[alerte] N° 60 JM Bérard 9 avril 2011

Sommaire du numéro 60

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* Atome * Finance  * Atome suite * Marine Le Pen * Cote d'Ivoire et Libye * Mais que veut donc [alerte] ?

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* Atome

Le Japon, l'un des pays du monde où les progrès scientifiques et technologiques sont les plus développés. Et pourtant, suite au tremblement de terre et au tsunami qui ont endommagé gravement des centrales nucléaires, on bricole comme on peut , et l'on ne peut pas grand chose pour maîtriser la catastrophe: pour refroidir les réacteurs on envoie des hélicoptères puiser de l'eau avec des petits seaux dans la mer. Pour recoller les fissures des murs qui laissent passer la radioactivité, on emploie quelque chose du genre « Araldite ». Et comme on ne sait pas quoi faire de l'eau radioactive qui inonde les centrales, on la déverse dans la mer. Pas grave, nous dit-on, c'est de l'eau faiblement radioactive. C'est révoltant. On sait bien que la durée de vie des éléments radioactifs est immense par rapport à la durée de vie de l'homme. Même très dilués, les déchets vont empoisonner petit à petit les mers, leurs poissons, leur végétation. On n'a apparemment pas demandé l'avis des pêcheurs locaux.

Anecdote, secondaire mais symptomatique : sur France inter,en direct du Japon le 8 avril 2011, on nous explique que le lait des vaches vivant dans les zones irradiées est interdit à la consommation. Pas grave : certains agriculteurs transportent les vaches, de nuit, loin des zones contaminées. Leur lait est toujours contaminé, mais les vaches ne sont plus dans les zones interdites, et l'on peut vendre le lait...

Heureusement, le Japon n'est pas un pays « en voie de développement » : c'est un pays démocratique, organisé et structuré, on peut faire confiance.

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*Finance

Le 7 avril 2011 le Portugal se voit obligé de demander une aide financière à l'Europe. S'il ne le fait pas, ce pays se trouvera en cessation de payement. S'il le fait, la contrepartie du prêt accordé sera une austérité drastique pour les portugais, augmentations d'impôts, diminutions des salaires et de la protection sociale, que sais-je encore. Dans notre système économique, le Portugal n'a pas le choix : il faut mourir tout de suite, ou mourir à petit feu sous prétexte de préserver l'avenir.

Sur France inter, la journaliste qui fait la chronique de la bourse est positive : face aux « bonnes décisions » prises par le gouvernement portugais (!!) les titres des sociétés bancaires ont repris de la valeur. A quelque chose malheur est bon.

Toujours sur France inter, en direct du Japon le 8 avril 2011. Les dégâts dus au tremblement de terre et au tsunami sont considérables : immeubles et infrastructures détruits, automobiles en miettes... La bourse de Tokyo est rassurée : tout cela va relancer l'activité économique. (Si si, je vous assure, je n'invente pas.)

Souvent, on constate aussi que, lorsqu'une grande société annonce un plan dramatique de réduction de personnel, les actions de cette société montent fortement.

Je sais, je me répète, mais je trouve qu'une société où le capitalisme financier a pris entièrement le pas sur l'humain est en impasse.

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* Atome suite

J'ai du mal à être vraiment, entièrement et farouchement contre le nucléaire civil.

Certes, on ne sait que faire des déchets, et ce pour une durée quasi illimitée par rapport à la durée de la vie humaine. Mais cela dit, ces déchets sont cantonnés dans des zones géographiques très limitées. Le gaz carbonique produit par le charbon et le pétrole se répand, lui, dans la totalité de l'atmosphère, et entraîne un réchauffement bientôt irréversible pour l'ensemble de la planète.

Là encore, il faut peser les risques consentis et les avantages espérés.

Il demeure que ce débat n'a jamais eu lieu clairement et publiquement. Les lobbys industriels du nucléaire gagnent sans cesse des parts de marché, au moins en France.

Il demeure aussi que le débat est présenté de façon totalement tronquée puisqu'il s'appuie principalement sur l'argument du faible coût de l'électricité d'origine nucléaire. Or, dans les coûts prévisionnels, le prix de démantèlement des centrales en fin d'utilisation a été soit oubliés, soit largement sous estimé. Ainsi, pour la centrale de Brennilis, qui a terminé sa production en 1992, les décisions concernant la façon de terminer le démantèlement, actuellement interrompu, ne sont pas prises, car sujettes à de fortes divergences. Si l'on comptait vraiment le coût du démantèlement, l'argument du faible coût serait entièrement à repenser.

J'étais convaincu que, si une place doit être faite au nucléaire dans la production d'énergie électrique, cela ne peut être qu'au terme d'un vrai débat public, et à condition que la recherche du profit n'obère pas les exigences de sécurité.

L'attitude lamentable de la société privée Tepco qui a construit et gère les centrales japonaises pose question.

Et puis voila que, en catimini, on décide de privatiser le groupe Areva qui produit le nucléaire français : Alors que de plus en plus de voix s'élèvent au Japon pour réclamer une nationalisation partielle ou temporaire de la compagnie Tepco, lundi le quotidien économique La Tribune révélait que le conseil de surveillance d'Areva avait approuvé la privatisation du groupe et son entrée en bourse. Un choix à rebours de l'histoire quand tout démontre que privatisation et sécurité sont inconciliables.

Certes, le groupe d’Anne Lauvergeon est confronté à d’importants besoins en investissements. Certes, selon La Tribune, le groupe n’était pas maître de son destin en termes de calendrier : « le fonds souverain du Koweït, entré au capital d'Areva en décembre dernier à hauteur de 4,8%, aurait donné à l’État jusqu'à la fin juin pour coter la valeur en Bourse sans quoi ce dernier devra débourser 600 millions d'euros pour racheter ses parts au fonds souverain » écrit le quotidien économique. [Remarque de JM Bérard : on nous dit que le nucléaire assure, mieux que le pétrole, l' indépendance de la France. Et voici qu'un fond souverain du Koweït...] Certes, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, c’est tout un processus de privatisation rampante de la filière nucléaire qui est à l’œuvre. Une choix à rebours de l'histoire qui s'écrit quelques milliers de kilomètres de nos frontières, tant Tepco, par ses dissimulations multiples, les libertés prises avec les normes de sécurité a fait la démonstration des limites de la dérégulation aux seuls fins de profits . Extrait de Marianne 31 mars 2011.

Voila qui s'appelle tirer la leçon des échecs japonais... Et comment se fait-il que, en pleine catastrophe japonaise, cette privatisation de Areva ne soulève aucun scandale ?

Je me demande si au fond je ne devrais pas être vraiment, entièrement et farouchement contre le nucléaire civil !

Je sais, je me répète, mais je trouve qu'une société où le capitalisme financier a pris entièrement le pas sur l'humain est en impasse.

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* Marine Le Pen

Nicolas Sarkozy a tranché : pour gagner les élections de 2012 il doit rejoindre les thèses du Front National, avec l'espoir de gagner les électeurs de Mme Le Pen. Illusion dramatique. Certains courants humanistes de l'UMP prennent leurs distances. Le président, et son bras armé le ministre de l'intérieur Guéant, foncent droit devant (sans doute dans le mur). Ainsi M. Guéant a annoncé qu'il fallait réduire l'immigration légale concernant le travail et les regroupements familiaux. Réduire les regroupements familiaux est contraire aux droits de l'homme. Quant-à réduire l'immigration de travail... Que deviendront les échanges intellectuels et économiques entre les pays ? Même Mme Parisot, présidente du patronat français, s'inquiète !!! (Bon, ses raisons ne sont sans doute pas limpides.) Et que deviendra une France rabougrie et repliée ?

Tant pis, l'important est de gagner les élections, pas de travailler pour l'intérêt public.

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* Cote d'Ivoire et Libye

La classe politique française (à l'exception du parti communiste) et l'opinion publique approuvent, pour l'instant, largement les interventions de l'armée française et Libye et en Cote d'Ivoire décidées par le président Sarkozy.

Aux États Unis, certains journaux saluent les décisions de N. Sarkozy et le considèrent comme le George Bush de la France. Oui oui, ce président qui a engagé les USA dans les impasses irakiennes et afghanes.

Il est temps que je réfléchisse vraiment à ces guerres, que j'avais pourtant tendance à trouver justes. George Bush, tout de même ... !

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* Mais que veut donc [alerte] ?

Mes amis proches s'inquiètent : ta lettre ne reflète que le pessimisme, pourquoi ne pas mettre en avant aussi les lueurs d'espoir ?

Tout simplement, la lettre s'appelle [alerte], et pas [lueurs d'espoir] !

Je ne méconnais pas ces lueurs.

Personnellement, dans mon petit environnement, je vis avec joie et jubilation l'extraordinaire action solidaire des habitants de Féricy (77), l'action du Secours Populaire ou de la ligue des droits de l'homme aux Lilas, la richesse humaine et artistique engendrée par l'association AVEC de St Jean d'Arves, le travail des associations pour le maintien de l'agriculture paysanne (qui créent un lien institutionnel entre des consommateurs et des petits producteurs), la créativité des chorales ou des cours de danse où s'impliquent certains membres de ma famille, la beauté de la forêt et des jardins, la sympathie de retrouvailles amicales régulières au restaurant, et que sais-je encore, de plus secret...

Je vois bien que, miraculeusement comme en Tunisie, ou douloureusement comme en Libye, les libertés progressent. Je vois bien que les technologies modernes, qui peuvent être un facteur d'individualisme sont aussi, dans ces évolutions historiques, des facteurs de progrès. Je vois bien que de nombreuses initiatives locales s'opposent au désastre global. (C'est le titre d'un beau film, qui décrit, comme cela, tout un ensemble d'initiatives d'agriculture différente, de modes de production différents, de micro crédit, qui vont à contre courant du désastre global).

J'en oublie bien sûr, il y a trop à dire sur ces lueurs.

Et pourtant j'alerte. A quoi bon ? Je ne sais pas. Chacun de vous en fait ce qu'il veut. Faut-il s'indigner (titre d'un premier opuscule de Stéphane Hessel), s'engager (titre du deuxième opuscule qu'il a diffusé face aux critiques suscitées par le premier), se révolter, militer, se tenir à l'écart ? Je n'emploie pas l'expression « il faut ». Chacun de vous fait de ce que j'écris ce qu'il pense utile de faire. Je n'attends rien en échange. Même si bien sûr je suis heureux lorsqu'on me dit « tel article était intéressant », ou « tel article était bien incomplet, ou même faux » ou « j'ai tel ami qui aimerait être abonné à ta lettre ».

Il demeure que je suis tout de même fondamentalement pessimiste. Il me semble que notre société est en impasse, dans la mesure où elle est cernée par des exigences incompatibles. La revue Télérama titrait récemment « manger tue ». Mais en même temps, si l'on prive les enfants de barres chocolatées et de frites pour éviter l'obésité, et si l'on prive les industriels d'ajouter des tas de produits dans ce que nous mangeons pour éviter les cancers, on créera un chômage considérable dans l'industrie agro alimentaire. Manger pour vivre ou manger pour ne pas vivre...

Très naïvement sans doute, diront les économistes distingués, je pense que si l'on paie les travailleurs on ruine les industries locales au profit de la main d’œuvre à bas coût des pays du tiers monde, mais que si l'on ne paie pas les travailleurs on ruine l'industrie car les gens n'ont plus de quoi acheter. C'est l'impasse structurelle du capitalisme. Simpliste, mais est-ce si faux ?

Je sais, je me répète, mais je trouve qu'une société où le capitalisme financier a pris entièrement le pas sur l'humain est en impasse.

Cela n'empêche pas de ralentir la catastrophe, peut-être de l'éviter, en étant chacun présent là où nous sommes. Ou alors, au pire, nous semons des graines d'espoir et d'avenir pour l'après catastrophe.

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Fin de [alerte] N° 60