[alerte] N° 43 - JM Bérard - 26 octobre 2009

Sommaire du N° 43

  1. Lueurs et confusions
  2. Au fil des jours, des lectures et des navigations
  3. Alerte: edvige bis
  4. Citations et réactions de vous tous
  5. Les liens entre nous
  6. Bienvenue

1 Lueurs et confusions


Non, ce n'est pas le titre d'un livre de Amélie Nothomb.

L'une de vous me dit : "n'oubliez pas de commencer votre lettre par la rubrique Lueurs, en montrant un peu de ciel bleu."

J'ai du mal. La période actuelle me semble plutôt celle de la confusion que de la lumière.

Nous avons l'an dernier vécu une crise forte (économique, financière, sociale) qui rendait les questions aigues et nettes. Et puis de nouveau, grâce au système anesthésiant mis en œuvre par les possédants et les politiques, on retrouve la confusion.

Sur le plan financier, rien n'a vraiment changé, malgré le G20 et toutes les affirmations en rideau de fumée sur la limitation des primes des traders et la surveillance des paradis fiscaux. Toutes les conditions d'une nouvelle crise financière restent réunies. Rien ne peut changer tant que la spéculation financière reste indépendante de la valeur économique réelle.

Sur le plan économique, le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter, dans une indifférence croissante. Les déséquilibres de l'économie mondiale (en particulier entre pays où les gens ont à manger et ceux où ils meurent de faim) ne cessent de se creuser. Les mesures énergiques pour préserver notre milieu de vie sont sans cesse repoussées, car les intérêts en jeu sont trop forts. Rien ne peut changer tant que les actionnaires (fonds de pension et autres) exigent un profit de 15% par an, ce qui empêche une gestion responsable et à long terme de l'économie.

Alors, quelles lueurs ?

Pendant ce temps, les "communicants" du gouvernement organisent le rideau de fumée. On n'a jamais vu à ce point les expressions mises au point par les coûteux cabinets de conseil reprises par l'ensemble de la classe politique, qui parle sur commande, comme un robot.

Et les tenants de notre président ressortent les recettes éprouvées, à l'approche des élections régionales : grand débat sur "l'identité nationale", histoire d'exacerber à nouveau la xénophobie. Ah, la burqa… Développer la xénophobie sous couleur de défendre les droits de la femme… Trouvaille géniale. Le but avoué : ne pas céder la place au Front National. La réalité : diffuser largement, en les reprenant, les idées du FN.

Relance aussi du "débat" sur les délinquants sexuels récidivistes, symbole de l'horreur. Qu'importe que le taux de récidive pour les délinquants sexuels soit inférieur au taux de récidive pour l'ensemble des crimes. Qu'importe que les délinquants sexuels libérés avant la fin de leur peine récidivent moins que les autres. Castration physique, castration chimique, rétention de sûreté, peine de mort… Qu'importe surtout que 80% des agressions sexuelles subies par les enfants le soient dans le cadre familial, et dans le secret. On ne va pas se mettre à suspecter la famille… Porteur d'horreur, le délinquant sexuel (l'autre, et pas nous) est érigé en diable, et l'on ne parle plus du chômage, de la crise, des atteintes à l'environnement, des atteintes aux libertés.

On peut prévoir aussi une forte offensive médiatique pour dramatiser, attiser, voire provoquer les incidents violents dans les "quartiers sensibles". Du fait de la tension extrême, les incidents sont, depuis quelques jours, quotidiens. Ne reste plus qu'à souffler sur les braises, et l'on peut compter sur TF1 pour le faire. Que penser, en outre, des étranges casseurs masqués de Poitiers, que la police n'aurait pas vu venir ?

Ce qui me surprend sur ces questions de sécurité c'est que cela marche encore au profit de la droite. N. Sarkozy est ministre de l'intérieur, puis président, depuis une éternité. Il a supprimé la police de proximité et rendu très difficile, par diverses mesures, le travail des éducateurs de rue et de la protection judiciaire de la jeunesse. Les incidents ou violences diverses se multiplient. Comment le président peut-il tirer avantage dans l'opinion de ce qui semble plutôt un échec de sa politique ?

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2 Au fil des jours, des lectures et des navigations

Les mots et les choses

Tout de même, pour une tonalité plus… tonique, je vous donne quelques extraits du blog du linguiste LJ Calvet. J'aime jouer sur les mots et les prendre au pied de la lettre.

Extraits de

http://pagesperso-orange.fr/Louis-Jean.Calvet/francais/journal/01_journal.htm

relevés le 26 10 09

"Patrick Devedjian, protecteur ou ironique, a déclaré à propos du fiston Sarkozy: « Il apprendra. C’est en forgeant qu’on devient forgeron ». C’est beau, la sagesse des nations. Surtout lorsque, comme dans cette formule, elle ouvre un paradigme productif. Par exemple :

C’est en lisant qu’on devient liseron

Mais nous pouvons aussi tricher un peu en changeant légèrement la racine verbale :

C’est en l’aidant qu’on devient laideron

C’est en hélant qu’on devient aileron

C’est en tachant qu’on devient tâcheron

C’est en moussant qu’on devient mousseron

[…]

Il est bien sûr possible de se donner une contrainte supplémentaire, en décidant par exemple que l’expression nouvelle doit faire référence au domaine géographique :

C’est en broutant que l’on devient Breton

En insistant on devient Sisteron

C’est en tonnant que l’on devient Thonon

C’est en bossant qu’on devient Beauceron

[…]

Au domaine animal :

C’est en errant que l’on devient héron

[…]

En s’hérissant on devient hérisson

C’est en matant que l’on devient mouton

[…]

Bref, monsieur Devedjian, vous avez le choix. Et je ne demande même pas de droits d’auteur."

Fin des extraits du blog de LJ Calvet.

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3 Alerte edvige bis


Fichage généralisé : après le recul, grâce à la mobilisation citoyenne, sur le fichier edvige, le gouvernement vient de mettre en place par décret deux nouveaux fichiers ressemblant trait pour trait à edvige. Le collectif "Non a edvige" se remobilise.

http://nonaedvige.ras.eu.org/spip.php?article1078

Pour ne pas répéter ce qui est dit très bien ailleurs, je cite le communiqué de la ligue de l'enseignement :

Non au fichage généralisé !

Edvige, le fichier de traitement automatisé de données à caractère personnel, avait suscité une forte mobilisation citoyenne il y a un an. Mais le refus d’une généralisation du fichage exprimé par des milliers de personnes n’a pas été pris en compte.

Deux nouveaux fichiers, présentés par le ministère de l’Intérieur, suscitent à nouveau l’indignation.

Tout d’abord, dans la forme. Ces nouvelles bases de données policières destinées à remplacer l’ancien fichier des renseignements généraux, ont, en effet, été créées par décret. Or, toute création de fichier devrait faire l'objet d'un débat parlementaire.

Puis, et surtout, dans le fond car ces deux nouveaux fichiers sont en réalité une copie du fichier controversé Edvige.

Le Pasp, « prévention des atteintes à la sécurité publique », est censé cibler les bandes et les groupuscules. Toute personne dont « l’activité individuelle ou collective porte atteinte à la sécurité publique » pourra être fichée. Et ce, dès l’âge de 13 ans, comme pour Edvige. Il n’est certes plus question de ficher élus et syndicalistes mais « les activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » de ces bandes et groupuscules pourront être répertoriées. Il ne sera plus fait mention de « l’origine ethnique » mais de « l’origine géographique ». Ces nuances sémantiques ne sauraient masquer les grossières ressemblances avec Edvige.

Le Ealsp, « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique », est, quant à lui, destiné à répertorier les informations relatives aux personnes postulant à une profession dite « sensible », et faisant l’objet d’une enquête administrative. Dès l’âge de 16 ans. En résumé, la liste pourra être longue. Futurs policiers, contrôleurs RATP mais aussi les personnes demandant la nationalité française pourront être fichés. Dans ces fiches, des données peuvent faire référence à « un comportement incompatible avec l’exercice des fonctions », comme des motivations « politiques ou religieuses ». De qui se moque-t-on ?

Enfin, rappelons que ces données, conservées entre 3 et 10 ans, seront accessibles aux fonctionnaires de la sous-direction de l’information générale (Sdig) et à ceux de la Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris. La Commission Nationale Informatique et Libertés (Cnil) n’aura qu’un accès restreint à ces données.

Devant ces dérives liberticides, la Ligue de l’enseignement appelle au retrait de ces deux fichiers et à la réaffirmation des libertés fondamentales contre le fichage abusif. "

Fin du communiqué de la ligue de l'enseignement

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4 Citations et réactions de vous tous



Débat : experts et technocrates

Les numéros 40 et 41 de alerte ont suscité de votre part un grand nombre de réactions, ouvrant à un débat solide et fécond. Merci.

Cela dit, je ne sais comment débattre avec un outil tel que cette lettre.

Je vous livre des extraits des réactions de plusieurs d'entre vous. Mais cela n'est pas un débat. Cela risque, comme dans la plupart des blogs, d'être une juxtaposition de commentaires sans réel débat. De plus, je ne souhaite pas répondre au coup par coup à chacune de vos critiques, car ce serait un débat centré par moi, voire centré sur moi.

Alors, qu'est-ce que le débat citoyen, comment le faire progresser ? A suivre, j'espère.

Citation 1 : Juste une remarque concernant les technocrates, en particulier à propos de ton exemple de la pêche; C'est quand même depuis Bruxelles que l'on détruit les pêches artisanales au profit de la pêche industrielle, fossoyeur des fonds marins...et à Bruxelles où, dans le même temps, on établit des quotas. Le technocrate n'est-il pas un peu schizophrène ?

Citation 2 : Sur la technocratie, il me semble qu'il y a là un vrai danger, et que la question n'est pas du tout celle de l'opposition d'institutions légitimes face au "bon sens populaire", même si elle touche au rapport - redoutable - entre savoir (ou confiscation du savoir) et pouvoir et qu'en cela elle est au moins aussi dangereusement totalitaire que la réunion du pouvoir et de la religion. La question est celle de la pensée technique appliquée à l'homme et aux affaires humaines. C'est donc une affaire de sens, de vision du monde (une vaste usine), des hommes (des moyens et non des fins) et de définition des valeurs : pensons, par exemple, à l'usage généralisé des critères de rendement et d'efficacité mesurable pour juger de la valeur des gens et de l'ensemble des dispositifs humains.

Citation 3 : Sur les experts, comme je te l'ai déjà écrit ou dit, je crois que ceux pour lesquels tu plaides en réalité, et je te donne raison dans ce cas, ce sont les scientifiques travaillant dans le domaine des sciences exactes. Ces scientifiques appliquent une méthodologie stricte dans laquelle la référence aux modèles théoriques qu'ils mettent en application semble être une règle plutôt bien appliquée. Et s'ils sortent de leur domaine propre pour extrapoler et émettre des opinions morales, sociales ou politiques, ce qui arrive fréquemment, celles-ci perdent précisément toute valeur scientifique. Cette règle me semble nettement moins bien appliquée par les experts habituellement consultés sur des questions liées à la décision politique (ce sont évidemment ceux qui nous concernent le plus ici). Ce ne sont d'ailleurs pas forcément des scientifiques et leurs avis peuvent être sollicités en raison de leur "aura" et de leur expérience dans le domaine concerné. Beaucoup sont des consultants professionnels. Là où le bât blesse, c'est que leurs analyses ne mentionnent pas, en général, les modèles ou théories sur lesquelles elles reposent, et qu'en outre, la déontologie propre à leur champ d'intervention, qui nécessiterait qu'ils donnent par exemple toute précision sur l'origine et le financement de la commande à laquelle ils répondent n'est pas respectée. C'est en tous cas ce qu'on constate en ce moment même avec la polémique sur les études d'opinions financées par la Présidence de la République.... Au résultat, même s'il vaut mieux savoir plus que savoir moins pour décider (il est bien entendu tout à fait légitime et recommandé de faire appel à des experts pour agir le plus intelligemment possible), on a les experts qu'on mérite et les politiques, comme les citoyens qu'ils gouvernent, gardent l'entière responsabilité de l'usage qu'ils font (ou qu'ils acceptent qui soit fait) de leurs recommandations. Il faut rappeler ici, par exemple, avec quelle efficacité l'idéologie néolibérale a pu cheminer par le biais des réseaux d'experts.

Citation 4 : roposition à vérifier : il me semble que les technocrates (pas ceux de Bruxelles, car en l'occurrence, l'expression a bon dos !) se mettent plus volontiers au service du capitalisme que du peuple, sans doute parce qu'ils partagent avec le premier la négation de l'humain comme fin en lui substituant la rentabilité mécanique et l'argent... Le capitalisme (ou les totalitarismes) donne ses ordres et les technocrates obéissent... Comme ceux qui ont organisé les camps de la mort (j'ai visité le Struthoff cet été). Ce que nous montre l'actualité des USA, c'est la puissance et la malfaisance des lobbies... Il faudrait vraiment y réfléchir.

J'ai encore plusieurs autres réactions tout à fait importantes. A suivre, surtout si vous me donnez des suggestions sur la façon de faire progresser le débat

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5 Les liens entre nous


Le blog de JC Vitran (pour votre liste de sites favoris ?)

http://resistancesetchangements.blogspot.com/

Voir en particulier sur ce site les articles "De l'action politique" et "Société de surveillance, société de sanction"

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6 Bienvenue


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Fin de [alerte] N° 43