[alerte] N° 59 JM Bérard 2 avril 2011

Sommaire du numéro 59

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* Résistance *Situations  * Fred Vargas  * Atome  * Loppsi 2

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[ALERTE] n° 59 JM Bérard

2 avril 2011

jean-michel.berard@orange.fr


* Résistance

Sur France Inter, Daniel Mermet consacre une chronique au rôle qu'on joué, pendant l'occupation, des chroniqueurs résistants comme Pierre Dac, (sur Radio Londres) et des collaborateurs comme Philippe Henriot, qui, sur Radio Paris, abreuvait la France de propos brillants, antisémites, pro-nazis, défaitistes.

10 mai 1944: au micro de Radio-Paris, Philippe Henriot, éditorialiste au service de la propagande, donc des Allemands, attaque Pierre Dac en évoquant ses origines juives et en rappelant qu'il s'appelle en réalité André Isaac et qu'il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn. « Dac s'attendrissant sur la France, c'est d'une si énorme cocasserie qu'on voit bien qu'il ne l'a pas fait exprès. Qu'est-ce qu'Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l'ABC où il s'employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l'écouter ? La France, qu'est-ce que ça peut bien signifier pour lui ?... »

Philippe Henriot était sincère ? Tout comme certains hommes politiques actuels qui, sous prétexte de dénoncer l'islamisme radical, ou de débattre sur la laïcité s'en prennent à ceux qui croient à autre chose, aux arabes, aux intrus, à l'autre.

Qui sème la haine prépare une société de haine et d'exclusion, où le mot « solidarité » n'a plus cours.

Je trouve que l'humour de Pierre Dac a un peu vieilli, mais j'apprécie toujours les « Ce n'est pas parce qu'on dit « Ferme la porte, il fait froid dehors » que une fois la porte fermée il fera moins froid dehors » ou encore « Il vaut mieux qu'il pleuve aujourd'hui plutôt qu'un jour où il fait beau. »

* Situations

Situations, contradictions...

Dans tout le monde arabe, la mobilisation des peuples remet en cause les dictatures, les fait reculer, souvent dans la douleur, comme en Libye. Espoirs.

Et pourtant, en Europe, les populismes extrémistes progressent. Le président Sarkozy avait cru « siphonner » les voix du Front National en reprenant ses thèses, ses discours, son vocabulaire. Et, comme cela était prévisible, il n'a fait qu'alimenter les progrès du « bleu Marine ». Panique à l'UMP : la politique de Nicolas Sarkozy permettra-t-elle à ses fidèles d'être réélus, de conserver leurs postes, leur pouvoir ? Ouvertement, certains courants de l'UMP prônent l'alliance avec le FN, d'autres (sincérité ? calcul ? ) jugent plus prometteur de prendre leurs distances. Progressent l'idéologie de la méfiance, de la haine de l'autre, la croyance dans le fait que tous mes malheurs sont la faute du voisin, qui, lui, rafle la mise,. A jouer avec le feu...

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* Fred Vargas 

L'une de vous me signale un texte de Fred Vargas, archéologue et écrivain.

Les lendemains qui chantent

Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés.

Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières ( la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins. Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi ou crevez avec moi

Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, -récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer.

Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Fred Vargas, Archéologue et écrivain

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* Atome

« A moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche. » Cet avertissement est tiré d'un article paru le 11 août 2007 dans le quotidien International Herald Tribune/Asahi Shimbun . Son auteur est le sismologue Ishibashi Katsuhiko, professeur à l'université de Kobe Source : Mediapart, 15 mars 2011.

Jusqu'à maintenant, j'étais assez nuancé sur l'énergie nucléaire, et ne m'inscrivais pas dans le refus systématique défendu par les « Verts ». Je considérais en effet que les inconvénients de la production nucléaire de l’énergie devaient être mis en balance avec les inconvénients des productions « classiques » et en particulier du pétrole et du charbon  : production massive de gaz à effet de serre qui nuisent à l'ensemble de la planète, émission de produits toxiques, etc... Je ne croyais pas non plus (et je ne crois toujours pas) que l'on puisse remplacer entièrement tout cela par des énergies alternatives.

Et puis les catastrophes nucléaires dont sont victimes les japonais, et avec eux l'ensemble de la planète, modifient, dans ma réflexion, le point d'équilibre. Très nettement, on y trouve la confirmation qu'une technologie aussi dangereuse ne peut être confiée à des intérêts privés, mus par le souci du profit. La société privée japonaise qui gère les centrales s'est à plusieurs reprises mise en « valeur » dans le passé par ses rapport tronqués ou falsifiés, ses informations mensongères. Les catastrophes actuelles concernant les centrales montrent que cette société privée n'a que fort peu tenu compte, dans sa conception et sa gestion, des exigences de sécurité, qui gonflent inconsidérément ( !) les dépenses.

Cela dit, ces catastrophes montrent des « tares congénitales » de cette industrie, tares que même une gestion publique indépendante du profit (à supposer qu'il en existe) ne peut résoudre : non-prise en compte de risques combinés (tremblement de terre plus tsunami, terrorisme, accident d'avion, ...), insuffisante réflexion sur la méthode de gestion des catastrophes, non-prise en compte du coût de démantèlement des centrales. Le lobby nucléaire se présente à bon compte comme produisant une énergie peu chère, alors que les coûts de démantèlement ne sont pas prévus. Enfin, la question de gestion des déchets (radioactifs pendant une très longue durée) ne connaît toujours pas de solution satisfaisante.

Une première évidence : il n'existe pas de solution « magique », éoliennes, solaire, que sais-je encore. Aucune issue n'est possible si nos sociétés, et chacun de nous, ne se résolvent pas à un changement de mode de production et de mode de vie conduisant à réduire la consommation d'énergie.

Sans (peut-être) renoncer totalement au nucléaire, il faut sortir rapidement d'un mode de décision où, comme en France, le lobby du nucléaire impose son idéologie. Il faut, comme le font déjà certains groupe d'experts, pour l'instant peu connus, travailler à une analyse sereine des avantages et des inconvénients, élaborer des scénarios d'économie d'énergie, de réduction ou de sortie du nucléaire. Sans aller, comme le conseille ironiquement Fred Vargas, à faire pipi dans les champs pour les fertiliser, penser, comme elle le dit, que, à détruire les conditions d'existence de l'espèce humaine sur la planète, nous laisserons place à des espèces plus résistantes, les araignées ou les rats, mais que nous ne seront plus là pour le voir. (Quelle importance, on en aura bien profité !)

NB : il faudra bien que je parle des gaz de schiste, qui semblent une absurdité absolue. Je vais travailler la question.

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* Loppsi 2

Nous avions dénoncé dans les lettres précédentes le caractère liberticide de nombreux articles de la loi sur la programmation de la performance de la sécurité intérieure, largement inspirés par le souffle ultra sécuritaire du discours de Grenoble de N. Sarkozy.

Le Conseil constitutionnel a censuré un grand nombre de ces articles :

« Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi 10 mars 2011, treize articles de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) adoptée le 8 février. La censure concerne notamment les articles étendant aux mineurs l'application de "peines plancher" ou celui permettant au préfet de procéder à l'évacuation forcée de terrains occupés illégalement. ("Le Monde") »

Malheureusement le Conseil a admis une grave atteinte à la liberté d'expression : sans avoir à se justifier, sans que les décisions soient publiées, sans qu'elles soient susceptibles de recours, l'autorité administrative (en l’occurrence le ministère de l'intérieur) pourra demander au fournisseur d'accès d'interdire tout site internet. Cette mesure s'applique en théorie aux sites pédopornographiques, mais comme les décisions ne seront ni justifiées ni publiées, elle peut, si le régime au pouvoir se durcit, concerner tout site qui déplaît au ministère de l'intérieur.

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Fin de [alerte] N° 59