[alerte] N° 40 - JM Bérard - 29 juillet 2009

Sommaire du N° 40

  1. Lueurs
    • Retour de Finlande
  2. Au fil des jours, des lectures et des navigations
  3. Alerte
  4. Citations et réactions de vous tous
  5. Les liens entre nous
  6. Bienvenue

1 Lueurs


Retour de Finlande

Un immeuble ordinaire, huit étages au centre ville de Turku, Finlande.

Les résidents de l'immeuble, grâce à une clé personnelle, ont accès au sous-sol où se trouvent de nombreux services collectifs qui n'auraient pas leur place dans les petits appartements : sauna, garage à vélos, à poussettes pour enfants, mais aussi très grand congélateur collectif où chacun peut ranger ce qu'il veut, buanderie collective, et même cuisine où l'on peut venir préparer des plats compliqués demandant de la place et du matériel.

Le tout est fondé sur la confiance. Ainsi, une lessive coûte deux euros. Pour faire sa lessive on s'inscrit sur le tableau. Les factures sont payées en fin de mois, mais personne ne vérifie si l'on s'est inscrit avant de faire sa lessive. Enfin bon, personne ou tout le monde, je ne sais pas, car dans le système anglo-saxon de transparence chacun est aussi responsable de ce que fait son voisin. En tout cas, pour la dame retraitée que j'ai rencontrée, tout est satisfaisant dans son immeuble.

En guise d'autocritique : le Guide du routard signale qu'il est, en Finlande, particulièrement inadmissible de couper la parole, et conseille ironiquement au voyageur de laisser s'écouler trois secondes entre la fin d'une phrase dite par un ami finlandais et le fait de répondre. J'ai essayé. Pour moi, c'est difficile… Peut-être devrais-je transposer ici cette brève expérience faite là-bas…

Retour au sommaire




2 Au fil des jours, des lectures et des navigations



Burqa et cagoule : le devoir d'être reconnu ? Suite


A propos de la burqa : dans le numéro 39 de [alerte] je signalais que certains députés ont constaté qu'il est difficile de rédiger une loi interdisant seulement la burqa. Ils songeaient donc à proposer une loi interdisant à tout un chacun d'être masqué sur la voie publique. Je me demandais s'il est du rôle de la loi de définir un "devoir d'être reconnu".

L'un de vous envoie à ce sujet une contribution, que je reproduis intégralement :

"Burqa, casques, cagoules...

Je suis très sensible à tes arguments contre l'éventuelle obligation légale du visage découvert. Mais dans une société déjà déshumanisée, des humains sans visage (contradiction dans les termes), quel symbole !

Burqa : tu parles à juste titre de l'atteinte à la dignité de la femme. Mais il me semble que l'autre aspect : "je soustrais mon visage à autrui", est tout aussi intolérable (Je vois sans être vue, j'affiche mon étrangeté totale à la société qui m'entoure). La relation humaine peut se passer de paroles, pas de visages.

Ceci dit, la précipitation à légiférer ne sert-elle pas de paravent à la paresse à débattre, convaincre ? Je reste indécis. Diffuser le Bas les voiles de Chadortt Davan est plus que jamais d'actualité.

Cagoules : les manifestants cagoulés – sans parler des cagoulés qui agressent des manifestants – me sont insupportables. Eux aussi s'excluent ou m'excluent d'une commune humanité. Quant aux arguments avancés par certains groupes d'extrême gauche : autodéfense contre une police et une justice au service d'un pouvoir qui... (etc.), ça me rappelle un peu trop les analyses sur le caractère formel de la "démocratie bourgeoise" qui justifiait qu'on l'abatte pour instaurer la dictature, pas du tout formelle, "du prolétariat" ! ("La démocratie est malade, tant mieux, achevons-là", etc.)

Suis-je trop naïf de penser qu'il reste plus urgent de combattre la généralisation de la vidéo surveillance que de mettre son foulard devant les caméras ? Entre parenthèses, la caméra fonctionne comme la burqa, elle voit et n'a rien d'humain. Je serais assez tenté par une action collective (à visage découvert ?) consistant à tirer systématiquement les caméras au lance-pierre, à coups de pavés, etc. (tu m'objecteras qu'à mon tour j'utilise d'autres moyens que ceux du débat démocratique...)

Encore une remarque : les 8 manifestant(e)s de la Place Rouge à Moscou en 68 (contre l'invasion de la Tchécoslovaquie) ne portaient pas de cagoule. Au pays du goulag, visage découvert et rejet de toute forme d'organisation clandestine étaient au principe même de la dissidence démocratique (en russe, le mouvement des "défenseurs du droit") "

Merci beaucoup. J'ai étudié attentivement ce texte, pour arriver à la conclusion que je suis d'accord sur presque tout, mais que ce texte répond à une question qui n'est pas celle que je posais.

Sur presque tout : l'exemple sur les manifestants de Moscou ne me semble pas pouvoir être généralisé. C'est la forme d'action qu'avait choisie le mouvement des défenseurs du droit, en 1968, en Union Soviétique, après analyse de la situation. Mais, pour prendre un exemple simpliste, les dirigeants et militants de la Résistance anti-nazie en France n'avaient-ils pas pour devoir de se rendre méconnaissables, d'avoir de faux papiers, un faux nom, de se teindre les cheveux, que sais-je encore ?

Donc, je suis d'accord, en particulier sur la conception des relations entre humains exprimée dans le texte. J'avais dit moi-même que je n'aime pas du tout parler à quelqu'un qui garde son casque de moto.

Mais ma préoccupation était à la fois plus restreinte et plus large : certains députés pensaient proposer une loi pour obliger chacun à pouvoir être reconnu dans la rue.

Est-ce le rôle de la loi de régenter ainsi les comportements ? Il me semble que non.

Face aux personnes masquées, il faut discuter, faire évoluer, convaincre, refuser le dialogue si celui-ci est impossible. Mais de là à voter une loi régentant la façon de se vêtir…

Je sais, on l'a déjà fait pour les manifestants cagoulés, qui sont désormais répréhensibles. Bon, pourquoi pas ? Quoique, une fois de plus, cette loi soit une loi de suspicion avant délit, puisqu'elle s'applique aux manifestations "susceptibles d'être violentes", avant qu'elles n'aient eu lieu. Cette suspicion préventive se généralise sous le gouvernement Sarkozy. On peut, certes, penser que les gens qui viennent cagoulés dans une manifestation autorisée n'ont pas de bonnes intentions… Je ne sais pas. Si j'étais iranien, j'hésiterais à défiler le visage nu, même en France : par des procédés magiques connus de eux seuls les religieux iraniens peuvent avoir connaissance des photos et vidéos de manifs à Paris.

Faut-il légiférer pour tous et obliger chacun à pouvoir être reconnu dans l'espace public ? Si je reprends les termes du texte qui m'a été envoyé, cela reviendrait je crois, à donner à la loi le rôle de définir ce qui est humain et ce qui ne l'est pas. Et là, on est mal parti, entre ceux que l'on considérerait comme non dignes d'être humains, ceux que l'on classerait dans les sous-hommes, etc.

Et puis il me semble que le progrès des technologies et du fichage change un peu la donne. Avec les futures nouvelles cartes d'identité, avec le passeport biométrique, nos photos numérisées seront rangées dans un fichier centralisé. Et les progrès de l'analyse d'image feront bientôt que le visage de tout un chacun dans la rue pourra être confronté à ce fichier central. Voter une loi qui obligerait chacun à pouvoir être reconnu en tout temps et en tout lieu public reviendra alors à dire que l'État doit pouvoir nous localiser, en tout temps et en tout lieu public.

Débattre, faire évoluer, convaincre les personnes masquées que ce n'est pas une façon juste d'être dans la société, cela, oui. Mais faire une loi obligeant tout un chacun à être reconnu en tout temps et en tout lieu public, non.

Retour au sommaire

Perplexité : experts et technocratie

Je ne suis pas expert en sociologie, et c'est donc sans doute à juste titre que ceux d'entre vous qui le sont trouveront naïves mes interrogations sur la place des "experts" et la place de la "technocratie" dans l'opinion publique et dans la presse. Vos réactions paraîtront dans le prochain numéro.

Un petit préambule à peine provocateur : ce texte analyse le rôle des experts, ceux qui s'appuient sur des sciences constituées, stables, appliquant les méthodes de l'analyse et de la déduction scientifique. Il ne s'agit donc absolument pas des "experts" en "économie".

La figure de l'expert : c'est un peu la figure du professeur qui rappelle aux règles de l'orthographe (situation humiliante) ou du père sévère qui fixe les limites du réel.. L'expert collecte des données, les confronte aux théories scientifiques connues, analyse l'historique, participe à des colloques avec d'autres experts, et en déduit des conclusions.

L'expert s'oppose donc de front au bon sens populaire d'une part, et à la toute puissance des esprits forts d'autre part.

Le bon sens populaire pensait que la Terre était le centre du monde, d'ailleurs il suffit de regarder le Soleil pour le constater. Le bon sens populaire s'exprime par exemple dans l'émission "Les grandes gueules" de RMC. La "compétence" s'y exprime par le fait que l'on parle fort, et d'un ton catégorique et populiste, à la Bernard Tapie. Les expressions clés de "l'analyse" : "Faut arrêter, là" (ne pas oublier la virgule) et "Trop de… tue…". Trop d'impôt tue l'impôt, trop d'information tue l'information, trop de lutte contre la pollution favorise la pollution. Cela n'a pas à être démontré, c'est une évidence. La structure "Trop de… tue… " est un gage de vérité.

Pour le bon sens populaire, les experts sont une caste, qui a son propre langage, employé pour humilier. Ce ressenti est d'autant plus fort que la culture scientifique et technique est en France quasi-inexistante, et que les arguments scientifiques sont donc pris pour des arguments d'autorité, car on n'a pas les moyens de les comprendre. Les experts empêchent de jouir et de posséder.

Les esprits forts sont d'une autre nature. Ils sont très au dessus de la masse, se fréquentent entre eux, pensent avec les préjugés de l'idéologie dominante (par exemple les bienfaits du marché libre, etc.) et regardent avec amusement les fourmis expertes s'agiter. De toutes façons, les esprits forts savent bien qu'ils ont les leviers du pouvoir.

Un exemple : le réchauffement climatique. Dans les années 1980, dans les colloques d'experts, le propos était : "il est probable que l'on assiste à un réchauffement climatique, mais on ne sait pas s'il est dû à l'activité humaine". Dans les colloques récents, en 2009, les experts disent : "le réchauffement climatique est certain, et, avec une probabilité de 99%, ce réchauffement est dû à l'activité humaine".

Les esprits forts ne s'encombrent pas des études des experts : on ne va tout de même pas créer du chômage (et au passage nuire aux profits) pour quelques rêveries coupées du réel. Je n'insiste pas, de nombreux noms vous viennent à l'esprit, et pas seulement ceux de Claude Allègre ou de GW Bush. J'ai entendu (si, si, je vous l'assure) deux esprits forts s'accorder avec un sourire entendu pour affirmer que le réchauffement climatique, la pollution, la perte de la biodiversité, etc. sont inventés par les associations écolos pour justifier leur propre existence.

Et Obama ? Ce n'est pas à mon sens un "esprit fort". C'est un intellectuel, qui soutient la recherche scientifique. Comment est-il président dans un pays où l'acteur incarnant Rambo est gouverneur, et où le cycliste Lance Amstrong se prépare à la présidence ? Miracle. Ne boudons pas notre joie.

Mon souhait : prenons en compte sérieusement le travail des experts, non au bon sens populaire, non aux affirmations a priori des esprits forts.

J'avais prévu de poursuivre cette réflexion sur les experts par l'analyse de la situation un peu nouvelle créée par le succès des émissions télévisées mettant en scène la police scientifique : Les experts Miami, et toutes les séries qui en ont découlé. Mais ce sera pour la prochaine [alerte].

Le technocrate et la technocratie :

Là encore, ce numéro de [alerte] est suffisamment long. Technocratie et technocrates au prochain numéro 41.

Retour au sommaire




3 Alerte


Retour au sommaire


4 Citations et réactions de vous tous


Voir ci-dessus le texte envoyé par l'un de vous sur le "devoir d'être reconnu".

Retour au sommaire




5 Les liens entre nous


Retour au sommaire


6 Bienvenue


[alerte] est également envoyée en copie cachée par courrier électronique.
Si vous souhaitez figurer sur la liste de diffusion, merci de m'écrire à
jean-michel.berard (chez) orange.fr Remplacer (chez) par @

Réactions bienvenues. Diffusion libre en citant la source et la date.
La sélection, la rédaction des synthèses et les commentaires
n'engagent strictement que moi.
Vos réactions, en particulier en cas d'inexactitude dans mes propos, sont appréciées.

Retour au sommaire


Fin de [alerte] N° 40