[alerte] N° 79 - JM Berard - 16 décembre 2011

Sommaire
1. * Ce que parler veut dire   
2. * « Le chat » de Philippe Gelück   
3. * Crise économique : appel à mes lecteurs compétents   
4. * Le fichier des gens honnêtes   
5. * Lueurs   
6. * Nouvelles en vrac   
7. * Intouchables   

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Le Monde, 9 12 11 « Les indégivrables » de Xavier Gorce
Ça me déprime de penser que les autres s'intéressent aussi peu à moi que je m'intéresse à eux.
Rien à voir avec une description du monde où nous vivons.
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1 * Ce que parler veut dire

* Le Cac 40 est à l'équilibre.

Expression fréquente sur les sites ou les bulletins radio qui rendent compte des cours de la bourse. On a l'impression que la notion d'équilibre représente quelque chose, un équilibre entre ceci et cela, un point stable entre des forces divergentes. Pas du tout. Dans ce jargon, être à l'équilibre signifie "être au même cours que le cours de clôture de la veille". Même si la situation économique est au plus mal, cet équilibre rassure. Si les cours sont au plus bas, « le Cac 40 est à l'équilibre à 2600 points » (cours catastrophique) signifie seulement que le cours de clôture de la veille était 2600. "Être à l’équilibre" sonne mieux que "le cours est aussi catastrophique qu'hier".

* Il y en a assez du politiquement correct.

Le travail de retournement de sens fait par la droite libérale sur cette expression est étonnant d'efficacité.

Il y a bien longtemps, le politiquement correct désignait, à gauche, la domination de l'idéologie du marché. L'idée que le marché libre ferait le bonheur de l'humanité était majoritairement considérée comme naturelle, allant de soi, et la gauche dénonçait ce politiquement correct. Grâce à un retournement formidablement mené, l'expression désigne aujourd'hui tout l'inverse. Sont dénoncées par la droite comme politiquement correctes les idées de solidarité, de libertés individuelles (présentées comme venant des « milieux droit de l'hommistes »), d'intervention de l’État sur les marchés, de lutte contre le racisme. Il est désormais considéré comme audacieux, révolutionnaire de soutenir que le libre marché permet un bon fonctionnement de l'économie. Ce qui permet de vanter l'audace de N. Sarkozy, qui, lui au moins, ose nous dire la vérité en considérant que la rigueur budgétaire fera notre bonheur. Baisse des prestations sociales, des salaires, restrictions du système de solidarité rebaptisé pour l’occasion « assistance », hausse des impôt. Nous mourrons, mais mourrons guéris au gré des marchés.

L'expression est aussi  employée dans des situations d'extrémisme. « J'en ai assez du politiquement correct » signifie alors : « j'ai bien le droit de dire n'importe quoi. » "On m'a trop souvent empêché, au nom du politiquement correct, de dire que les juifs sont ceci, les arabes sont cela, les immigrés sont des voleurs et des assistés, les homosexuels des personnes asociales souffrant de tares génétiques et les gitans... Mon courage et mon goût inné de la liberté de penser me permettent enfin de m'affranchir du politiquement correct et de dire tout haut ce que, d'ailleurs, vous pensiez jusqu'alors tout bas. Je libère enfin votre parole Tant mieux si elle est nauséabonde."

Le malheur inquiétant est que le Front National n'est plus du tout le seul à avoir ce type de pratiques de « discussion ».

* Loi contre l'usurpation d'identité

Façon douce de vendre à l'opinion publique l'idée d'un fichage généralisé de toute la population, en créant une carte d'identité informatisée appuyée sur un fichier centralisé.

* Décryptage

C'est devenu un titre courant dans les journaux : « La situation en Transnitrie : décryptage », « Le dopage dans le sport en Andorre : décryptage », « La vie de Audrey Pulvar : décryptage ».

D'après Wikipedia, « Le chiffrement, aussi appelé cryptage, est, en cryptographie, le procédé grâce auquel on souhaite rendre la compréhension d'un document impossible à toute personne qui n'a pas la clé de (dé)chiffrement. »

Alors pourquoi "décryptage", et pas "analyse du problème", "éléments de réflexion" ? En fait, pour le journaliste, décryptage est une façon de dire au lecteur : « il est évident que vous ne comprenez rien à cette question, mais rassurez-vous, je vais vous expliquer, car moi j'ai le code. »

* Novlangue

Le Monde daté du 15 12 2011 nous fait découvrir le prodigieux travail, aux USA, du sondeur républicain Lutz, qui veut mettre à la disposition des Républicains un vocabulaire tordant la réalité à leur gré. Républicains au sens de l'idéologie du Parti Républicain.
Dictionnaire de cette novlangue :
Ne dites plus « réchauffement climatique », dites « changement climatique. »
Ne parlez jamais de la guerre d'Irak sans faire référence d'abord au 11‑septembre.
Ne dites plus « écoutes téléphoniques » mais « interceptions électroniques. »
Ne parlez jamais de « problème ».
Ne parlez pas de « sacrifices », dites « nous sommes tous dans le même bateau ».
Ne parlez plus de « bonus des banquiers », dites « récompense au mérite. »
Lorsqu'on vous pose une question embarrassante, répondez en commençant toujours par « je comprends ». « Je comprends que vous êtes en colère. Je comprends que vous voulez réparer le système. »

A voir le remarquable travail du Dr Lutz, je sens qu'il va falloir que je crée dans cette lettre une rubrique « ce que parler veut dire ».

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2 * « Le chat » de Philippe Gelück

Bizarrement il y a bien longtemps que je ne vous ai pas parlé de l'humoriste Philippe Gelück, dont j'apprécie beaucoup l'humour non‑sense et corrosif. L'une de vous m'envoie quelques dessins de lui, je peux vous les transmettre si vous le souhaitez.

Quelques textes, malheureusement privés des dessins :

Lorsqu'ils ont le choix, les livreurs de caisses de coca-cola préfèrent transporter du coca light.

J'ai acheté la télé à 0% d'intérêt, et je dois dire que, à part quelques exceptions, ils ne m'ont pas menti.

Je me demande si ce n'est pas perdre son temps que de le passer à rattraper le temps perdu.

L'expression femme-objet n'est pas que péjorative. Il existe des objets très  utiles et bien conçus.

Ce n'est pas trop tôt. Les types qui déboisent la forêt amazonienne ont enfin accepté de faire un geste pour l'environnement : l'essence dans les tronçonneuses sera de l'essence sans plomb. Vision prémonitoire, cela pourrait être le communiqué final de la conférence mondiale sur le climat qui vient de se terminer à Durban : il est urgent de prendre des mesures contre les catastrophes climatiques, mais plus tard.

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3 * Crise économique : appel à mes lecteurs compétents

J'avais déjà attiré votre attention sur une vidéo (1h20) qui m'a semblé tout à fait remarquable pour mieux comprendre le fonctionnement du système financier. De plus,cette vidéo semble fait par des personnes tout à fait compétentes.

Mais j'aurais vraiment aimé que ceux d'entre vous qui connaissent mieux que moi ces problèmes me donnent leur avis. (Ohé, RJ, SD, ...)

Quoiqu'il en soit, je vous conseille vraiment de regarder ce film, on y apprend beaucoup, même lorsqu'on croyait naïvement savoir un peu.

Comprendre la crise financière 2011


Ne tardez pas. Ce film a déjà été enlevé une fois de youtube pour atteinte au droit d'auteur. Pour l'instant, il est en ligne. (14 12 2011)°

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4 * Le fichier des gens honnêtes


J'ai déjà parlé de la mise en place de la carte d'identité électronique, dans cette lettre, mais surtout dans la lettre
Informatique et société
(voir l'article Le fichier des gens honnêtes dans le numéro 31 du 11 11 2011)

Jusqu'à maintenant seules les personnes ayant des raisons d'être fichées l'étaient. D'accord, la conception qu'a notre gouvernement des raisons d'être fiché est de plus en plus extensive, attentatoire aux libertés, arbitraire. Qui plus est, comme dans le fichier Stic de la police, le nombre de personnes fichées à tort est considérable. Mais au moins, en apparence et selon les critères du gouvernement, on était fiché lorsqu'on avait des raisons de l'être.

Changement total de paradigme avec la carte d'identité électronique, baptisée par le député rapporteur du projet « fichiers des gens honnêtes ». Tous les détenteurs d'une carte d'identité seront rassemblés dans un fichier central, comportant non seulement leur identité, mais aussi leurs empreintes digitales et leur visage. Il suffira ensuite (et l'opinion publique n'y verra aucun mal) de rendre la carte d'identité obligatoire, et hop, tout le monde sera recensé dans un fichier central, avec identité et données biométriques.

On passe sans retour possible d'une société où l'on punit les coupables à une société de suspicion préventive : tout le monde peut être coupable, fichons à l'avance, ce sera toujours ça de fait.

Citons des extraits du  très beau texte du sénateur UMP Pillet (oui, UMP), rapporteur de la loi au Sénat, alors que pourtant le Sénat était encore à droite.

« Ce projet est une bombe à retardement pour les libertés publiques.
Démocrates soucieux des droits protégeant les libertés publiques, nous ne pouvons pas laisser derrière nous un fichier que, dans l’avenir, dans la configuration d’une Histoire dont nous ne serons pas les écrivains, d'autres pourront transformer en outil dangereux et liberticide. Toujours dans le déroulement de l’Histoire nous aurions laissé possible la métamorphose perverse d’une idée protectrice. Que pourraient alors dire les victimes en nous visant ? « Ils avaient identifié les risques et ils ne nous en ont pas protégés. » Monsieur le Ministre, je ne veux pas qu’à ce fichier, ils puissent alors donner un nom, le vôtre, le mien ou le nôtre. » Fin de citation du Sénateur UMP Pillet.

L’assemblée nationale a adopté le projet le 5 décembre 2011, en deuxième lecture. Il reste pour voter la loi une navette entre le sénat et l'assemblée. Un point de divergence, crucial pour les libertés publiques : quel usage pourra être fait des données biométriques, visage, empreintes digitales. Le débat est vif entre les tenants des libertés et les tenants d'un fichage généralisé. Je vous tiendrai au courant de la suite et des décisions prises.

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5 * Lueurs

Synthèse d'un article de Le Monde du jeudi 15 12 2011, Anne Devailly,

L'article ouvre sur la présentation d'un agriculteur qui, dans la région de Carcassonne, a installé deux éoliennes sur ses propriétés. L’énergie produite est revendue à la coopérative Enercoop. Cette coopérative s'engage à fournir à ses 10 000 adhérents une énergie à 100% d'origine renouvelable. Ces personnes sont engagées dans une démarche citoyenne. L'énergie vendu par Enercoop est un peu plus chère que celle vendue par EDF. La plupart des adhérents sont, par ailleurs, investis dans des démarches associatives, comme par exemple une association de guides de montagne pour aveugles. Cette coopérative est pour l'instant le seul organisme en France qui garantisse à ses clients une origine 100% renouvelable de l'énergie.

Quelle naïveté ! Est-ce que cela changera le monde ? Sûrement pas, mais cela sème pour l'avenir. C'est un peu comme le colibri, ils auront fait leur part.

Dans un article pourtant bien documenté, la journaliste confond l'unité de quantité d'énergie (GWh) avec l'unité de puissance (GW). Détail pour spécialiste ? Je ne crois pas. Confusion entre deux grandeurs, un peu comme si l'on confondait la vitesse en km/h avec la distance en km. Du coup, on se demande quand même si la journaliste a bien compris ce dont elle parle. Bon, allez, c'est une faute de frappe. 

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6 * Nouvelles en vrac

* Le président Sarkozy a inauguré le siège français de Google. Cette entreprise suscite de plus en plus de critiques et de craintes pour le caractère de plus en plus monopolistique qu'elle exerce sur un grand nombre de secteurs de l'information et de la culture, et pour ses atteintes à la vie privée. Personnellement j'utilise en ce moment (grâce à l'un de vous) le moteur de recherche seeks et j'en suis content. Je ne connais pas bien les tenants et aboutissants de cette entreprise, peut-être suis-je tombé dans un autre piège (merci de me le signaler) mais au moins ce n'est pas Google. Et puis, dans une démarche d'esprit critique, cela peut permettre de croiser les sources.

* L'humoriste Sophie Aram, qui fait deux fois par semaine à 8h55 sur France inter une chronique humoristique, a dit, lorsque JM Le Pen est venu à la radio, une chronique qui a fortement déplu à ce démocrate. Depuis, elle est menacée de mort et protégée par la police. Notez bien que je n'ai jamais dit que les menaces de mort étaient la conséquence du fait d'avoir déplu à JM Le Pen. Ne pas confondre concomitance et causalité.

Commentaire de lecteurs sur un site que j'ai consulté à ce sujet :
« Elle se permet d'insulter un tiers les français. » C'est vrai, elle a traité des électeurs de gros cons. « Non seulement nous allons payer sa garde rapprochée, mais comme elle excréte ses insanités sur une radio d'état, nous la payons GRASSEMENT, avec nos impôts. Honte à ces gens qui se permettent d'insulter les Français,et qui s'intitulent "humoristes"... mdr. Pas étonnant que la France est en pleine décadence,car ces guignolos ont une certaine influence sur une partie de la population. ». Oh là, je ne savais pas que les animateurs de France Inter étaient grassement payés. On peut en tout cas apprécier le sens de l'humour des lecteurs de ce site.

* Vous me dites tous grand bien du film en trois parties « Welcome in Vienna ». J'y cours.

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7 * Intouchables


Dans la lettre [alerte] N° 78 je parlais du plaisir que j'avais eu à voir le film « Intouchables » mais créais un débat interne en citant un article de Libération dont le journaliste dénonçait la naïveté édulcorante de ce film où la lutte des classes est absente.

Poursuivons le débat avec un article de Bruno Frappat dans La Croix. Ciel, La croix, j'aggrave mon cas. L'article part de ce film, pour élargir le débat au contenu des œuvres artistiques et culturelles.

Je ne peux donner d'extraits, car l'article fait un tout, en donner des extraits affaiblirait son sens. Il ne vous reste qu'à cliquer.

Une réserve cependant : Frappat dit que le succès d'une œuvre n'est pas une tare en soi. Sans doute, mais il devrait tout de même ajouter que le succès d'une œuvre n'est pas en soi gage de qualité. La question est : qui décide de la qualité ? Bruno Frappat pense que c'est lui, le journaliste de Libé pense aussi que c'est lui. Dur. Il va falloir se faire ses propres critères... Frappat pourrait tout de même constater que son apologie du succès populaire, sans exigence d'autres critères, peut être reprise sans problème par l'extrême droite. Il devrait compléter son article.

Gérard Courtois, dans Le Monde du 13 décembre, titre « Les Intouchables contre Mme Le Pen » « En ces temps de crise opaque, de misère épaisse, Intouchables, au fond, exprime un espoir rustique mais communicatif. Le pire n'est pas toujours sûr. » «Conte de fées de la générosité triomphant de la connerie ? Évidemment. Mais antidote efficace, on l'espère, aux peurs et aux rejets attisés par le Front National et sans cesse relayés par une partie de la majorité, ministre de l'intérieur en tête. »

Bon, il ne vous reste plus qu'à voir le film, sans vous laisser décourager par son succès, pour former votre opinion. 

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Fin de [alerte] N° 79