pas l’apanage des métiers épinglés hautement qualifiés.
 
De telles propositions relèvent du cynisme ou de l’ignorance et peut-être des deux. Combien d’adultes se retrouvent aujourd’hui sur le carreau parce qu’ils ne maitrisent pas un minimum de compétences clés ? Selon le cadre européen de référence, ces compétences regroupent non seulement la communication et les mathématiques mais aussi les sciences et technologie, la communication dans une langue étrangère, la culture numérique ; l’apprendre à apprendre, les compétences interpersonnelles, l’esprit d’entreprise et la sensibilité culturelle. Le référentiel est ambitieux mais donne la mesure des savoirs à acquérir pour se bâtir un avenir.
 
Encore une fois, plutôt que de s’attaquer aux causes du problème, de s’atteler à trouver des solutions pour une école inclusive, à valoriser des initiatives réussies, ce sont les symptômes qui servent d’arguments pour cliver un peu plus une société minée par les inégalités. Coupons la jambe dont le genou flagelle, et regardons ailleurs. »

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5* Quotient familial


Le grand psychodrame sur le quotient familial qui agite la classe politique depuis quelques jours me semble bien révélateur d''une idéologie qui différencie au fond la droite de la gauche : pour répartir la solidarité, faut-il donner plus aux riches qu'aux pauvres ? Oui, vous avez bien lu, plus aux riches qu'aux pauvres. Il est aussi, hélas, révélateur d'une incapacité de la gauche à ne pas se laisser submerger par le rouleau compresseur de la propagande.

Résumons : le quotient familial est une mesure fiscale visant à favoriser la natalité. Plus la famille a d'enfants plus son nombre de parts fiscales augmente. Ce nombre de parts est ensuite utilisé pour calculer l'impôt sur le revenu. Plus la famille a de parts, plus son impôt se trouve réduit. En apparence tout va bien : c'est un système bien adapté à son objectif, favoriser la natalité, ceux qui ont plus d'enfants paient moins d'impôts.

Deux problèmes :
- les familles les plus pauvres ne paient pas d'impôt sur le revenu. Ces familles pauvres ne bénéficient donc pas du tout de l'avantage fiscal que donne le fait d'avoir des enfants. Choquant. Ne serait-ce pas justement pour ces familles-là qu'il faudrait faire le plus d'efforts ?
- vu la façon dont est calculé l'impôt, le système de quotient bénéficie beaucoup plus aux familles ayant des revenus plus élevés. Pour faire court, cela veut dire que plus les revenus de la famille sont élevés plus on reçoit d'aide pour chaque enfant.

Tout cela est incontestable, personne ne le nie. Ce ne sont pas des affirmations polémiques, cela marche vraiment ainsi. Il faut ensuite discuter et trancher pour savoir si ces mesures sont bonnes ou pas.

A mon avis, aider davantage les famille à revenu élevé est bien dans la ligne d'une politique de droite. Rappelons-nous par exemple les débuts du quinquennat, où l'une des premières mesures prises à grands sons de trompe par le président était la création du bouclier fiscal, visant, pour faire court, à ce que les personnes à revenu élevé ne paient pas « trop » d'impôts, et une autre mesure avait été la quasi suppression des droits de succession.

Quoiqu'il en soit, cette semaine, le parti socialiste annonce de façon désordonnée et confuse des mesures sur le quotient familial. S'engouffrant habilement dans le flou, N. Sarkozy et son entourage déclenchent l'alerte rouge, toutes sirènes hurlantes : le PS veut mettre à bas les valeurs de notre civilisation, le fondement social qu'est la famille, nous n'accepterons jamais que l'on touche à la famille, arrêtons ces casseurs de société... Habile, mais un peu de mauvaise foi : ce qui est à discuter, ce n'est pas l'aide à la famille, mais les incidences du  le quotient familial, équitables ou non. Et, surprise, F. Hollande et son entourage, sur un dossier pourtant solide, sont déstabilisés par la vigueur de la riposte, reculent, louvoient, sont gênés. Pourtant, ce n'est que le début d'une campagne qui en verra d'autres. Si les candidats reculent dès que le président fait les gros yeux, on n'est pas sorti de l'auberge...

Je me demande si l'on peut à la fois se déclarer pour davantage de justice sociale et hésiter à diminuer ou supprimer les avantages consentis aux hauts revenus afin de transférer ces avantages vers les revenus plus faibles.

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6 * Quelques adresses


La vie des idées

Gilles Raveaud, le site de Gilles Raveaud pour l'économie politique.

Vivagora : favoriser la contribution citoyenne aux choix scientifiques et techniques.

Claude Lelièvre
 : Histoire et politiques scolaires.

* Vulgarisation scientifique :
Les ernest
Treize minutes
et un nouveau conseil
Science demonstrations
(en écrivant je n'ai pas tout de suite trouvé l'équivalent du mot anglais demonstration, et ai donc conservé le titre anglais.)
Site fascinant par le niveau de la réflexion scientifique, mais aussi par la beauté des expériences et simulation qu'il présente, comme par exemple les videos
où l'on est « scotché » par l'ouverture de la réflexion scientifique et la beauté de ce qui est montré. (Rapports entre science et beauté ?)
Exemples :
Film de savon
Pendulum waves
Quel que soit son niveau de connaissances scientifiques, on navigue dans un monde étonnant, sur les plans intellectuels et esthétiques.

* Société :
Délinquance justice et autres questions de société
Laurent Mucchielli, sociologue
Voir deux articles :
Pierre Joxe défend la justice des mineurs contre l'acharnement sarkozyste.
L'emprise médiatique des faits divers.

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Fin de [alerte] N° 83