[alerte] N° 67 - JM Bérard - 30 juin 2011

Sommaire du numéro 67

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* Indignation, exaspération, révolte : la fin de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans

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* Indignation, exaspération, révolte : la fin de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans

Le journal Le Monde daté du 30 juin 2011 publie un article intitulé « L'apprentissage avant 15 ans défie le collège unique ».

Je m' exprime peu sur les questions concernant l'éducation nationale, mais là, je ne sais comment vous faire partager mon indignation, mon exaspération, ma révolte.

Votée en première lecture à l'Assemblée Nationale, puis au Sénat lundi 27 juin, la proposition de loi réformant l'apprentissage met fin au principe du collège obligatoire jusqu'à 16 ans. (Scolarité obligatoire serait plus juste que collège obligatoire, mais bon, voici encore un titre écrit par la rédaction du journal sans consulter l'auteur de l'article.)

La droite renoue avec les vieilles lunes, les vieux mythes de l'apprentissage. Embauché très jeune chez un artisan amoureux de son métier, l'apprenti s'imprègne des valeurs morales de l'artisanat, discipline, respect, goût du travail bien fait. Après avoir longtemps balayé l'atelier, sans être payé, il peut enfin toucher le bois, manier le ciseau, dépenser beaucoup d'huile de coude, et présenter son chef-d’œuvre comme meilleur ouvrier de France. Il pourra ainsi transmettre à ses enfants et petits-enfants admiratifs le respect, le goût du travail bien fait, etc. etc.

Le renouveau de l'apprentissage tente les députés UMP, et, pour être honnête, l'opinion publique n'y est pas insensible. Pourquoi obliger à aller au collège des jeunes qui n'apprennent rien, fichent la pagaille et même la violence, et empêchent les « bons éléments » d'apprendre ?

Comme le dit le sociologue François Dubet, cette mesure participe du vieux réflexe français qui consiste à dire qu'il y a des gamins qui ne sont pas faits pour l'école et qu'il faut les en sortir le plus vite possible pour les placer dans une voie de relégation. Sur ce plan, on est dans la vraie contre-réforme par rapport au collège unique.

A mon avis, ce « vieux réflexe français », partagé par une partie de la classe politique de droite et par une partie de l'opinion publique, repose sur une double erreur et sur un grave constat d'échec.

Première erreur : le mythe de l'artisan. Il existe certes encore des potiers, des ébénistes, des vanniers, des cordonniers amoureux de leur métier et qui font de la « belle ouvrage ».

Mais en quelle proportion, face au développement des techniques industrielles ? Pour un ébéniste, combien de meubles Ikea ? Pour un cordonnier, combien de stands Topy ?

Et surtout, ne confond-on pas l'artisanat du XIXème siècle avec les métiers du XXIème ? De nos jours, quel métier peut-on exercer sans savoir lire couramment les modes d'emploi, les spécification techniques ? Électricien, avec tous les calculs que cela suppose ? Plombier (même polonais) qui suppose un haut niveau de qualification technique ?

Quel métier peut-on maintenant exercer sans un minimum de maîtrise de l'ordinateur ? Couture, où l'ordinateur calcule et découpe les patrons des vêtements ? Garagiste, où le fonctionnement quotidien des moteurs de voiture est quasi-totalement piloté par l'informatique ? Le mythe du mécano les mains emplies de cambouis qui émerge fièrement de sous la voiture en ayant réglé le moteur pour qu'il tourne rond en prend un sale coup face au technicien en blouse blanche regardant les écrans de sa machine à diagnostic électronique.

De plus, dans la complexité des règlements actuels, un apprenti formé sur le tas saura-t-il faire un devis ? Gérer les investissements de son entreprise s'il devient lui-même artisan ? Ou encore créer et gérer l'indispensable site internet qui fait connaître l'entreprise ?

La réalité est que, sans même parler de culture générale et d'épanouissement du citoyen (valeurs pourtant fondamentales) l'économie a besoin de personnes qualifiées et formées. Dans tous les pays du monde on constate que, pour des raisons strictement économiques d'efficacité, il faut élever le nombre d'étudiants après le bac. La France est très en retard sur ce point.

D'ailleurs, selon l'article du journal, le patronat, très cyniquement, affirme qu'il n'est pas preneur de ces jeunes apprentis que l'on veut lui refiler : ils savent mal lire, n'ont pas le permis de conduire, et représentent une charge pour l'entreprise, alors que, compte tenu du chômage, il y a des tas de gens très qualifiés que l'on peut embaucher à bas prix.

Deuxième erreur, résultant d'une idéologie fortement implantée : dans la vie du producteur, seul compte le travail. Point n'est besoin de culture, de cinéma, de lecture, d'art, de loisirs, de plaisir. On travaille ses 45 heures (pour l'ouvrier), ses 70 ou 80 heures (pour l'artisan patron) et on reconstitue sa force de travail en mangeant et dormant, pour repartir le lendemain. Face à cette idéologie, les 35 heures et les RTT, qui laissent place dans la vie à autre chose que le travail sont totalement insupportables. Pas pour des raisons économiques (cela ne marche pas si mal) mais pour des rasions idéologiques. Les ressentiments contre le front populaire et les congés payés sont encore vivaces. Que diable allaient faire les ouvriers à bicyclette sur les plages des riches ?

Et puis, surtout, cette mesure autorisant l'apprentissage précoce est un grave aveu d'échec.

Au début du XXème siècle, tout était clair : le lycée et le bac étaient destinés aux enfants de la bourgeoisie. Les enfants méritants des autres classes sociales passaient le brevet supérieur, et les autres le certificat d'études. Contrairement aux idées reçues, seule un petite moitié d'une classe d'âge accédait au certificat. Ce système objet de toutes les nostalgies conduisait la moitié des élèves à l'échec ! Mais ce n'était pas dramatique, car, avant l'informatique et l'évolution des techniques, on pouvait être un bon ouvrier sans savoir trop de choses.

Au cours du XXème siècle, les choses évoluent. Les milieux politiques et économiques prennent conscience de la nécessité d'augmenter le niveau culturel moyen de la population. Forte augmentation du nombre des bacheliers. Et surtout, date clé, en 1975 mise en place par le gouvernement (de droite, soulignons le) et par son ministre René Haby, du collège unique. Tous les élèves rentrent en 6° sans examen, et tous sont dans le même collège, sans les filières qui existaient précédemment.

Dès 1975, cette réforme est combattue, freinée, rendue peu efficace par une coalition d'intérêts divers.

Au contraire de la droite éclairée, qui a mis en place le collège unique, la droite passéiste est nostalgique de l'époque où les choses étaient bien en place, et où les études au lycée et à l'université étaient de fait réservées aux enfants de la bourgeoise. Les enseignants, certifiés ou même agrégé qui enseignent dans les collèges n'ont pas du tout été formés dans l'idée qu'ils doivent s'adresser à toute une classe d'âge, ils ne savent pas faire, et sont nostalgiques des filières.

Et surtout, au fond du problème, le collège unique a été mis en place en conservant toutes les structures et les méthodes de l'ancien collège, elles-mêmes calquées sur les structures et les méthodes de l'ancien lycée. Le collège reste un « petit lycée », ni ses programmes étroitement disciplinaires, ni les méthodes d'enseignement ne prennent en compte le fait que maintenant, tous les enfants sont sur les mêmes bancs. Échec garanti.

Je vois donc dans le vote de cette loi dérogeant à la scolarité obligatoire un magnifique et sinistre aveu d'échec. On ne parvient pas à ce que tous les élèves apprennent à l'école, supprimons l'école...

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Fin de [alerte] N° 67