[alerte] N° 63 - JM Bérard - 18 mai 2011


Sommaire du numéro 63

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* Sous le choc

* Justice et Dominique Strauss Kahn

* Les assassins de la route

* Consommation et pulsion de mort

* Gaz et huiles de schistes, suite du feuilleton

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* Sous le choc

Sous le pseudonyme de maître Eolas, un avocat diffuse régulièrement sur son blog des idées fortes sur la justice. Mais sans doute le lisez-vous déjà.

Extrait du début du blog du 16 mai 2011

http://www.maitre-eolas.fr/

Nous sommes tous sous le choc après ce week-end. Un coup de tonnerre dans un ciel bleu n’aurait pu nous plonger plus dans la sidération. Comme vous, je ne comprends pas. C’est d’ailleurs incompréhensible. Cette victoire de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision ne trouvera jamais d’explication rationnelle.

Traitons donc un sujet plus léger, avec l’affaire DSK. Fin de l'extrait.

La suite de l'article traite de divers aspects juridiques de l'affaire DSK.

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* Justice et Dominique Strauss Kahn

Depuis dimanche 15 mai 2011 d'innombrables articles, commentaires et blogs ont présenté sur le sort de Dominique Strauss Kahn des analyses denses, parfois contradictoires. Il n'est pas encore temps pour moi d'exprimer une opinion un peu construite à ce sujet.

Une seule remarque. Même si le projet semble pour l'instant mis en veilleuse, le président Sarkozy a (avait) l'intention de supprimer le juge d'instruction. Les prérogatives de direction de l'enquête auraient été confiées au procureur de la République. En France, le procureur est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice, et, à plusieurs reprises, la Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que le procureur de la république ne peut pas être considéré comme un magistrat indépendant. On remplacerait donc un juge indépendant par un procureur soumis hiérarchiquement au Garde des Sceaux.

Le système judiciaire aux USA est très différent. Le procureur ne dépend pas du gouvernement, mais il est élu, comme les juges. Il tient donc compte dans son travail des aspirations de ses électeurs, passés et futurs. Personnellement, je ne pense pas que cela soit une garantie de justice.

Et surtout, aux USA, la procédure n'est pas contradictoire mais accusatoire. En France, le juge d'instruction (tant qu'il existe) conduit une procédure à charge et à décharge : il met les moyens de la justice et de la police aussi bien à la recherche d'éléments allant dans le sens de la culpabilité que dans le sens de l'innocence. C'est ensuite au tribunal de décider.

Aux USA l'enquête est menée uniquement à charge, par la police (très indépendante du procureur) et par le procureur. On le voit dans la procédure DSK, où, pour l'instant, seuls les éléments provenant de la police et du procureur ont été présentés. Ensuite, si le grand jury décide qu'il y aura un procès, c'est à l'accusé et à ses avocats de rechercher les éléments à décharge, en enquêtant eux-mêmes. Il va de soi qu'un avocat expérimenté et coûteux, qui consacrera du temps à l'affaire, sera plus efficace dans cette étape de la procédure.

C'est pourquoi j'ai été très amusé lorsqu'on a présenté la justice américaine comme insensible au pouvoir : tout le monde égal, DSK menotté, DSK sur le banc des prévenus comme les petits dealers. C'est Jésus entre les deux larrons...

En fait, aux USA, les pauvres n'ont pas les moyens de payer un avocat qui consacrera du temps à leur affaire. Ils sont défendus par des avocats commis d'office, qui ne pourront pas consacrer beaucoup de temps à la recherche de preuves en faveur de leur client. Je ne suis donc pas sûr que, même si l'on a vu l'un des hommes les plus puissants du monde mal rasé et chemise ouverte sur le banc d'infamie, la justice américaine soit beaucoup plus tendre aux pauvres que chez nous.

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* Les assassins de la route

En 1960 il y avait chaque année 8000 morts dans les accidents de la route. Au fil des années, la prise de conscience de ce massacre a fait que plusieurs mesures ont été prises : port de la ceinture de sécurité, baisse du taux d'alcool autorisé pour conduire, mise en place du permis à points et des radars automatiques.

Cette politique, marquée en particulier par l'action courageuse de J. Chirac, n'est pas populaire. En France, voiture est assimilé à liberté, et ces mesures sont vécues comme une atteinte aux libertés. Tant pis si je me tue, si je tue les autres, si je creuse le déficit de la sécu. Je veux pouvoir rouler en toute brutalité et en toute impunité.

En 2010, le nombre de morts sur la route se situait « aux alentours de 4000 » selon le ministre de l'intérieur. Ce qui est encore loin de l'objectif de moins de 3000 morts en 2012 promis par N. Sarkozy lors de son élection.

Et puis voila, patatras. Un certain nombre de députés ont estimé que l'on avait assez « emmerdé les français » avec les radars et autres mesures vexatoires. Lors du vote de la loi Loppsi2 les parlementaires ont fortement assoupli les règles concernant la récupération des points retirés du permis de conduire suite à des délits : récupération plus rapide des points, augmentation du nombre de stages permettant la récupération.

L'opinion publique (des bons français) a compris qu'il s'agissait d'un relâchement de la politique de sécurité.

En avril 2011 le rythme d’augmentation du nombre de morts est passé à 20%. Ce qui correspond à peu près à 700 morts de plus par an, si ce rythme se poursuit sur un an.

Les parlementaires qui demandent des assouplissements pour ne pas emmerder les français sont-ils prêts à dire : « je suis d'accord pour qu'il y ait 700 morts de plus par an. » (D'autant plus qu'ils oublient que ces morts peuvent toucher leur famille, leurs proches, et eux-mêmes).

Devant ces résultats meurtriers, le gouvernement a improvisé en urgence quelques mesures. Les mêmes députés, fidèles à leur attitude irresponsable, ont récidivé, en avertissant : « Si vous prenez des mesures trop sévères, vous allez perdre des électeurs. »

Notons le rôle actif des députés de la « droite populaire », fraction à l'extrême droite de l'UMP, parti de N. Sarkozy. Ce sont eux qui profèrent les pires propos (racistes en particulier) en disant : « Nous disons tout haut ce que les français pensent tout bas ». Étrange raisonnement ; Ce n'est pas parce que les français sont (selon ces députés) racistes tout bas qu'il faut relayer leur opinion tout haut. Ni parce que les français veulent pouvoir assassiner sur la route qu'il faut le leur permettre.

Dernière minute, le 17 mai 2011 : le premier ministre a été chahuté lors d'une réunion du groupe UMP, de nombreux députés lui reprochant les mesures « excessivement répressives » prises cette semaine, par exemple la fin des panneaux annonçant les radars. Je regrette de ne pas avoir été invité à la réunion, pour brandir un panneau « 700 morts de plus ».

« Bons français » récidivistes de l'excès de vitesse et de l'alcool au volant, assassins. Députés UMP complices.

J'y vois une fois de plus un signe du caractère nécessairement suicidaire de notre société. Il faut des enfants obèses pour protéger l'industrie agro alimentaire, des morts sur la route pour protéger l'industrie automobile, des sols et des plantes détruits par la pollution pour protéger l'agriculture intensive et l'industrie chimique, il faut consommer de l'énergie (qui détruit nos conditions de vie sur terre) pour...

Allez j'arrête : c'est l'impasse. Notre modèle de société ne peut survivre qu'en tuant ses propres enfants.

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* Consommation et pulsion de mort

Bernard Maris est professeur d'économie, chroniqueur à France inter, et chroniqueur dans Charlie Hebdo sous le nom de « Oncle Bernard ». Après une longue période de silence, son blog redevient actif.

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/blog/b/blog.php?id=12

Citation :

et pendant ce temps là le naufrage continue

Mardi 17 Mai 2011 14:17

Dernier rapport de l’ONU : la consommation de matières premières va tripler d’ici 2050.

Mangez, mangez, baffrez, accumulez ! Continuez à rouler en 4x4 dans les rues de Paris ! vous dansez sur le pont du bateau, pendant que celui-ci est en train de couler. Et alors ? Et si ça nous faisait plaisir de couler en dansant ? Si la pulsion de mort (c’était l’hypothèse de notre bouquin, avec le cher Gilles Dostaler) nous faisait sacrément jouir et était bien plus forte que tous les raisonnements des WWF et autres Greenpeace ou PNUE (Programme national des nations unies pour l’environnement) ? D’après l’ONU, dans quarante ans, 9 milliards d’humains consommeront 140 milliards de tonnes de minerais, d’hydrocarbures et de biomasse (bois, cultures diverses, élevage). Cela doit faire dans les 16 tonnes par habitant, c’est ça ? C’est ce que consomme aujourd’hui un habitant des pays « riches», soit quatre fois plus qu’un indien. Vivement que l’indien nous rattrape ! Remarquez, tant qu’à faire, vivement que l’indien rattrape l’américain qui consomme aujourd’hui quarante tonnes par an, alors qu’un français n’en consomme que quinze. Fin de citation

L'ouvrage de Bernard Maris et Gilles Dostaler, « Capitalisme et pulsion de mort, Freud et Keynes » est paru en 2009 chez Étude.

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* Gaz et huile de schiste

Bref résumé des épisodes précédents : l'industrie du pétrole (et tout ce qui en découle) est menacée par le fait que les réserves ne sont pas inépuisables. Au lieu d'investir dans la recherche concernant d'autres sources d'énergie, l'industrie du pétrole, qui ne connaît que le pétrole, recherche et exploite, aux USA, des gaz et huiles de schistes, par une technique, la fracturation hydraulique, qui pollue très fortement les nappes phréatiques et l'atmosphère.

En France, sous la pression du lobby pétrolier, le gouvernement change subrepticement le code minier, et donne à plusieurs industriels plusieurs permis d'exploitation des gaz de schistes.

Forte mobilisation contre ces techniques ravageuses de l'environnement. Dans un beau mouvement d'unité, le PS et l'UMP envisagent un projet de loi interdisant l'exploitation des gaz de schiste.

Montée au créneau des industries concernées, qui menacent de demander de très fortes indemnités pour compenser l'annulation des permis accordés. Une commission nommée par le premier ministre conclut (en moins de quinze jours) que oui, mais bon, il faut voir, faire attention mais ne pas tout interdire...

Conclusion, l'UMP vote à l'assemblée nationale une loi, qui sera étudiée par le Sénat en juin. La technique de fracturation hydraulique est interdite, mais pas les autres techniques. Attendons le vote final du Sénat.

Pour l'instant, si la loi déjà adoptée à l'assemblée est approuvée par le Sénat, la situation sera la suivante : les pétroliers ayant obtenu des permis pourront continuer de chercher les gaz de schiste par des techniques de forage habituelles. Ils vont trouver beaucoup de ressources dans le sous-sol de la France. Il leur suffira ensuite de faire une offensive forte disant : dans la situation économique actuelle, la France ne peut pas se priver de toutes ces ressources, qui créeront de l'emploi, il faut extraire tous ces trésors que l'on a repérés. Et gageons que alors de nombreuses dérogations autorisant la ravageuse fracturation hydraulique (seule technique d'extraction connue à ce jour) leur seront accordées.

Pour survivre, notre société doit se détruire elle-même.

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Fin de [alerte] N° 63