[alerte] N° 41 JM Bérard 1er août 2009

Sommaire du N° 41

  1. Lueurs
  2. Au fil des jours, des lectures et des navigations
  3. Alerte
  4. Citations et réactions de vous tous
  5. Les liens entre nous
  6. Bienvenue

1 Lueurs


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2 Au fil des jours, des lectures et des navigation

Les technocrates



De grands intellectuels, des écoles sociologiques solides ont développé le concept de technocratie et étudié le rôle de cette instance dans le fonctionnement des sociétés. Cette approche est absolument étrangère à mes grilles usuelles d'analyse. N'ayant nullement étudié la question, je me garderai d'en parler.

Les remarques d'humeur qui suivent portent donc seulement sur le rôle attribué par les médias et l'opinion publique à ceux qu'ils appellent les "technocrates", de l"ENA, de Bruxelles, que sais‑je encore.

La dénonciation des technocrates est employée par l'opinion publique pour opposer une abstraction inhumaine, éloignée, froide, à la réalité des vrais gens, de ceux qui se lèvent tôt, retroussent leurs manches et connaissent le terrain.

Les technocrates de Bruxelles considèrent que, si l'on continue de pêcher trop, il n'y aura bientôt plus de poisson. Le vrai pêcheur, lui, se lève tôt, doit nourrir son équipage, sa famille, amortir le bateau. Il est contre les quotas de pêche et bloque les ports. Comment fera-t-il pour pêcher lorsqu'il n'y aura plus de poisson ? Mystère, mais en attendant, honte aux technocrates ennemis du marin.

Les technocrates de Bruxelles demandent l'application de la directive Natura 2000, fort mal prise en compte par la France. Le vrai petit propriétaire terrien sait bien, lui, qu'il a besoin de l'argent que lui procurera la vente de son terrain à un promoteur qui construira des immeubles sur le littoral.

Les technocrates de Bruxelles voudraient réduire la place du sucre dans l'alimentation. Les vrais petits industriels de l'agroalimentaire (? ?) et les vrais parents savent que les enfants obèses ont besoin de grignoter des barres chocolatées devant la télé. Assez de ces technocrates qui veulent régenter notre mode de vie en limitant la vitesse, l'alcool, le tabac, le sucre, le bronzage dans les cabines.

Le plus souvent, me semble-t-il, lorsque l'opinion publique critique les technocrates, c'est en fait une critique de décisions allant dans le sens de l'intérêt public, au détriment des intérêts privés et individuels. En filigrane, c'est une critique du rôle de l'État comme garant de l'intérêt public.

Cette critique a en général son corollaire : "les décisions doivent se prendre au plus près du terrain". Je ne le crois pas.

Il y a quelques années, ce sont les directions départementales de l'équipement qui avaient autorité pour délivrer les permis de construire. Cette autorité est maintenant dévolue aux maires (au plus près du terrain). Je ne crois pas que ce soit un progrès. Un service départemental de l'État me semble moins sensible qu'un élu local aux exigences des promoteurs, immobiliers ou autres, et moins sensible aussi aux intérêts à court terme des administrés. Je ne mentionne même pas la question des financements occultes, car on nous dit que c'est fini. (Bon, d'accord, je l'ai mentionnée. Je pense que l'une des lectrices de cette lettre saura me rappeler le nom de cette figure de style.)

Dans un petit village de Savoie que je connais bien, il me semble que le mode de développement touristique choisi (investissement à court terme, fortement profitable à court terme pour les habitants, mais sans trop de souci de l'avenir économique et écologique à moyen terme) n'aurait peut-être pas été le même si le rôle de l'État avait été plus fort.

Les technocrates de Bruxelles sont géographiquement loin. Tant mieux; Cela leur permet de définir des quotas de pêche, lâchement contestés ensuite par le ministre français : le ministre français sait bien que ces quotas sont indispensables, mais s'il le dit, il perdra les prochaines élections.

Bon, d'accord, j'ai un peu exagéré. Je n'ignore pas que la politique de la commission de Bruxelles étant ultralibérale, les technocrates de Bruxelles sont souvent ultralibéraux. Mais je maintiens : le plus souvent, très majoritairement il y va de l'intérêt public contre les intérêts particuliers, personnels ou nationaux.

Slogan : oui aux technocrates, non aux vrais gens. D'accord, j'exagère. C'est pour faire avancer le schmilblick. Il ne me vient pas une seconde à l'idée qu'une politique puisse être définie démocratiquement sans débat avec le peuple. Mais le peuple, ce n'est pas tout à fait la même chose que les "vrais gens" au sens où l'entendent les médias.

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Travaux pratiques

Pendant que j'écris ce texte, j'entends en fond sonore sur France-Inter un débat sur le rôle des architectes des bâtiments de France (ABF). Je crois rêver : on dirait que l'émission a été faite juste pour confirmer cet article !

Les architectes des bâtiments de France doivent actuellement donner leur accord pour toute modification ou construction intervenant dans une zone patrimoniale protégée : bâtiments historiques, mais aussi certains paysages ou sites.

Un député demande la modification de cette loi. Il veut que les architectes donnent seulement un avis, et non plus un accord.

Raison donnée par le député : obtenir l'accord des architectes est trop lent et trop contraignant. Cela nuit à la mise en place rapide de programmes immobiliers qui font vivre l'économie et cela contrarie la politique urbanistique des maires. Bravo, voilà un député franc et direct…

Cette émission est un festival des poncifs du genre. Le député : "trop de réglementation tue la réglementation." (A propos de cette expression, voir [alerte] N° 40.) Un maire, au téléphone : "trop de protection du patrimoine nuit à la protection du patrimoine." (Si, si, je vous assure). On comprend que ce maire d'un village médiéval a des projets immobiliers qui n'ont pas reçu l'approbation de l'architecte des bâtiments de France. Mais rien sur le fond du dossier : monsieur le maire n'est pas content. On ne saura rien de l'avis de l'architecte ABF.

Cela dit, bien sûr, les architectes ABF ne doivent pas s'appuyer sur un pouvoir personnel arbitraire, mais travailler à l'application de règles clairement définies, et négociées avec les partenaires. L'urgence consisterait donc à améliorer ces règles, si elles ne sont pas bonnes, mais pas à supprimer l'accord des architectes.

Slogan : oui aux technocrates que sont les architectes des bâtiments de France, non aux décisions "au plus près du terrain".

Un article du président de l'association des ABF :

http://www.archi.fr/ANABF/documents/Le_Monde_29012009.pdff

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Les experts Miami

En France, les experts scientifiques sont souvent contestés. La façon dont nous enseignons les sciences fait que, dans l'ensemble de la population, la culture scientifique et technique est très faible. Une grande majorité d'entre nous, même avec un bac scientifique, n'a pas appris à raisonner grâce aux connaissances acquises, et à appliquer ces raisonnements aux questions qui se posent, qu'elles soient politiques (décisions à prendre sur l'énergie, la pollution, la bioéthique) ou qu'elles concernent la vie quotidienne. On sait résoudre un problème de bac de physique, mais qu'en reste-t-il en termes de culture ?

Les experts scientifiques apparaissent donc comme une caste employant un langage mystérieux destiné à tromper le bon sens populaire et à contester l'évidence. Cela a coûté cher à Galilée.

Du coup, j'assiste, un peu intrigué, à l'immense succès que rencontrent les séries télévisées mettant en scène la police scientifique (largement développée en France dans la première moitié du XXème siècle par le professeur Locard, cocorico).

La plus connue de ces séries est "Les experts Miami", qui montre le fonctionnement de la section de police scientifique de Miami dans la recherche des assassins.

Pour étudier "la scène de crime" et analyser les prélèvements faits sur cette scène de crime ces policiers emploient des méthodes physiques, chimiques et biologiques complexes. Pour autant que je comprenne les choses, ces méthodes semblent tout à fait vraisemblables. Et, au passage, sans faire de cours, les policiers, dans la conversation, donnent quelques indications sur le principe de ces méthodes. Il parait que la popularité de ces séries nuit maintenant à certaines enquêtes de police, les délinquants étant trop informés.

L'équipe des policiers travaille dans la coopérations loyale : pas de super-héros, on échange, on confronte ses points de vue. Les personnes qui utilisent les appareils les plus complexes sont des femmes. Et l'humanité est toujours présente : on poursuit le crime, mais on respecte de criminel. "Je comprends de que vous avez fait, mais je ne l'approuve pas" dit l'inspecteur calme et posé qui est en relation avec les suspects.

Certes, cette série à trop tendance à valoriser l'existence d'un fichage informatique tout puissant. Mais, globalement, on y donne une image de la science plutôt positive.

Je sais que certains d'entre vous ont déjà réfléchi à propos de cette série. Pouvez-vous me faire part de vos réflexions ?

Au-delà de cette série, et au risque de choquer les experts de l'enseignement des disciplines, (mes anciens collègues inspecteurs généraux), je me demande si cela ne pourrait pas inspirer de nouvelles méthodes d'enseignement.

J'apprécie beaucoup les romans policiers socio-politiques, qui nous font prendre connaissance de la réalité de la vie dans de nombreux pays. Les exemples abondent, je citerai seulement Qiu Xiao Ling pour la Chine contemporaine.

Il existe aussi, dans la série Grands Détectives (Folio) de nombreux romans policiers dont l'intrigue se déroule dans diverses époques et différents pays. Là encore, pour autant que je comprenne les choses, il me semble que les auteurs ont fait un très gros travail historique sur la période qu'ils mettent en scène, et que la toile de fond qu'ils donnent à l'action semble tout à fait rigoureuse. Et au fond je découvre plus de choses sur le Japon médiéval, l'Angleterre victorienne ou la France de la fin du XIXème que dans mes études. Je sais, il y manque un cadre et une méthode d'analyse qui donne la cohérence et la vue d'ensemble. Je n'ai pas dit que l'enseignement de l'histoire pouvait se réduire à cela.

J'avais été très intéressé par l'intervention d'un expert dans l'une des instances de la ligue de l'enseignement : cet expert conseillait d'enseigner les sciences par cette méthode du story telling, de la mise en scène.

Le physicien JM Lévy-Leblond a fait une analyse scientifique détaillée de l'ensemble de l'œuvre de Hergé. Ainsi, même s'il y a quelques erreurs, les deux aventures de Tintin pour conquérir la Lune apportent une importante formation scientifique. Ce n'était pas le cas de l'ouvrage "De la Terre à la Lune" de Jules Vernes, la méthode du canon qu'il employait ne pouvant fonctionner.

Au lieu d'enseigner des connaissances simplement destinées à être testées à l'examen, ne peut-on varier les méthodes pour permettre l'acquisition d'une véritable culture ? Il faudrait pour cela que les grands chercheurs assument mieux leur rôle de vulgarisateur, et que le système éducatif se demande comment on peut faire place à cette vulgarisation rigoureuse.

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3 Alerte


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4 Citations et réactions de vous tous

Burqa et cagoule, le devoir d'être reconnu, suite de la suite


Le débat engagé dans les numéros 39 et 40 de [alerte] suscite de votre part de vives réactions. Merci beaucoup.

La plupart de ces réactions portent sur la question de la burqa, qui en fait n'est pas le sujet de mon article.

Mon article se place dans l'hypothèse suivante : à propos de la burqa, mais bien au-delà, certains députés pensent à rendre obligatoire pour tout un chacun le fait de pouvoir être reconnu sur la voie publique. (Pourquoi pas une loi portant seulement sur la burqa ? Parce que, semble-t-il, des juristes ont constaté qu'il est pratiquement impossible de rédiger une loi portant seulement sur la burqa.) Cette hypothèse n'est pas abandonnée, quoiqu'elle devienne moins probable depuis une quinzaine jours. Et c'est cette hypothèse que j'étudie : la loi doit-elle obliger tout un chacun à pouvoir être reconnu sur la voie publique ?

Cette question est d'actualité, en dehors de la burqa : un texte récent vient d'interdire le port de la cagoule dans les manifs (peut-être à juste titre ?). Par ailleurs, ne va-t-on pas attirer l'attention des gens qui sont derrière les écrans des caméras de surveillance si l'on est grippé et que l'on a un foulard sur la bouche ? Et que faire des touristes japonais qui se promènent avec un masque antipollution ?

Au-delà de ces exemples limités, je pense que l'on serait sur une voie dangereuse si la loi se met à régenter de type de comportements. Ou alors cela sera une loi de circonstance : tout un chacun devra pouvoir être reconnu dans la rue, mais les policiers, avec discernement (!), n'interviendront que pour les burqas… Drôle de loi à la tête du client, si j'ose dire.

Il demeure que je ne soutiens en aucun cas les "traditions culturelles" conduisant au port de la burqa, à la lapidation des femmes ou à l'excision. Comme certains de vous, je pense que toute religion au pouvoir a tendance à devenir intégriste et à bafouer les droits humains. Je ne soutiens pas non plus, d'ailleurs, les "traditions culturelles" françaises qui font que, chez nous, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

Mais ce n'est pas de cela que traitait mon article.

.Je souhaitais seulement débattre pour savoir si la loi doit obliger chacun à pouvoir être reconnu dans la rue. Il me semble que non, car cela conduirait à de graves dérives. Du moins c'est ce que je disais dans le [alerte] N° 40.

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5 Les liens entre nous


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6 Bienvenue


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