Lettre [alerte] hors série créationnisme et théorie de l'évolution

Hors série, précisions et modifications concernant la lettre N° 29 du 20 novembre 2008

[Alerte] Hors série créationnisme et théorie de l'évolution
 
 
***********************
Lettre [alerte] hors série - JM Bérard - décembre 2008 -
jean-michel.berard chez orange.fr 
remplacer chez par @
 
Vous faites partie d'une liste limitée de destinataires, constituée de façon purement arbitraire. Vous pouvez  sans problème demander à être rayé de la liste.
Diffusion libre et bienvenue.  Réactions et contributions très bienvenues. JM Bérard
***********************
 
***********************
 
                        Mon article, dans la lettre N° 29, sur le colloque qui a eu lieu à Paris à propos du créationnisme a suscité de votre part de vives réactions.
D'une part, le sujet est très complexe. D'autre part le format de cette lettre m'a conduit à des propos lapidaires trop simplifiés.
Enfin, je mélangeais dans l'article plusieurs questions distinctes.
 
Je consacre donc l'essentiel de cette lettre à vos réactions. Le sujet me semble important, et surtout, pour un avenir proche, connaitra me semble-t-il de nombreux rebondissements.
 
La plupart de ceux de vous qui réagissent conseillent la lecture des articles du philosophe Dominique Lecourt.
Le dossier n°33 de novembre 2008 de la revue La Recherche   "L'héritage Darwin", fait le point sur la question de manière très dense.
Il comporte notamment un article de Dominique Lecourt sur le créationnisme, "Les dessous du dessein intelligent."
***********************
Tant va l'autruche à l'eau qu'à la fin elle se palme.
Non, non, ce n'est pas de Darwin, mais de Raymond Queneau 
***********************
 
Plan de la lettre 
 
 
Créationnisme : et Dieu là-dedans ? Pas si simple !
 
        Y a-t-il un réel danger de pénétration insidieuse des opinions créationnistes dans l'enseignement des sciences en Europe ?
          Qu'est-ce que la théorie de l'évolution ?
          Tout cela n'est-il qu'une théorie ?
          Quels rapports entre science et religion, entre religion et théorie de l'évolution ? 
         Pourquoi avoir pris à partie l'église catholique romaine et le Vatican ?            
 
 
 
 
Je présentais, à ma façon, dans la lettre 29, un article du journal "Le Monde" rendant compte d'un colloque qui s'est tenu à Paris sur le créationnisme et la théorie de l'évolution.
 
De façon très sommaire, je résumais le débat en disant que, parallèlement à la  théorie scientifique de l'évolution,  des courants de pensée créationnistes soutiennent l'idée que la nature est si complexe et si belle que son état actuel suppose l'existence d'une intention supérieure, d'un "dessein intelligent", forme moderne de Dieu. Ces courants, d'origines diverses,  s'organisent dans divers pays pour que le créationnisme soit pris en compte dans l'enseignement au même titre que la théorie de l'évolution, ou même à sa place.
 
Ce que ne disait pas clairement l'article du journal, et que je ne savais pas,  est que ce colloque a été organisé par l'inspection générale du ministère de l'éducation nationale, groupe  sciences de la vie et de la terre et groupe de philosophie, en direction des inspecteurs régionaux, des formateurs et des professeurs des classes préparatoires, avec la coopération de professeurs au collège de France, de la Cité des sciences, du Muséum, etc. Peut-être, si une institution aussi éminente et aussi peu coutumière de militantisme radical que l'inspection générale organise un tel colloque, est-ce parce ces tendances existent aussi en France ?
 
Y a-t-il un réel danger de pénétration insidieuse des opinions créationnistes dans l'enseignement des sciences en Europe ?
 
Quelques extraits, à ce sujet, des messages que m'envoie  de l'un de vous, bon  connaisseur du dossier :
 
"[...] Ce problème prend en fait de l'ampleur dès lors qu'il devient un sujet politique. Aux USA, les programmes sont votés localement.
[...] Le danger est moindre en France car la religion y est moins un enjeu politique qu'aux USA, en Italie ou en Pologne.
[...] Il y a moins de problèmes tant que l'éducation reste pilotée au niveau national. En Allemagne ou aux USA le poids des lobbies locaux a fait apparaître au grand jour les régionalismes. [...] [Si le pilotage n'était plus national en France] certaines académies pourraient être l'objet de pressions islamiques fortes dès lors qu'on donnerait une dimension démocratique régionale à des décisions sur les contenus enseignés.
[...]En France, on ne peut pas dire que les difficultés s'aggravent de façon aussi nette [qu'aux USA]. L'Ecole chez nous est encore largement perçue comme laïque. Des oppositions s'expriment, surtout de la part des musulmans. Mais le débat d'idées est beaucoup plus discret que pour le port des signes ostensibles de croyance religieuse.
Ceci dit, le risque existe. Le colloque a choisi d'anticiper en insistant sur la différence entre deux approches, celle du doute pour la science, de la foi pour la religion.
[...] Armand de Ricqlès [professeur au collège de France] n'a pas encore émis d'inquiétude quant à nos programmes français. Ce qui est perceptible pour le moment, c'est plus la difficulté à les enseigner dans les contextes où le poids des croyances religieuses est plus fort, notamment dans les établissements où existe un fondamentalisme musulman. Et, mais ce n'est pas nouveau, dans certains établissements privés confessionnels."
 
Confirmation, extraits  des Dossiers de la revue La Recherche, N° 33 novembre 2008, "L'héritage Darwin" :
 
"La cible première des créationnistes contemporains est l'enseignement" dénonçait en juin 2007 le député français G. Langagne dans un rapport sur les dangers du créationnisme dans l'éducation.
[...] ... l'offensive menée début 2007 par le turc Harun Yahya : de nombreux établissements scolaires européens, dont la plupart des lycées français, ont reçu un ouvrage intitulé L'Atlas de la création, dans lequel ce musulman intégriste dénonce "l'imposture de la théorie de l'évolution à l'origine de tous les maux du XXème siècle."
[...]... propos du ministre polonais Miroslaw Orzechowski : "la théorie de l'évolution est une erreur légalisée comme une vérité courante ; il ne faut pas enseigner un mensonge."
[...] En Allemagne les professeurs de biologie d'un lycée du Land de Hesse, depuis 2007, enseignent aux élèves "qu'un créateur est à l'origine des différents types d'animaux. " La ministre de l'enseignement a estimé qu'il n'y avait pas d'infraction aux programmes scolaires. "
 
                                      
  Qu'est-ce que la théorie de l'évolution ?
 
Je vous imagine morts de rire, comme on dit de nos jours. "Il y a là-dessus des bibliothèques entières, des colloques, des revues, et tu veux en parler en une page écran ?"
Bon, disons que je suis seulement agrégé de physique, et que ce que j'ai dit la semaine dernière comportait des imprécisions, et peut-être des inexactitudes. Deux de vous proposent que le texte que j'ai écrit soit plutôt celui qui est ci-dessous.
 
Cela me laisse d'ailleurs un peu inquiet sur la définition de la culture générale. Si, dans une discipline considérée comme voisine de la mienne, je dis des choses un peu approximatives, comment définir le noyau de culture générale scientifique que donne l'école aux citoyens qui fréquentent l'école de la république ? Pas simple.
 
Texte modifié, relu par deux spécialistes, pour l'original se reporter au numéro 29 :
 
"L'explication scientifique actuelle du monde vivant repose sur la théorie de l'évolution par sélection naturelle de Darwin (1809-1882), et sur les lois de la génétique (qui ont beaucoup progressé depuis Mendel, qui ignorait tout du support de l'hérédité, et donc de l'idée de mutation ; on ne peut pas non plus le considérer comme à l'origine de l'idée de sélection, qui est pratiquée depuis l'aube de l'agriculture).
Darwin n'est pas le premier évolutionniste. Lamarck a publié ses travaux en 1809. L'apport de Darwin, c'est l'explication de l'évolution par la sélection naturelle.
 
Les tenants d'une interprétation littérale de la Bible ("Dieu a crée le monde en sept jours") ne peuvent admettre une théorie de l'évolution qui, entre autres, ferait que l'homme descend du "singe". Ce courant créationniste sous forme littérale, qui ne veut pas considérer que le récit biblique est un mythe d’origine sans portée scientifique  existe en 2008, mais est relativement peu influent.
Cette expression erronée (l'homme descend du singe) fonde des réactions vives, qui sont de fait en partie sans objet. L'espèce humaine (terme plus adapté que "l'Homme") a en fait avec les singes actuels un ancêtre commun, qui n'était pas plus simien qu'humain. L'espèce humaine et les singes actuels, comme tous les êtres vivants actuels, bactéries comprises, sont au même niveau d'évolution que l'espèce humaine. C'est plutôt cela qui choque ceux pour qui l'homme est la créature parfaite, conçue à l'image de Dieu.
Ce courant créationniste tenant d'une interprétation littérale de la bible existe en 2008, mais est relativement peu influent. Il faut en effet une puissance d'imagination considérable pour expliquer que les fossiles et toutes les traces de l'évolution ne prouvent rien, et rester sur l'idée d'une création unique de toutes les espèces. Certains tentent pourtant de le faire.

En revanche, une forme nouvelle du courant créationniste est  de plus en plus puissante et influente. Pour ce courant, il est impossible que la complexité de la nature résulte de seules lois de l'évolution et de la sélection naturelle de mutations apparues au hasard. Il y faut la volonté de Dieu, ou, au moins, une intention intelligente, un "dessein intelligent" (intelligent design), qui a "piloté' tout cela au fil des millions d'années

Le problème grave est que cette thèse ne peut être combattue scientifiquement, car elle n'est pas scientifique, en ce sens qu'il est impossible de prouver le contraire. "

Tout cela n'est-il qu'une théorie ?
 
Cette affirmation fréquente repose sur un jeu de mots. Dans le langage courant, théorie est assimilé à spéculation intellectuelle sans réalité.
Une théorie scientifique est tout autre chose. C'est un ensemble cohérent de concepts et de lois scientifiques. Cet ensemble cohérent est appuyé sur des observations et expériences. Ces observations et expériences, réalisées par la communauté scientifique et dont les protocoles sont publiés, sont reproductibles. Ces lois permettent de comprendre le monde dans lequel nous vivons et d'agir sur lui.
Une théorie scientifique n'est pas immuable, ce qui ne veut pas dire du tout que tout cela est approximatif, qu'une affirmation en vaut une autre et que ce que l'on croit maintenant ne sera plus vrai plus tard.
Simplement une théorie fait consensus pour la communauté scientifique à un moment donné de l'histoire. Puis de nouvelles observations ou de nouvelles expériences conduisent à constater que la théorie valable à un moment donné de l'histoire n'explique pas tout, et qu'il faut la faire évoluer. Ainsi, la mécanique de Newton explique correctement tous les phénomènes de notre environnement usuel (chute des corps, etc.). Mais, lorsqu'on atteint des vitesses proches de 300 000 km par seconde (ce qui est rare dans la vie courante de l'être humain...) la théorie de Newton ne permet plus d'expliquer ce que l'on constate. Einstein et les savants des années 1900 ont élaboré la théorie de la relativité, mais la théorie de Newton peut tout à fait continuer d'être utilisée, dans certaines limites de précision, pour les vitesses usuelles. Mais, par exemple, pour la détermination de l'heure faite par les satellites utilisés pour le système GPS, la théorie de Newton n'est pas assez précise ; la détermination de l'heure à la précision nécessaire pour le GPS nécessite la théorie d'Einstein.
Tout cela pour dire que théorie scientifique n'a rien à voir avec spéculation intellectuelle hasardeuse.
 
La théorie de l'évolution fait actuellement consensus scientifique, ce qui ne signifie pas qu'elle est immuable. En ce moment, autant et même plus que d'autres théories, la théorie de l'évolution évolue, ce qui est tout à fait normal dans un travail scientifique. Mais cela ne signifie pas non plus que ce qui est considéré comme vrai aujourd'hui sera faux demain. Simplement, ce sera plus précis, plus étendu, permettra d'expliquer plus de choses.
 
Quels rapports entre science et religion, entre religion et théorie de l'évolution ? 
 
Alors là, je vous imagine encore davantage morts de rire... Il y faut non seulement des bibliothèques entières, mais aussi des siècles entiers. Alors en dix lignes...
 
A mon avis tout à fait personnel, il n'y a aucune opposition entre science et religion, parce qu'il n'y a pas de champ commun entre ces deux domaines.
J'ai esquissé plus haut une tentative d'approche de ce qu'est à mon avis le champ de la science. Le champ de la religion est de l'ordre de la croyance, et ne fait pas partie du champ de la science.
 
Concrètement, la science (la théorie de l'évolution, le big bang) n'a ni à prouver que Dieu existe, ni qu'il n'existe pas. Une affirmation qui ne peut être contredite n'est pas du domaine de la science. Et l'on ne peut trouver aucune méthode rationnelle pour "prouver" que Dieu n'existe pas. On peut donc tout à fait, à mon sens, croire en Dieu et être un scientifique travaillant sur le big bang ou la théorie de l'évolution, pour peu que les croyances ne l'emportent pas sur le travail réel de la science.
 
Simplement, il se trouve que au fil des siècles ces deux domaines ont souvent été mêlés, les religions voulant parfois dicter à la science ce qu'elle a à dire, ou la science prétendant lutter contre les croyances religieuses.
Il me semble qu'une laïcité stricte consiste simplement à affirmer avec force que science et croyance sont deux domaines distincts.
Ce n'est pas si facile :
L'un de vous m'écrit : "le scientisme (que je ne confonds pas avec la recherche scientifique) prend souvent la forme d'une religion, la croyance indémontrable que la science, si elle ne l'a déjà fait, rendra compte de tout, dont l'apparition de la pensée, de la morale, etc..."
Réciproquement, comme le montre le débat actuel, mais aussi de nombreux exemples historiques, la religion est souvent tentée d'intervenir dans les contenus de la science.
 
Dans le journal Le Monde du 28 novembre 2008, Denis Buican écrit un article intitulé "Dieu contre Darwin", et Jean Delumeau écrit un article intitulé "La science, ses limites et son au delà."
 
Une affirmation présente dans les deux articles : la science ne peut répondre à la question fondamentale des philosophes, "pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? "
Denis Buican : "Il faut garder une rigueur d'agnostique et respecter la vieille tradition de philosophie critique : où finit la science commence la croyance. Sinon les fondamentalismes de tout bord, judéo-chrétien ou islamique et les dogmatismes selon les modèles GW Bush ou Oussama Ben Laden ne peuvent que s'exacerber mutuellement".
Jean Delumeau : "... l'une, la science, constate les faits, l'autre, la réflexion sur la connaissance, s'efforce d'interpréter les acquis de la science. Cette réflexion peut déboucher sur un matérialisme athée ou sur une philosophie spiritualiste. ... Le théologien Küng fait remarquer que celui qui reconnait qu'il ne peut pas voir derrière le rideau n'a pas le droit d'affirmer qu'il ne s'y trouve rien."
 
L'un de vous m'écrit : "une fois clairement distinguée de l'enseignement des sciences, où elle n'a que faire, la question du dessein intelligent a un statut théologique ou philosophique, c'est une question indécidable mais intéressante. Une de ces questions philosophiques qui fait de nous des Humains."
 
Pourquoi avoir pris à partie l'église catholique romaine et le Vatican ? 
 
Pour le coup, c'était une digression tout à fait inutile dans la lettre 29.
 
Je n'ai pas pris à partie l'église catholique romaine et le Vatican. J'ai simplement fait une remarque incidente, que je maintiens, sur le titre de "l'académie pontificale des sciences". Que le responsable de l'église catholique romaine s'entoure de scientifiques pour l'éclairer sur les conséquences de la science, les problèmes juridiques, éthiques, moraux, sociaux que posent les développement de la science me semble très louable. Mais il me semble qu'il faudrait appeler cette institution "groupe de réflexion pour conseiller  Sa Sainteté sur les conséquences des développements de la science". 
L'expression "académie pontificale des sciences" revient me semble-t-il  à introduire à nouveau l'idée d'une science chrétienne, d'une science juive, etc...
 
Je n'ai trouvé nulle part d'indication selon laquelle l'église catholique romaine souhaiterait introduire le créationnisme dans l'enseignement, au contraire des intégristes chrétiens surtout actifs aux USA, et des intégristes musulmans.
 
Quant à la position officielle du Vatican, elle s'exprime dans un discours du pape Benoit XVI devant, justement, l'académie pontificale des sciences en octobre 2008.
 
Le discours a été prononcé en anglais, langue que je maitrise mal, et comporte des notions théologiques hors de mon champ de compréhension.
 
Je schématise sans doute en disant que l'église admet la cohérence scientifique de la théorie de l'évolution, mais considère que cette évolution ne peut être due qu'à la volonté de Dieu.
 
Si c'est bien cela que dit le Vatican, je n'ai aucune critique à faire.  Respect du travail des scientifiques, mais en même temps affirmation de la croyance. Je n'y vois rien d'incompatible.
 
Simplement, moi, je ne crois pas à cette croyance là, mais je n'ai non plus aucun moyen de prouver qu'elle est fausse, puisqu'elle est par essence non contestable. Tant qu'on ne cherche pas à l'imposer dans l'enseignement ou à dicter leurs conclusions aux scientifiques....