[alerte] N° 68 - JM Bérard - 28 juillet 2011


Sommaire du numéro 68

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Quelques billets d'humeur pour l'été

* Mais non, l'extrême droite n'est pas dangereuse...

* Chronique de la droite populaire

* Danses bretonnes

* Détruire pour vivre

* Les experts

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Un dessin humoristique paru dans les années 60, à l’époque où les touristes utilisaient des appareils photos compliqués.

Un touriste photographie une vieille dame bigoudenne, avec sa très haute coiffe en dentelle. Et la vieille dame lui dit :

“Monsieur, si vous ouvrez à f8 au 1/50 ce sera surexposé.”

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* Mais non, l'extrême droite n'est pas dangereuse...

En Norvège, un homme travaillé, hanté, ravagé par les idées d'extrême droite fait exploser une voiture, tire froidement sur des jeunes. Près de 80 morts.

La presse s'interroge gravement : cela a-t-il un rapport avec la montée des mouvements populistes d'extrême droite dans toute l'Europe ? Comme s'il y avait le moindre doute là-dessus !

Hasard du calendrier, en cette fin juillet 2011, Maxime Brunerie, militant d'extrême droite qui avait tiré sur le président de la république le 14 juillet 2002 est libéré après avoir purgé sa peine. Mais non, la montée de l'extrême droite n'est pas dangereuse... 80 morts par ci, un président de la république par là, broutilles.

En Norvège, le gouvernement, et, semble-t-il, l'opinion publique ont pour l'instant considéré que ces attentats ne devaient pas remettre en cause la démocratie norvégienne, et que voter des lois répressives de circonstance serait en définitive donner raison au terroriste. Ce n'est pas la voie que suit le gouvernement français : depuis quelques années les lois répressives de circonstance se multiplient (pour une efficacité d'ailleurs très faible) alors que la France est pourtant la patries des Lumières et des droits de l'homme... Autre pays, autre conception de la démocratie.

A l'approche des élections de 2012, l'expression de toutes les thèses les plus répugnantes a maintenant pignon sur rue, tant au front national, bien sûr, que dans la fraction d'extrême droite de l'UMP appelée « droite populaire ». Toutes les paroles visant à exclure, à diviser, à monter les gens les uns contre les autres et à semer la haine semblent désormais parfaitement « naturelles ». « Nous ne faisons que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas... » C'est oublier bien vite que la parole peut tuer.

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* Chronique de la « Droite populaire "

Suite au massacre en Norvège, perpétré par un homme sous l'influence des idées d'extrême droite, le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix a dénoncé le danger de la montée en Europe des thèses d'extrême-droite, en citant, pour la France, le Front National et la droite populaire. La droite populaire est un groupe d'une quarantaine de députés UMP, qui affichent désormais ouvertement des idées proches du front national.

Le Front National a porté plainte contre le MRAP. Quant-au député Carayon, de la droite populaire, il a demandé tout bonnement que le gouvernement cesse toute subvention au MRAP, qui, selon lui, fait preuve d'un « mépris scandaleux à l'égard des élus de la nation et du peuple français. » Pour la droite populaire, c'est chose faite : le peuple français est désormais raciste, xénophobe, porteur de haine, et la droite populaire le représente dignement.

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* Danses bretonnes

Festival de Cournouaille à Quimper. Mais non, il ne s'agit pas de « bretonneries » folkloriques. Les groupes de musique sont créatifs, font évoluer les morceaux traditionnels. De nombreux jeunes musiciens y sont présents.

Quant-aux danses, c'est un vrai bonheur. Malheureusement, malgré les cours donnés l'après-midi, les pas sont un peut trop difficiles pour moi. Mais le soir, sous le chapiteaux, quelle joie, quelle allégresse, quel plaisir de ressentir tout le bonheur collectif. Tout le monde est sur la piste, les jeunes, les personnes âgées, les gens «chics » et ceux qui le sont moins. Les regards s'échangent, la ronde se forme. Les pieds semblent ailés, survolent le parquet et marquent les pas avec une précision et un ensemble stupéfiants. Pas du folklore pour touristes, une vraie fête de tous.

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* Détruire pour vivre

Je me pose toujours la même question : sommes-nous dans une société qui, pour survivre, doit, paradoxalement, se détruire elle-même ?

Dans le village de mes parents, en Savoie, le tourisme donne du travail à tous ceux à qui l'agriculture ne permettait plus de vivre. Seul problème : il n'y a plus de village, les constructions bas de gamme, boites à vacanciers ont occupé le terrain. Développement à court terme ? Peut-être, mais c'est déjà ça, me répond-on.

En Bretagne, destruction de la petite agriculture et de la pêche artisanale, le tourisme permet aussi à beaucoup de vivre et travailler au pays. Mais à quel prix... Ce n'est plus un tourisme « culturel », pour gens « chics » où l'on visitait les trésors du patrimoine et où, parfois, on parlait aux habitants. La consommation règne. Une crêperie, un magasin de souvenirs faits en Chine, une galerie « d'art », un restaurant, un magasin de souvenirs, une crêperie.. Qu'est-ce qui différencie Honfleur de Guérande ou de Locronan ou des ports de Crète ? L'inscription sur les souvenirs à bas prix prétendus locaux. Pour savourer la ville close de Concarneau ou les rues de Locronan, il faut attendre 19h et la fermeture des magasins « marchands du temple ».

A la pointe du Raz, le bout de la terre, l'accès est devenu, de fait, payant. Payer pour accéder à la nature ? Pourquoi pas, l'argent recueilli a permis de construire des sentiers empierrés où circulent les touristes, et de reconstituer la végétation.

Mais alors que proposes-tu ? Je n'en ai aucune idée. Je crois que des associations de tourisme éthique se créent pour aller en Afrique ou en Amérique latine. Pour aller en Savoie, ou à Guérande et Locronan, je ne sais pas.

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* Les experts

La conception que j'ai du rôle des experts suscite souvent un vif débat avec deux d'entre vous. Et peut-être d'autres qui ne réagissent pas n'en pensent pas moins.

L'un de vous me fait remarquer que je ne prends pas assez en compte le problème des conflits d'intérêt. C'est vrai. Comment appeler « experts » des gens qui expertisent des médicaments tout en travaillant pour les laboratoires qui les produisent ?

Une autre me fait remarquer avec insistance que, en surestimant le rôle des experts, je soutiens le développement de la bureaucratie, au sens sociologique du terme. Et que je surestime du même coup ce que l'on peut appeler la « vérité scientifique ».

Et pourtant, je maintiens. Une condition : je considère comme « experts » des personnes qui, pour travailler, s'appuient sur un corpus d'expériences publiées et reproductibles, conduisant à des connaissances scientifiques constituées et à des lois faisant l'objet d'un consensus scientifique. Cela exclut donc l'économie, la sociologie, qui ne sont pas, dans ce sens précis, des sciences.

Un exemple : depuis des années, les chercheurs scientifiques qui collaborent au groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat collectent des études publiées dans des revues à comité de lecture, les comparent, les critiquent, et produisent des conclusions qui, font, grâce à cette méthode, l'objet d'un consensus scientifique solide. Je me souviens qu'il y a vingt ans les experts en climatologie disaient ne pas savoir si le réchauffement climatique était lié à l'activité humaine. L'évolution de leurs études fait que, depuis, ils considèrent comme sûr à plus de 99% le fait que ce réchauffement est dû à l'homme. Ils en analysent les conséquences, et supplient les hommes politiques d'étudier sérieusement leurs rapports. En vain, mais c'est un autre problème : les intérêts économiques sont plus forts que les experts. Il suffit alors qu'un non spécialiste, s'appuyant sur quelques document douteux ou même falsifié, publie un « Ma vérité sur le climat » pour que les partisans de la politique de l'autruche se rassurent : merci M. Allègre, on va pourvoir ne rien changer, tant pis si on en crève.

Autre exemple récent :

Des dizaines de sangliers sont morts sur une plage de Bretagne. Les experts ont une quasi certitude : les morts de sangliers, les algues verts, la pollution des nappes phréatiques sont dues à une pratique excessive de l'élevage industriel du porc et de l'usage des nitrates dans cet élevage. Pas du tout répond le candidat Nicolas Sarkozy. Il faut, dit-il cesser d'incriminer les agriculteurs qui n'y sont pour rien. Mais alors qui y est pour quelque chose ? Le maire de la commune se plaint : « il y en a assez de salir ma commune en incriminant les agriculteurs ». Il me semble, monsieur le maire, que ce sont plutôt les algues vertes qui salissent votre commune ! La parole du président ou du maire a manifestement plus de poids que les analyses des experts de l'Ifremer et autres organismes scientifiques, qui incriminent l'agriculture industrielle.

Encore un :

Dans le pays Bigouden (Pont l'Abbé) les femmes portaient, jusqu'à une période récente, une coiffe de grande hauteur (près de 33cm). Les habitants du pays affirment que c'était pour protester contre la révolution française qui avait limité la hauteur des clochers, compensée donc par l'élévation des coiffes. C'est la tradition, transmise par les anciens, cela a valeur de vérité.

Hélas pour la tradition, les historiens indiquent que c'est Louis XIV qui avait mutilé les clochers bretons pour punir les bretons qui s'étaient révoltés contre les impôts excessifs (révolte des bonnets rouges). Alors que la coiffe n'a commencé à monter qu'au début du XXème siècle. Dans les années 1925 elle mesure 15 cm, pour atteindre son apogée après la guerre de 39-45, avec 33 cm.

Qui croire ? La tradition orale des anciens, ou le travail des historiens ?

J'aime bien la formule du grand physicien et philosophe Étienne Klein, qui dit que la physique consiste à expliquer le réel par l'invraisemblable. Invraisemblable, c'est à dire absolument contraire au bon sens populaire. La physique dit que la terre tourne autour du soleil, alors que nous voyons chaque matin le contraire. La physique dit que les objets lourds et les objets légers tombent à la même vitesse. C'est même le fondement de la physique moderne. Alors que chacun peut voir le contraire...

Faut-il se méfier des experts, ou du bon sens populaire ?

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Fin de [alerte] N° 68