[alerte] N° 78 - JM Bérard - 8 décembre 2011

Sommaire du Numéro 78

  1. Ce que parler veut dire
  2. Le Monde
  3. Vers un désastre climatique
  4. Intouchables
  5. Économie
  6. Cruauté et peine de mort
  7. La vie des idées : morale à l'école

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Ce que parler veut dire

L'être humain est un être de langage.

Le vin

Ainsi, par exemple, ne suffit-il pas de boire un bon vin. Pour ne pas se comporter en ours solitaire, pour le partager en toute convivialité, il faut aussi pouvoir en parler avec les autres. Il ne faut pas confondre un vin qui, au premier nez, laisse une première impression bonne, a une intensité aromatique puissante et une nuance aromatique épicée, avec un autre vin dont l'intensité aromatique serait ouverte et la nuance aromatique minérale. Et encore, je ne parle ni du deuxième nez, ni du regard, ni de la bouche. Cela dit, je ne sais si l'on a fait sur ce vocabulaire des tests de validité. Dix amateurs éclairés emploient-ils les mêmes mots pour décrire le même vin dégusté séparément ? Je crois que beaucoup de vous sont connaisseurs. Pouvez-vous m'éclairer ? Avez-vous essayé ?

J'essaierai une autre fois de parler de l'expression de la tendresse et du plaisir entre deux personnes. Mais c'est beaucoup plus difficile.

Le sport

Pour le sport, il ne s'agit pas seulement de partage convivial, mais aussi d'exigence commerciale pour une activité aux énormes retombées économiques. C'est d'ailleurs, pour un sportif de haut niveau, une faute professionnelle que de ne pas participer à la conférence de presse qui suit la compétition. Il faut non seulement jouer, mais vendre ce qu'on a joué.

Mais que dire, et comment le dire ? Il me semble que l'on ait choisi de s'appuyer sur une conception vaguement psycho-sociologique avec un fond new age de dépassement de soi et de bien-être individuel.

Ainsi, après un match de foot perdu : « Nous nous sommes fait plaisir, nous avons joué au ballon, mais nous avons manqué de réussite .» On est admiratif devant le principe explicatif contenu dans « Nous avons manqué de réussite. » Voila une explication qui donne les moyens de remédier à la situation ! « La prochaine fois, il nous faudra jouer avec plus de réussite.» Quant au début de la phrase, imaginons : « Nous nous sommes beaucoup ennuyés, et nous avons cru pendant tout le match que nous jouions à la pelote basque avant de réaliser, trop tard, que nous étions en train de jouer au ballon.  »

La politique

Quant-à la politique... On ne sait jusqu'à quel niveau montera la pratique de la diversion, du style « il ne faut pas se tromper de cible. » Le 5 décembre 2011, des militants de l'association écologiste Greenpeace pénètrent dans des centrales nucléaires, pour mettre en évidence les défauts de sécurité. . Réaction du président de la République : « il faut améliorer la sécurité des centrales » ? Que nenni ! « Les militants de Greenpeace sont des irresponsables. » C'est vrai, ça. Ils ont pris des risques réels, les gardiens auraient pu riposter par la force ; ce sont des militants pacifistes, que se serait-il passé pour des terroristes déterminés à risquer leur vie ?

Chers amis de Greenpeace, pourquoi tant de haine ? Qui a besoin de savoir que les centrales nucléaires ne sont pas si sures qu'on le dit ? Regardez plutôt les infos sur TF1.

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Le Monde

J'ai commencé à lire Le Monde en 1961. Autant que je me rappelle, il valait 80 centimes. Il n'y avait aucune photographie. Les articles étaient écrits en caractères austères, et c'était au journaliste, par son style, d'évoquer les situations, et non aux photographies. L'homme était un être de langage.

Depuis quelques temps, Le Monde a une édition Week end. 3,20 euros, 21 francs. Un supplément intéressant sur les Sciences et la technologie, marquant enfin la présence des sciences dans la culture. Mais pour le reste... Le magazine hebdomadaire a pour titre « M » en gothique flamboyant. Dans le numéro du 3 décembre 2011, des pages et des pages de publicité, pour des bijoux de grand luxe, des montres de grand luxe, des parfums de grand luxe, des gadgets très très high tech. Pour le contenu, une lectrice écrit avec humour  « Je suis contente de la parution de M. je peux enfin lire Elle en faisant croire que je lis Le Monde ».

Dans ce numéro du 3 décembre, un long article exposant les problèmes que posent les relations de couple entre les hommes politiques et les femmes journalistes. Peu d'analyses sérieuses, une liste de journalistes femmes vivant avec des hommes politiques (des fois qu'on serait pas au courant...) et des ennuis qu'elles ont eus : rubrique supprimée, émission annulée... Pas d'analyse sur la qualité de leur travail, ni sur les conséquences de leur vie personnelle sur le contenu des articles qu'elles publient en tant que journalistes.

C'est en tout cas un prétexte pour publier, dans le même numéro, une photo de F. Hollande embrassant Mme Trierweiler (à peine sur la bouche) et quatre photos de Audrey Pulvar, très belle compagne du socialiste Arnaud Montebourg. Dont une en « une » du journal, et l'autre en « une » du magazine M. Quelle est l'information contenue dans ces quatre photos ? Difficile à dire, sinon qu'elle est belle. Hélas il n'y a pas de photo d'elle en maillot de bain ou sous la douche. Encore un effort, M.

Bon, je suppose qu'il faut bien que la presse vive. Et c'est nous qui la faisons vivre en achetant ça ! Je ne peux même pas dire que je préfère Le Monde au Figaro, je ne lis pas le Figaro. Quel parti pris.

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Vers un désastre climatique

Dans Le Monde des 4-5 décembre 2011 un article de Emmanuel Leroy Ladurie, de l'académie des sciences morales et politiques, professeur honoraire au collège de France, historien du climat.

Une synthèse sommaire :

la notion de réchauffement global est maintenant généralement admise : réchauffement des basses couches de l'atmosphère, des océans, recul des glaciers, élévation du niveau des mers de 2 mm par an, réchauffement des sols en profondeur (permafrost). Ces phénomènes dépendent pour une grande part et en dernière analyse de l'accroissement des volumes des gaz à effet de serre (CO2 en particulier) projetés dans l'atmosphère par les combustions de toutes sortes, telles qu'elles fonctionnent massivement dans l'industrie, l'agriculture, les modes de transports les plus variés. [...] Une impression que je partage avec l'historien américain Parker : le réchauffement va s'accompagner en diverses régions de la planète de guerres, de troubles sociaux éventuellement graves, voire révolutionnaires. [L'auteur présente ensuite la description d'un ensemble de situations historiques confirmant cette impression. Il ajoute cependant que le pire n'est pas toujours sûr, et que l'historien n'est pas toujours un prophète de malheur ; il a bien assez à faire avec les désastres du temps jadis.] Sommes-nous vraiment devant une fatalité, un fatum à la romaine ? L'auteur n'est pas à même de conclure sur ce point redoutable, mais l'inquiétude demeure en présence d'accroissements thermiques considérables, du moins si on les compare aux menues oscillations des siècles passés.

Fin de la synthèse sommaire.

En ce moment a lieu, dans l'indifférence générale, à Durban, la conférence sur le climat. La quasi-totalité des pays considèrent que, en période de crise, il faut développer l'activité industrielle, et qu'on a vraiment mieux à faire que de penser à des fadaises telles que le réchauffement climatique. On n'attend de Durban aucune mesure significative. Si je me trompe, je vous le dirai dans le prochain numéro. Je prends peu de risques.

Je l'avais dit, je crois, dans une précédente lettre. Les experts espéraient limiter à 2°C l'augmentation de température d'ici à la fin du siècle. On estime actuellement que l'on parviendra sans doute à 4 ou 5°C, avec un nombre considérable de conséquences graves pour l'humanité.

Un petit exemple. Les océans participent pour une grande part à l'absorption du C02, qui se dissout dans l'eau. Or plus on émet de CO2, plus la température augmente, par effet de serre. Et plus la température augmente, moins les océans peuvent absorber de CO2. L'eau plus chaude absorbe moins de gaz. Du coup, le réchauffement s'aggrave. C'est pourquoi, n'en déplaise au climatosceptiques, nous approchons d'un point où le phénomène sera irréversible.

Ce n'est pas une prophétie millénariste de fin du monde, contrairement à ce que dit le « philosophe » Brückner, qui n'a même pas pris la peine de comprendre le raisonnement. Il publie un livre au titre vendeur et accrocheur « Le fanatisme de l'apocalypse ». C'est un livre aussi sérieux que ceux de Claude Allègre sur le même sujet.

Le fait que le réchauffement dû au CO2n va connaître un basculement irréversible n'est pas une prophétie apocalyptique, c'est une prévision scientifique.

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Intouchables

J'allais voir le film un peu à reculons. Plus de dix millions de spectateurs ? Oui mais « Bienvenue chez les chtis», que javais trouvé méprisant et racoleur, avait aussi eu des millions de spectateurs. Et puis ce scénario du black de banlieue et du riche tétraplégique se liant d'amitié, prouvant que tout le monde il est beau, me semblait un peu mièvre. Jusqu'à ce que je découvre que c'est une histoire vraie, et que les vraies personnes ont activement participé à la réalisation du film.

Bon, vraie mais guère exemplaire, car tout à fait atypique. Il me semble que ce succès est une réaction contre cette société de haine du voisin, de haine de l'autre que développe notre président. Un film de tendresse, c'est toujours ça. Bon, je vous conseillerais volontiers d'aller le voir, sans vous laisser décourager par son succès. Un peu de tendresse par ci, une action associative par là... L'avenir se prépare pas à pas.

Extrait de Rue 89, Pascal Riché, le 10/11/2011, beaucoup plus sévère que moi. Si j'en crois cet article, j'ai manqué d'esprit critique

    l'article de Rue 89

    Extraits : En réalité, si ce film plaît tant, c'est parce qu'il présente une histoire aussi éloignée que possible de notre réalité concrète. Elle se passe dans un univers parallèle : un monde qui n'existe pas.

[...] A y repenser, les « comédies sociales » à succès, ces temps-ci, sortent de la même matrice : on confronte deux faux mondes sociaux qui s'ignorent habituellement, et ce « choc » se passe merveilleusement.

    [...] La France d'aujourd'hui, pour rire, n'a besoin de rien d'autre. Cette France qui applaudit aux « Intouchables » est fatiguée. Elle se désintéresse des « Indignés » qui tentent d'occuper La Défense. Aux « primaires citoyennes », elle choisit de voter « gauche molle ».

    C'est une France à l'image de Philippe, le tétraplégique du film : immobile, impuissante, vieillissante. Et accrochée au rêve improbable qu'un jour, quelqu'un ou quelque chose viendra sans brutalité la réveiller.

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Économie


Plusieurs d'entre vous ont de grandes compétences en économie. Expliquez-moi s'il vous plaît. (Sos, SD, RJ, etc.)

* Nicolas Sarkozy voudrait convaincre Mme Merkel, la chancelière allemande. La banque centrale européenne devrait avoir le droit de racheter les dettes des états d'Europe. Or je croyais que justement, en 1973, on avait changé le système économique et interdit aux banques centrales de racheter les dettes des états. Cette pratique s'appelait « faire fonctionner la planche à billets » (c'est à dire créer de la monnaie sans contrepartie) et conduisait tout droit à l'inflation. Pourquoi ce que les économistes de 1973 ont condamné est-il maintenant le grand espoir de N. Sarkozy ?

*N. Sarkozy et Mme Merkel sont au moins d'accord sur une chose : il faut développer partout des plan de rigueur, pour traquer la dette malfaisante et immorale. Mais plan de rigueur veut dire baisse des salaires et des prestations sociales, recul de l'âge de la retraite, hausse des impôts, etc. Comment pourra-t-on relancer la production si les gens n'ont plus de quoi acheter ? J'y vois (bêtement sans doute) un cercle vicieux : rigueur, baisse de la consommation, augmentation du chômage donc baisse de la consommation, augmentation du chômage...

Extrait d'un texte de J. Stiglitz, prix Nobel d'économie, paru sur le site Le café pédagogique le 7/12/11 :

Joseph E Stiglitz, prix Nobel d'économie, écrit : " Les compressions dans le secteur public aujourd’hui ne règlent en rien les débauches budgétaires d’hier ; elles ne font que pousser les économies vers des récessions un peu plus profondes. Les dirigeants européens le savent. Ils savent qu’il y a un besoin de croissance. Mais plutôt que de s’attaquer aux problèmes du moment et de déterminer une formule pour la croissance, ils préfèrent se livrer à des homélies sur ce que le gouvernement précédent aurait dû faire. Un moyen de trouver satisfaction en sermonnant autrui, mais qui ne résoudra pas les problèmes de l’Europe - et qui ne sauvera pas l’euro."

En citant Stiglitz, je veux juste dire que je ne suis pas le seul à avoir cette vue pessimiste de l'avenir ; c'est un argument d'autorité. Cela ne signifie pas que l'économie soit devenue une science. Je n'ai pas cherché, mais pour un prix Nobel d'économie qui dit ceci, je suis sûr que je peux en trouver un autre qui dit le contraire. D'où l'importance qu'il y aurait à ce que la politique reprenne le dessus sur la loi des marchés.

Je vous l'ai déjà dit. Je ne propose absolument rien à mettre à la place. Je pense simplement que le système tel qu'il est est dans une spirale auto-destructrice.

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Cruauté et peine de mort

La peine de mort me fait horreur.

On voit aux USA des tribunaux refuser à des condamnés à mort des tests ADN qui pourraient les innocenter.

En Chine, la peine de mort est extensive, visant de nombreux adversaires idéologiques du régime. Et parfois on fait payer par les familles la balle qui a servi à exécuter leur parent.

Et voici que dans Rue 89 j'apprends que, en Chine, le dernier repas servi aux femmes condamnées à mort est un repas McDonalds. Là vraiment, c'est trop. Faut arrêter ! Un repas McDonalds !

On voit sur la photo une femme condamnée délaisser le repas McDonalds pour se préparer une soupe aux pois. J'ai l'air, comme ça, de faire de l'humour noir, mais franchement j'admire, le cœur serré et les larmes aux yeux, la dignité et le courage de cette femme qui n'a plus que quelques heures à vivre et se prépare de la soupe aux pois.

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La vie des idées : morale à l'école

Extrait du site la vie des idées

Coopérative intellectuelle, lieu de débat et atelier du savoir, veut être un réseau de compétences qui dépasse les frontières géographiques et croise les champs disciplinaires, tout en cherchant à rester accessible au plus grand nombre. La consultation du site et l’abonnement aux lettres d’information sont entièrement gratuits.

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On peut s'abonner à une lettre quotidienne, hebdomadaire ou bi-mensuelle.

Sur la page d'accueil, présentation d'un certain nombre d'ouvrages. Ainsi, le 6 12 2011 :

Quelle morale, et pour qui ?

L’éternel retour de la morale à l’école

par Ruwen Ogien [mis en ligne sur la vie des idées le 06-12-2011]

Sous le titre « Respect de la loi » j’avais fait un article sur le retour de la morale à l'école dans

le numéro 66 de [alerte]

L'article de Ruwen Ogien propose une analyse historique, sociologique et politique détaillée. Juste quelques extraits, qui ne remplaceront pas une lecture de votre part.

« Le retour de la morale à l’école est, à mon avis, un nouvel épisode de la guerre intellectuelle menée contre les pauvres, qui vise à les faire passer pour responsables de leur situation de plus en plus précaire.

[...]Dans une démocratie laïque et pluraliste, comme la France prétend l’être, l’école peut dispenser un enseignement civique, un apprentissage des règles de la coexistence pacifique entre citoyens aux croyances différentes. Mais elle doit rester neutre, en principe, par rapport au contenu de ces croyances, qu’elles soient relatives aux idées de ce qu’est une vie bonne, ou qu’elles soient religieuses.

[...] Par conséquent, dans l’école démocratique, il est légitime d’instaurer une instruction civique, dont l’objectif est de nous apprendre le fonctionnement des institutions politiques et les règles du vivre ensemble. Mais il n’est pas légitime d’imposer une instruction morale, dont l’ambition serait de nous engager dans l’une ou l’autre de ces façons de vivre.

[...] La guerre contre les pauvres s’exprime dans des attaques incessantes contre les bénéficiaires de revenus sociaux, accusés d’être le « cancer de la société » et contre les plus défavorisés accusés d’être responsables de leur propre malheur du fait de leur paresse et de leur immoralité. L’idée qui justifie ces projets agressifs, c’est que si vous êtes pauvre, chômeur de longue durée, malade ou sans abri, c’est par votre faute. Vous ne vous levez pas assez tôt, vous ne cherchez pas assez de travail, vous ne faites aucun effort pour améliorer vos compétences, et ainsi de suite. Bref : vous êtes responsable de votre situation matérielle, et si vous ne l’améliorez pas, c’est que vous ne le voulez pas suffisamment, ou que vous avez effectué des choix défectueux, Il s’ensuit, dans cette logique qu’il n’est pas immoral d’abandonner à leur sort les laissés pour compte du marché du travail, puisqu’ils sont responsables de ce qui leur arrive

[...] Mais le retour de la morale à l’école exprime aussi une certaine philosophie, qu’on comprend mieux si on prend à la lettre les propos des penseurs conservateurs qui le défendent. Ils disent très crûment que mettre l’accent sur la nécessité de la morale à l’école permet de « diminuer l’importance du facteur social » dans l’explication de la délinquance ou de l’échec scolaire. C’est en ce sens qu’on peut dire du retour de la morale à l’école qu’il est un nouvel épisode dans la guerre intellectuelle contre les pauvres, visant, comme les précédents, à les rendre responsables des injustices qu’ils subissent. »

Vraiment, lisez l'ensemble de l'article.

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Fin de [alerte] N° 78

Commentaires

1. Le dimanche 11 décembre 2011, 13:47 par JM B

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