1 Au fil des jours,
des lectures et des navigations
Il faut baisser les impôts des
riches
Source France-info : en
Angleterre, les médecins toucheront une prime s'ils envoient moins de patients à
l'hôpital. Si, si, c'est vrai. J'imagine la réaction du patient lorsque le
médecin lui dira : "il aurait fallu que je vous envoie à l'hôpital, mais, pour
toucher ma prime, je ne le fais pas."
Je pourrais ajouter que la prime
des médecins sera financée par une taxe sur la hausse prévisible du chiffre
d'affaire des pompes funèbres, mais ce n'est pas vrai, je viens juste de
l'inventer. Même Mme Thatcher n'y avait pas pensé.
N. Sarkozy nous a beaucoup émus
sur la fuite des "compétences" : en France, les impôts, dit-il, sont écrasants.
Les "compétences" (cadres, patrons, vedettes de la chanson, traders) fuient à
l'étranger et la France se prive de ses forces vives. Il fallait donc, selon N.
Sarkozy, limiter les impôts des riches. Le gouvernement a mis en place le
bouclier fiscal. On n'a pas constaté pour autant, sauf mauvaise information de
ma part, que les "compétences" soient massivement revenues en France. Mais les
impôts des plus riches ont été limités, c'est déjà ça. On ne peut pas tout faire
à la fois.
Revenons à la santé : considérons
un cadre français qui travaille à Londres pour payer moins d'impôts qu'en
France. Que fait-il lorsqu'il est malade ? Je lui conseille de revenir se faire
soigner en France, comme beaucoup d'Anglais le font. En Angleterre, le système
de santé fonctionne très mal ; forcément, il n'y a pas beaucoup d'impôts. Il
vaut mieux revenir se faire soigner en France grâce aux impôts des autres français qui, eux, bêtement,
sont restés ici.
Cela n'a pas l'air de choquer M.
Sarkozy. Les impôt contribuent à la solidarité, font fonctionner le système de
santé, l'éducation, la justice... Il faut donc les diminuer. M. Sarkozy l'a compris, la solidarité ne fait
pas partie de la devise de la république. Pour la liberté, la fraternité et
l'égalité, on verra.
Aujourd'hui, fin de la crise, occasion à
saisir
14/10/08 : Comme prévu, après avoir demandé
aux Etats de coller des tonnes de rustines d'argent public pour sauver le
système bancaire privé, la finance respire provisoirement. Aujourd'hui les
bourses remontent temporairement, les personnes qui savent bien manier la souris
de leur logiciel financier ont pu gagner 10% en 48h, ouf...
C'est du vrai, ce n'est pas seulement ce que
je lis dans les journaux : mon boucher, tout en servant les clients, moins
nombreux du fait de la "baisse du pouvoir d'achat", observe d'un œil l'écran de
son ordinateur. Il a vraiment gagné 10% en deux jours. A la bourse. Pas en
vendant de la viande. Il ne m'a pas dit 10% de combien.
C'est bon ça, coco, le boucher, voila de la
vraie info, c'est de l'émotion, du vrai, du vécu.
Les personnes qui, aux USA, avaient fondé
leur retraite en économisant toute leur vie sur des fonds de pension indexés sur
la bourse voient leurs perspectives de retraite fortement compromises.
N. Sarkozy, lorsqu'il était ministre
des finances, souhaitait introduire en France l'usage des fonds de pension et
des prêts hypothécaires (genre subprimes). Bizarre, il n'en parle plus.
Présence d'esprit : la bourse ou la
vie
En France la crise économique fait que
certains parlementaires de la droite ultra-libérale ont trouvé de bonnes raisons
pour tenter d'amputer le projet de loi résultant du Grenelle de l'environnement.
Il ne faut pas nuire à l'économie : prendre en compte l'environnement nuira à
l'industrie. C'est aussi ce que dit Mme Palin aux USA. On ne peut pas tout faire
à la fois. Il sera temps de penser à l'environnement lorsque la bourse aura
remonté et que l'économie sera assainie (? ?). Il n'y aura alors plus
d'abeilles, donc plus de plantes, il n'y aura plus d'eau potable disponible,
plus d'air respirable, et plus non plus d'espèce humaine.
Quelle espèce sera l'espèce dominante ? Les
fourmis ? Les caribous épargnés par Mme Palin ? Ces espèces trouveront-elles en
elles-mêmes la force inouïe de reconstruire le système bancaire ? Verra-t-on des
élections se jouer entre des cigales rouges et des fourmis vertes sur la valeur
à terme du grain d'orge ?
Un peu de responsabilité, chers lecteurs de
cette lettre
D'accord, vous aurez une impression de
redite car de nombreux journalistes, vedettes du sport et hommes politiques ont
abordé cette question cette semaine. Mais d'une part mon article date du 15,
d'autre part je suis assez content de penser comme ces
personnes-là.
15/10/08 : Je suis parfois effrayé par mes
propres responsabilités et je vous appelle à un peu de modération. Certes, la
diffusion de cette lettre est libre et souhaitée, certes ce que j'écris est
particulièrement pertinent, mais tout de même, pourquoi la transmettez-vous à N.
Sarkozy et F. Fillon ?
J'avais dans ma dernière lettre appelé à un
peu de réalisme et demandé que l'on s'occupe un peu plus des vrais problèmes, le
foot en particulier. Effet immédiat de ma lettre. Le foot fait ce matin la une
de France info, de France inter et des journaux, y compris
Libération, hélas. Oublions, la crise est finie, pensons aux vrais
problèmes et relançons un petit coup de racisme anti-jeunes et anti-maghrébin,
ça marche à tous les coups.
Lors du match France-Tunisie des
"supporteurs" ont sifflé la Marseillaise. Emoi de François Fillon, N. Sarkozy
convoque le président du foot, les journaux écrivent des éditoriaux. Même
Fadela Amara n'a pas de mots assez durs pour condamner. Ils ont raison,
interdire de siffler la Marseillaise résoudra le problème pudiquement
appelé "problème des jeunes de banlieue". La lutte des classes, c'est fini,
cessons d'attaquer le capital. Le vrai ennemi, c'est l'autre, et, en
particulier, l'étranger. Les supporteurs ne doivent pas siffler la Marseillaise,
mais se contenter, comme d'habitude, d'imiter le cri du singe et de lancer des
bananes sur les joueurs noirs sans susciter aucune réprobation de N. Sarkozy.
Précision : je trouve que ce n'était pas une
bonne idée de siffler la Marseillaise. Ce qui me frappe c'est le montage politique fait autour
de cette question, et, à nouveau, le détournement de la haine vers l'étranger
hostile, ennemi de l'intérieur. Cela tombe bien en période de crise économique.
Hitler avait bien compris cela en Allemagne. Si j'étais le ministre Brice
Hortefeux, j'aurais envoyé quelques français "d'origine maghrébine" siffler dans
les tribunes, pour attiser un peu le feu et pouvoir faire monter un peu la
haine. Soyez gentils, ne lui transmettez pas ma lettre.
A chaque jour sa bonne
nouvelle
* "L'assurance
chômage a annoncé qu'elle prévoit une hausse du nombre de chômeurs :
augmentation de 46 000 en 2008 et de 41 000 en 2009. "
Libération, le
15 octobre 2008. Si, si, rappelez-vous, c'est justement l'assurance chômage qui,
à la demande du gouvernement, va prêter de l'argent aux petites entreprises en
difficulté. Les chômeurs viennent en aide aux entreprises. S'il y a plus de
chômeurs, les entreprises seront plus aidées. Bon, j'ai du faire une erreur
quelque part.
* "Avec mon mari,
on a un plan d'épargne en actions, on est allés à la banque se renseigner et on
a vite compris qu'il n'y a rien à craindre."
Un vendeuse en
confection, Libération, le 15 octobre 2008. Son mari et elle ont
compris vite, mais le banquier leur a sans doute mal expliqué. Ils ont perdu
plus de 30% depuis le premier janvier 2008. Je suppose que le banquier a employé
l'argument habituel : la bourse finit toujours par remonter.
C'est comme les passagers
du Titanic, navire qui avait été construit de façon telle qu'il ne pouvait pas
couler. Sur la fin, tout de même, pendant que le navire sombrait, l'orchestre
jouait "plus près de toi, mon Dieu". Il faut savoir, à un moment ou un autre,
revenir aux vraies valeurs.
Maintenant, les
chercheurs d'épaves font fortune en remontant et en vendant les petites cuillers
et les assiettes armoriées du bateau. Les ramasse-miettes. Ils manquent d'audace
et n'ont pas encore vendu les squelettes.
Le grand financier Warren
Buffet n'a pas ces scrupules, en ce moment il achète tout pour presque rien. Les
banques privées font appel, non pas à Dieu, mais à l'Etat.
* Le parti socialiste n'a pas réussi à se
mettre d'accord sur le vote au parlement, pour ou contre le plan de sauvetage
des banques. (14/10/08). Abstention. Sur les sujets tout à fait mineurs tels que
la constitution européenne ou l'analyse de l'économie mondiale, le PS n'arrive
pas à se mettre d'accord. Heureusement, comme l'ont dit vigoureusement hier certains
membres du PS, ce qui compte c'est l'unité du parti. C'est vrai. Il ne reste
plus qu'un détail à résoudre : unité sur quoi ?
Il me semble que, pour l'instant, personne au
PS n'a demandé que l'on supprime l'emblème de la rose. C'est déjà ça. Il
faudrait refaire tout le papier à lettres.
* Un dessin dans Charlie Hebdo. Une
classe, les élèves. Le professeur : "Comment s'est terminée la crise de 1929 ?".
L'élève Hitler lève le doigt et dit "Moi, je sais".
Le leader d'extrême droite autrichien Haider
s'est tué dans un accident de voiture. Toute, je dis bien toute la classe
politique autrichienne salue ce grand homme d'Etat. Il a même eu droit à de
grandioses obsèques nationales. Bouuh, ça fait peur.
*
"Le prisonnier qui avait tenté de se suicider il y a une semaine est mort
ce matin.". France-Inter. (15/10/08) Heureusement qu'il avait
seulement essayé.
* La Française des jeux (loto, jeux à
gratter, espoir en tout genre et à tout prix) et le PMU se réunissent pour
financer un centre de recherche contre la dépendance au jeu. Ils veulent
préserver leur très rentable empire : un joueur ruiné ou mort ne peut plus
jouer. Il faut l'étrangler juste ce qu'il faut, mais pas
trop.
* "Le brouillard a
provoqué un carambolage de 23 voitures". France-info.
Je ne savais pas que de petites gouttes d'eau tranquillement en suspension
dans l'air pouvaient avoir une telle puissance. Le manque de vigilance des
conducteurs ? Une vitesse excessive dans le brouillard ? Les distances de
sécurité non respectées ? Mais non, voyons. Les petites gouttes
d'eau.
******
2
Alerte
Très pris par la crise économique, je vous parle moins de
mes préoccupations habituelles sur le développement d'une société de fichage
généralisé. Et pourtant, pendant la crise, le fichage continue et se
développe.
Peut-être, faute de place ici, vais-je développer tout cela
davantage dans la prochaine lettre "informatique et
société".
Alors juste une toute petite anecdote, pour montrer que
cela ne concerne pas seulement les autres. Elle est présentée comme vraie dans
le média sérieux où je l'ai lue, mais je n'ai pas noté la source, ni, bien sûr,
pu vérifier.
"Paul et François se retrouvent dans une soirée un peu
arrosée. En riant, François raconte à Paul qu'il arrondit ses fins de mois en
touchant des primes et indemnités pas très régulières. Paul veut que ses amis
puissent rire aussi et raconte cela sur son blog, en citant le nom de
François.
Il a oublié que le blog n'est pas
seulement lu par ses amis. Quelques temps après, l'administration des impôts,
alertée par un bon logiciel d'analyse systématique des blogs, lit l'histoire
et contacte François pour un redressement fiscal. "
On dit que la qualité du service public baisse... Je n'ai
pas pu vérifier si c'est vrai, mais en tout cas c'est
possible.
Depuis quelques mois, Alex Türk, président de la CNIL,
lance des alertes non seulement sur le fichage institutionnel, mais aussi sur
tous les renseignements que nous mettons volontairement en
ligne.
******
3 Citations et réactions de vous tous
Un sang impur...
Petit extrait d'un long message de l'un de vous, très
ému et très en
colère.
"Nouvelle crise française, pardon,
franco-française...
Je ne sais combien de minutes
(beaucoup) consacrées au JT (La 2) au drame de "La Marseillaise" : les tunisiens
ont injurié tous les français, pire que ça : c'est un scandale, la honte du
sport, un délit, un crime, punissable... et "on" va "agir"
Car
il est bien évidemment impensables que des milliers, des millions "d'étrangers"
au sang "impur" ne reconnaissent pas toujours et partout la grandeur de La
France."
Voir mon article ci-dessus sur le
même sujet. Je partage ta colère. Cela dit, je ne pense pas, même si le JT
présente les choses comme cela, que ce soient des tunisiens qui aient sifflé. Ce
sont probablement des français, dont les grands-parents et les parents vivent en
France depuis longtemps, même s'ils sont venus d'ailleurs.
Naissance du capitalisme au
néolithique
J'avais dans
la dernière lettre cité des extraits d'un article résultant des réflexions de
deux universitaires, qui me semblaient faire remonter au néolithique la naissance
de l'idéologie capitaliste. J'avais cru appliquer (de façon sans doute
simpliste) une thèse marxiste fondant sur l'économie les évolutions
idéologiques.
Voici que
l'une de vous me signale que je tombe dans un rousseauisme naïf. Cela dépasse un
peu mes connaissances en philo. A l'aide, d'autres
contributions...
Contribution
de l'une de vous :
"En fidèle lectrice
passionnée de débat d'idées je réagis à la place que vous accordez, non sans
distance humoristique heureusement, aux incroyables variations rousseauistes de
Jean-Paul
Demoule et Jean Guilaine dans
Le Monde 28 septembre 2008. Cette vision mythique d'une
dégradation morale de l'homme proportionnelle au développement de la
civilisation est droit sortie du Contrat social !
Sauf que :
.
Rousseau pose une hypothèse de travail, et ne prétend pas énoncer béatement un
constat irréfutable (ce qu'ont oublié ses détracteurs, d'ailleurs)
. c'est
infiniment mieux écrit chez Rousseau.
Donc pour la prochaine Alerte, quoi de
neuf ? Rousseau !
"
Crise, histoire et vérité : rectificatif
Dans le [alerte]
précédent j'avais écrit que, après la crise de 1929, on était reparti comme
avant, jusqu'à la crise suivante. L'un de vous me fait remarquer le caractère
pour le moins approximatif de mon raccourci, joli mais faux. Extraits du message
:
"Je ne sais pas grand chose en économie et
encore moins en histoire de l'économie, mais ce que j'ai entendu ou lu me semble
te contredire. Je ne parle pas du fascisme, du nazisme et de la guerre ("ou même
pire", en effet !) mais de la politique économique aux USA :
Avec Roosevelt (président de 1933 à
1945) et Hoover, avec le "new deal" et le fordisme, un capitalisme mis sous
surveillance, avec un fort interventionnisme. Lois sociales, sécurité sociale,
développement de la syndicalisation. Et cela pour 40
ans.
J'extrais ceci de "Faut-il sauver les
banquiers ?" de Piketty (Libération 30 septembre
2008)
"Après la crise de 1929, en réaction aux
élites économiques et financières qui s’étaient enrichies tout en conduisant le
pays à la crise, la réponse de Roosevelt fut autrement plus brutale. Le taux de
l’impôt fédéral sur le revenu applicable aux revenus les plus élevés fut porté
de 25 % à 63 % en 1932, puis 79% en
1936, 91 % en 1941, niveau réduit à 77 % en 1964, et finalement à 30 %-35 % au
cours des années 1980-1990 par les administrations Reagan
Bush."
Donc pas de continuité de 1929 à 2008, mais
une rupture très nette vers 1980. Jacques Julliard (N.O. 9-15 oct.)
pose à ce sujet la question