[alerte] N° 64 - JM Bérard - 30 mai 2011

Sommaire du numéro 64

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* Ce que parler veut dire

* Vulgarisation scientifique : treize minutes

* La parole de la femme de chambre

* Radars, droite populaire et démocratie

* Chronique de la droite populaire

* Aujourd'hui, c'est déjà demain

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* Ce que parler veut dire

Le journal « Le Monde » du 28 mai 2011 consacre une page au travail des intellectuels qui entourent Marine Le Pen et contribuent à l'élaboration de son corps de doctrines.

Un extrait : « Leroy, Ozon, ces conseillers très spéciaux ont amené à Marine Le Pen leur science de la reformulation. La formule 'protectionnisme social' se substitue peu à peu à 'préférence nationale' . La 'relocalisation des populations' désigne désormais le renvoi des immigrés dans leur pays d'origine.

Dans le roman « 1984 » George Orwell décrivait comment le pouvoir totalitaire instaure une surveillance généralisée, mais aussi un contrôle de la pensée par le contrôle des mots (la novlangue). Comment penser la liberté si l'on supprime l'usage du mot liberté ?

Cette pratique de la reformulation n'est pas propre au Front National, mais concerne l'ensemble des partis politiques, à l'ère des conseillers en communication. Contrôler les mots oriente la pensée, et dispense de penser.

Le blog de Louis-Jean Calvet, linguiste célèbre et aussi spécialiste de l'histoire de la chanson française, apporte souvent des exemples et réflexions utiles à ce sujet.

http://louis-jean.calvet.pagesperso-orange.fr/francais/journal/01_journal.htm

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* Vulgarisation scientifique : treize minutes

Tout comme l'ensemble de la société, les découvertes scientifiques et applications de la science évoluent à un rythme accéléré. Cela rend d'autant plus difficile la compréhension de ces évolutions, et l'analyse des avantages et des risques de leurs applications.

Puces RFID, nanotechnologies, génétique sont l'objet de débats vifs, mais pas toujours éclairés.

Les nanotubes sont présentes dans des pneumatiques, des peintures, des cosmétiques, des médicaments, des matériaux conducteurs, des tissus, des vitres qu'il devient inutile de nettoyer, des chaussettes qui sentent moins mauvais. On prévoit dans un avenir bref d'autres développements spectaculaires de ces techniques. Mais ces nanotechnologies, déjà massivement diffusées, sont ignorées de la plupart, et leurs éventuels dangers n'ont nullement été évalués.

Les recherches récentes conduisent à des modes de représentation du monde inaccessibles au grand public, et bouleversant totalement notre conception du monde : théorie des univers multiples, unification entre relativité et mécanique quantique, modèle standard de la matière, unification des forces, analyse du big bang se fondent sur un formalisme et des conceptions du monde totalement en dehors de nos conceptions courantes, où l'espace et le temps usuels disparaissent pour faire place à des concepts nouveaux.

Il est donc capital que les chercheurs, en sus de leurs travaux de recherche, consacrent du temps au difficile travail de « vulgarisation » consistant à travailler sur leurs propres représentations et théories pour les rendre accessibles au public.

Cette mission est peu assurée, car quasi absente des évaluations concernant les travaux des chercheurs, et donc de leur propre avenir professionnel. Regrettable.

Peut-être cependant citer la revue « La Recherche » ?

Dans ce contexte, attirons l'attention sur le site

http://www.treizeminutes.fr/

Ce site permet de visualiser des petits films de treize minutes sur un sujet donné. Exemples : "''à la rencontre des astres extrêmes de notre univers''", "''trois grands mystères de la science...''"

Attention : on se laisse prendre. J'ai voulu, pour écrire cet article juste jeter un coup d’œil sur le site, car je n'avais pas beaucoup de temps, et j'ai regardé en entier « Qui suis-je » et surtout « Qui veut la peau de Sheldon Cooper ?». Je dois le dire, tout honteux : je ne connaissais pas Sheldon Cooper avant de regarder ce film.

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* La parole de la femme de chambre

L'une de vous m'envoie cet extrait du « Journal d'une femme de chambre » de Octave Mirbeau. (1900) Merci.

Revoir peut-être à cette occasion le dvd du film « Le journal d'une femme de chambre » de Bunuel, avec Jeanne Moreau.

« On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage… Ah! voilà une bonne blague, par exemple… Et les domestiques, que sont-ils donc, eux, sinon des esclaves?… Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d’inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines… Les domestiques apprennent le vice chez leurs maîtres… Entrés purs et naïfs — il y en a — dans le métier, ils sont vite pourris, au contact des habitudes dépravantes. Le vice, on ne voit que lui, on ne respire que lui, on ne touche que lui… Aussi, ils s’y façonnent de jour en jour, de minute en minute, n’ayant contre lui aucune défense, étant obligés au contraire de le servir, de le choyer, de le respecter. Et la révolte vient de ce qu’ils sont impuissants à le satisfaire et à briser toutes les entraves mises à son expansion naturelle. Ah! c’est extraordinaire… On exige de nous toutes les vertus, toutes les résignations, tous les sacrifices, tous les héroïsmes, et seulement les vices qui flattent la vanité des maîtres et ceux qui profitent à leur intérêt: tout cela pour du mépris et pour des gages variant entre trente-cinq et quatre-vingt-dix francs par mois… Non, c’est trop fort !…

Ajoutez que nous vivons dans une lutte perpétuelle, dans une perpétuelle angoisse, entre le demi-luxe éphémère des places et la détresse des lendemains de chômage; que nous avons la conscience des suspicions blessantes qui nous accompagnent partout, qui, partout, devant nous, verrouillent les portes, cadenassent les tiroirs, ferment à triple tour les serrures, marquent les bouteilles, numérotent les petits fours et les pruneaux, et, sans cesse, glissent sur nos mains, dans nos poches, dans nos malles, la honte des regards policiers. Car il n’y a pas une porte, pas une armoire, pas un tiroir, pas une bouteille, pas un objet qui ne nous crie: "Voleuse… voleuse!… voleuse!"

Ajoutez encore la vexation continue de cette inégalité terrible, de cette disproportion effrayante dans la destinée, qui, malgré les familiarités, les sourires, les cadeaux, met entre nos maîtresses et nous un intraversable espace, un abîme, tout un monde de haines sourdes, d’envies rentrées, de vengeances futures… disproportion rendue à chaque minute plus sensible, plus humiliante, plus ravalante, par les caprices et même par les bontés de ces êtres sans justice, sans amour, que sont les riches…

Avez-vous réfléchi, un instant, à ce que nous pouvons ressentir de haines mortelles et légitimes, de désirs de meurtre, oui, de meurtre, lorsque pour exprimer quelque chose de bas, d’ignoble, nous entendons nos maîtres s’écrier devant nous, avec un dégoût qui nous rejette si violemment hors l’humanité: "Il a une âme de domestique… C’est un sentiment de domestique…"? Alors que voulez-vous que nous devenions dans ces enfers?… Est-ce qu’elles s’imaginent vraiment que je n’aimerais pas porter de belles robes, rouler dans de belles voitures, faire la fête avec des amoureux, avoir, moi aussi, des domestiques?… Elles nous parlent de dévouement, de probité, de fidélité… Non, mais vous vous en feriez mourir, mes petites vaches!… »

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* Radars et droite populaire

Ma « pétition » ironique humoristique sur les radars a suscité de l'intérêt parmi vous.

Un exemple de réaction de l'une de vous : « Oserais-je ajouter qu’on ne peut que se réjouir de voir enfin des députés se battre contre l’application des lois qu’ils ont votées ? Si, en plus, les lois devaient être respectées et l’intérêt général pris en compte, où irions-nous ? »

Je suis effectivement scandalisé par cette campagne menée contre le respect du code de la route, et de la mauvaise foi des arguments avancés. Exemple : « lorsqu'un professionnel fait plus de 60 000 km par an on peut comprendre un instant d'inattention sur le respect de la vitesse, et ne pas lui enlever le permis dont il a besoin ». Le fait de faire beaucoup de kilomètres par an rend-il l'excès de vitesse moins meurtrier ? Et le fait d'exercer une profession qui conduit à rouler beaucoup excuse-t-il le fait de mettre en danger la vie des autres ? Et puis, si j'ai bien compris, il faut tout de même récidiver avant de voir son permis retiré. Il ne s'agit donc pas « d'un instant » d'inattention.

Je souhaitais surtout, en parlant de la droite populaire, alerter sur ce « courant de pensée », qui fait le pont entre le front national et la droite de l'UMP.

Ce mouvement structuré a un site, plusieurs des députés membres de ce mouvement tiennent des blogs, dont le principe général est « disons tout haut ce que les français pensent tout bas », ce qui permet de donner une légitimité aux propos les plus réactionnaires.

Quelques extraits de commentaires s sur ce site :

« Pour ma part, je constate avec plaisir qu’il y a encore des gens à l’assemblée pour prendre leurs responsabilités quitte à se couper du girond (sic) confortable de la majorité présidentiel. (sic)» (Le giron'd' d'une majorité gironde ? ) « J’espère que vous continuerez à vous battre contre la construction de mosquées aux frais du contribuable. Nicolas Sarkozy n’a pas été élu pour ça ! » (Technique polémique bien connue : on invente une thèse qui n'existe pas (aux frais du contribuable) pour la critiquer facilement.)

Admirons la logique qui consiste à lutter farouchement contre les radars, tout en écrivant dans sa charte « Le collectif de la droite populaire croit en l’autorité de l’État. Nous soutenons les forces de l’ordre qui représentent l’État de droit et la justice qui applique, au nom du peuple français, avec fermeté et justesse, des sanctions indispensables. »

Ce courant est très actif à l'assemblée nationale : soutien et souvent adoption de projets tels que la déchéance de nationalité, l'évacuation des campements illégaux, l'assouplissement du permis à points.

Lorsque les députés de ce courant disent « nous transmettons et soutenons les demandes de nos électeurs », je pense qu'il s'agit (volontairement) d'un profond déni de démocratie. La démocratie n'est pas la loi de la majorité, c'est la loi de la majorité appuyée sur un certain nombre de principes républicains : liberté, égalité, fraternité, prise en compte de l'intérêt général, prise en compte des valeurs de solidarité, prise en compte des nécessités du service public.

Sans doute y a-t-il, avec les évolutions sociales et technologiques, de nouvelles formes de débat démocratique à trouver. En tout cas, dans une démocratie représentative, le rôle de l'élu n'est pas de transmettre les demandes de ses électeurs si ces demandes sont contraires à l'intérêt général. On voit dans les pratiques de ces députés des objectifs électoralistes (« J'ai besoin d'être réélu. ») Plus encore, j'y vois un profond déni de la démocratie républicaine.

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* Chronique de la « Droite populaire "

Compte tenu du danger idéologique que présentent les positions de la « Droite populaire », je fais essayer d'en faire une chronique régulière.

Cela commence bien...

Extrait du site Rue89 le 25 mai 2011

« On a rajeuni de treize ans. L’Assemblée nationale a revécu mercredi les heures peu glorieuses des débats sur le Pacs, quand les élus de droite rivalisaient de déclarations graveleuses. La députée UMP Brigitte Barèges, membre de La Droite populaire, a rallumé la flamme de l'homophobie en lançant, à propos d'un texte PS visant à autoriser le mariage homosexuel, « et pourquoi pas des unions avec des animaux ou la polygamie ? »

Sur le site d'information Atlantico (souvent présenté comme un site d'information de droite) un entretien, le 30 mai 2011. avec le député Vanneste, l'un des « leaders » de la droite populaire.

http://www.atlantico.fr/decryptage/ump-droite-gauche-populaire-populisme-parti-unique-107960.html

Extrait : Accusée de manquer de cohérence, "pour" la répression des délinquants et "contre" quand il s'agit des automobilistes, la Droite populaire lancée par Thierry Mariani et Lionnel Lucca en juillet 2010 est-elle populiste comme le lancent parfois certains parlementaires des bancs de gauche à l'Assemblée ? La réponse du député Christian Vanneste : « La distinction entre populaire et populiste est le type même d’une dichotomie sémantique de gauche, qui consiste à traiter le vocabulaire de manière manichéenne. Il y a les bons et les mauvais mots. Par exemple, le droit du sang c’est mauvais, mais le droit du sol c’est bien. Pour populiste et populaire, c’est la même chose.  » Selon C. Vanneste, tout cela n'est qu'une question de vocabulaire. Les mots et les concepts n'expriment pas des analyses... Ce que parler veut dire.

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* Aujourd'hui, c'est déjà demain

Chronique des catastrophes que nous préparons avec constance.

Journal Le Monde, 29 et 30 mais 2011 : selon une étude de l'Union Mondiale pour la conservation de la nature, plus de 1/4 des oiseaux nicheurs en France sont menacés de disparition. Causes principales : utilisation massive des pesticides dans l'agriculture et urbanisation.

Source : Journal Le Monde, 28 mai 2011. L'Union européenne, qui décidément n'a pas que de mauvais cotés, envisage de modifier profondément la politique des quotas de pêche. Pour faire court, on n'aura pas le droit de pêcher plus que ne le permet la conservation à long terme de l' espèce. Voila une prévoyance nouvelle dans un régime ultralibéral. Gageons que les pêcheurs français vont bloquer les ports pour protester contre cette mesure intolérable visant à ne pas pêcher plus de poisson qu'il n'y en a.

La sécheresse gagne de plus en plus de départements français. Beaucoup d'agriculteurs seront sans doute obligés de vendre (mais à qui ?) ou d'abattre une partie de leur troupeau. La production d'électricité est menacée : baisse du niveau des barrages, difficulté à refroidir les centrales nucléaires. Soyons honnêtes : en l'état actuel des études, absolument rien ne montre de lien entre cette sécheresse et le réchauffement climatique provoqué par l'homme.

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Fin de [alerte] N° 64