Lettre [alerte] N° 19 - 8 septembre 2008

Plan de la lettre 
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
* C'est la rentrée, les affaires reprennent
* Place de l'internet dans le débat intellectuel
* Internet, militantisme, liberté, pauvreté d'esprit ?
"L’ère du tout puissant commentaire" est à nos portes, camarades.
 2 Alerte Edvige
"Passer ainsi d'une société dans laquelle chacun est présumé innocent à une autre dans laquelle c'est la culpabilité de tous qui est présumée constitue une dérive dangereuse pour l'état de droit."
* Edvige encore : réflexion de fond
"Le populisme pénal permet depuis six ans à l’UMP de remplacer l’antagonisme dominants/dominés, par le clivage coupables/ victimes."
 3 Citations et réactions de vous tous
* en général
* les riches
* liens entre nous
 
Lettre [alerte] N° 19 - JM Bérard -  8 septembre 2008 -
jean-michel.berard chez orange.fr remplacer chez par @

Vous faites partie d'une liste limitée d'amis, constituée de façon purement arbitraire,
dont je pense que peut-êtremes préoccupations sur l'avenir de la démocratie
et l'état de la société  (que ça ! ...) peuvent les intéresser.
Vous pouvez  sans problème demander à être rayé de la liste.
Diffusion libre et bienvenue. 
Réactions et contributions très bienvenues.
JM Bérard
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Plan de la lettre 
 
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
* C'est la rentrée, les affaires reprennent
* Place de l'internet dans le débat intellectuel
* Internet, militantisme, liberté, pauvreté d'esprit ?
"L’ère du tout puissant commentaire" est à nos portes, camarades.
 
2 Alerte Edvige
"Passer ainsi d'une société dans laquelle chacun est présumé innocent à une autre dans laquelle c'est la culpabilité de tous qui est présumée constitue une dérive dangereuse pour l'état de droit."
* Edvige encore : réflexion de fond
"Le populisme pénal permet depuis six ans à l’UMP de remplacer l’antagonisme dominants/dominés, par le clivage coupables/ victimes."
 
3 Citations et réactions de vous tous
* en général
* les riches
* liens entre nous
 
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L'un de vous a regretté le manque de clarté de la typographie. Dans ce numéro j'ai écrit en vert mes propres phrases, en noir les textes provenant de citations ou de contributions des lecteurs. Est-ce mieux ainsi ? (Question qui s'adresse surtout à celui de vous qui avait exprimé des regrets.)
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1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
 
C'est la rentrée, les affaires reprennent
 
Toute la semaine dernière, les cours des bourses du monde entier ont baissé fortement. Ce lundi matin 8 septembre 2008, hausse à nouveau. Et pourquoi, mon bon monsieur ? Parce que deux grands organismes financiers US utilisés pour stabiliser la crise financières ont été mis sous tutelle par le gouvernement, ce qui veut dire en clair qu'ils bénéficient de l'apport très massif de fonds publics. C'est le système libéral : il y a liberté du marché et concurrence tant que le capital fait du profit, il y a intervention de fonds d'état lorsque le capital perd. C'est une gestion du risque avisée... sauf peut-être pour les contribuables. Ce n'est pas un problème : d'une part ils n'y comprennent pas grand chose, d'autre part il suffit de ne pas leur dire.
Selon l'AFP "le sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac s'annonce comme l'un des renflouements par les pouvoirs publics de sociétés privées les plus coûteux jamais menés dans l'histoire de la finance mondiale. Il conduira à doubler la dette des USA".
 
Place de l'internet dans le débat intellectuel
 
Le site http://www.fabula.org/revue/document4195.php publie un article de Florian Louis intitulé "L'affaire Aristote : retour sur un emballement historiographico médiatique". F. Louis y relate la controverse intellectuelle et la polémique médiatique suscitées par la parution du livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, coll. "L’Univers Historique", 2008. (Merci à celle de vous qui m'a signalé ce site). La controverse porte sur le rôle attribué à l'Islam au Haut Moyen âge par Gouguenheim. Cf. l'article de F. Louis, lumineux et passionnant pour l'ignorant du sujet que je suis.
A l'intérieur de l'important débat sur le fond,  ce qui me passionne dans cet article est le rôle qu'ont joué la presse et l'internet pour créer, nourrir, entretenir la controverse, en des termes parfois éloignés du débat intellectuel. Cela n'a semble-t-il qu'un rapport lointain avec l'affaire Siné Val, et pourtant. Rapidité, effet d'emballement, campagnes menées par des sites manipulatoires ou hostiles, absence de droit à l'oubli sur internet, comment préserver dans tout cela la rigueur du débat ? Le débat a lieu sur la place publique, la majorité vote et dit la vérité sur Wikipédia. Tracer une limite entre la liberté d'expression et le pilori, c'est déjà  attenter à la liberté, et pourtant... Comment ne pas confondre débat argumenté et foire d'empoigne polémique ?
 
 
Extrait du texte de F. Louis, sur le fond du débat : "Pour parachever sa démonstration et ôter au monde musulman tout rôle dans la transmission à l’Occident de l’héritage culturel hellénique, S. Gouguenheim en vient finalement à disqualifier l’intermédiaire musulman en lui déniant la capacité même d’avoir joué ce rôle. A l’en croire en effet, et c’est bien là le cœur de ce qui a fait polémique, la religion musulmane serait, au contraire du christianisme, ontologiquement incompatible avec les valeurs de la culture grecque. [...] C’est précisément ce qui va vite nourrir les soupçons : était-il besoin pour établir les filiations culturelles endogènes à l’Europe d’en passer par une essentialisation outrancière du monde islamique ? Ce procédé et les longs développements du cinquième chapitre visant à légitimer le recours aux concepts de « racines » et d’ « identité » culturelles ne viseraient-ils pas plutôt des objectifs politiques très contemporains et bien moins avouables ?"
 
Encore un extrait de l'article de F. Louis, sur l'internet dans la recherche scientifique :
"La polémique illustre surtout la place croissante prise par l’internet dans la recherche historique et plus encore dans l’usage public de ses conclusions : que l’auteur l’ait ou non souhaité, le fait est que ses pages se sont trouvées publiées sur un site extrémiste, et que la blogosphère réactionnaire s’est empressée de voler à son secours dès lors que s’est déversé sur lui le flot critique de ses collègues médiévistes. Plus encore, il est à noter qu’une bonne partie de l’accusation –notamment la pétition des membres de l’ENS LSH- à son encontre repose sur plusieurs commentaires politiquement engagés postés sous son nom sur divers sites internet au cours des cinq dernières années, ce qui ne va pas sans poser la question de la frontière entre l’expression publique et l’expression privée du chercheur : peut-on conférer un même statut à un commentaire posté sur un blog ou un site de vente de livre qu’à un ouvrage publié par une grande maison d’édition parisienne ? Evidemment non. Doit-on pour autant en faire abstraction ? C’est de fait tout aussi évidemment impossible. On mesure par là en quoi l’affaire soulève des questions bien plus larges quant à la place de l’internet dans la pratique des chercheurs et dans l’utilisation plus ou moins judicieuse faite de leurs travaux par des groupes de pression et d’opinion particulièrement actifs sur la toile. Alors même que se multiplient les espaces virtuels de construction et de discussion du savoir scientifique (sites de critique, listes de diffusion, forums, wiki) offrant de nouvelles opportunités aux chercheurs dans l’élaboration de leurs travaux, apparaissent les risques que ces pratiques nouvelles engendrent, à commencer par celui de la précipitation, aggravé par la non maîtrise des données une fois celles-ci divulguées : alors que l’internet est surtout utilisé par les chercheurs comme un lieu d’échange et de construction de savoir, donc comme une étape par nature provisoire, le fait est que des traces en demeurent qui peuvent tel un boomerang revenir parasiter le résultat final au gré des usages qui en sont faits par des personnes plus ou moins bien intentionnées." Fin de citation.
 
Internet, militantisme, liberté, pauvreté d'esprit ?
 
Dans le prolongement des réflexions ci-dessus, deux articles attirent mon attention sur le rôle de l'internet dans le débat intellectuel, et sa place dans le système militant.
 
Sur son site officielhttp://www.manularcenet.com/blog/?p=856 Manu Larcenet  publie un article intitulé "Web 2.0". L'auteur est très sensible au respect de ses droits. Je ne publie donc que de courts extraits, vous renvoyant pour la lecture complète au site lui-même.
" Jusqu’à hier matin, je ne savais pas que la déferlante de ce que j’appelle poliment « l’étalage obscène et sentencieux des opinions amateurs » portait un nom… Vous savez, cette mode qui consiste à faire intervenir l’internaute à tout bout de champs et pour n’importe quoi… Eh bien ça s’appelle « le Web 2.0 ». Ca a un nom. Me voilà rassuré.
Je le dis tout net, le Web 2.0 est une escroquerie. Franchement, qui a lancé cette mode burlesque qui dit que chacun se doit d’avoir un avis sur tout et qu’en sus, il est nécessaire de l’exprimer publiquement sous couvert de citoyenneté et d’anonymat ?
En quelques années qui resteront une tache sombres dans l’histoire pourtant déjà chargée de l’humanité, l’étalage de sa propre pauvreté d’esprit est devenu le comble de la modernité…
Quelle drôle idée de quémander l’avis du quidam sur les ramifications ethno-philosophiques des conflits orientaux modernes ou sur la physique ondulatoire appliquée à la matière fissile ? Soyons sérieux deux secondes. Si l’on persuade le passant que son opinion sur des sujets qu’il ne maîtrise pas est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie et à son intérêt supérieur, c’est que c’est la fin…
« Monde de merde », comme disait le Prophète*.
« L’ère du tout puissant commentaire » est à nos portes, camarades ! Les incompétents se ruent à l’assaut des places fortes de la culture, de l’information, des sciences, de la politique, de la philosophie, de l’Art, même ! Et ils vont gagner, bien sûr, parce qu’ils sont les plus nombreux!
Camarades, on veut nous faire gober que la fin des « spécialistes » entrainera l’avènement des petites gens, que nos avis compteront enfin et que c’en sera fini des élites! Mensonges! Illusions que tout ça, bordel ! Hubert Reeves sera toujours plus pertinent en matière d’astrophysique que moi.
Si si.Tiens, puisqu’on en parle, il arrivera le moment où le même Hubert Reeves sera renvoyé dans les cordes par Monsieur Zobi123 d’un cinglant «  LOL! C pa paske G pas de 10plomes que je doigt me taire! C sa, la liberT d’espretion, sale sarkoziste ». Et la foule applaudira son hérault parce qu’il aura réduit le savant à rien, c’est à dire à la portée de chacun."
 
Pour ma part, j'approuve entièrement, en particulier le passage sur les spécialistes. Sauf que l'on tombe toujours sur le même paradoxe logique : qui décide que ce qu'écrivent Manu Larcenet ou JM Bérard n'est pas pauvre d'esprit ? Faut-il créer une police de la pensée pour limiter l'expression des cons et des pauvres d'esprit ? Qui en fera partie ?
 
Dans un autre registre, l'un de vous me transmet un article de Thierry Leclère : "Contre edvige, c'est le web qui a lancé la mobilisation". Autrement dit : il n'y a pas que des conneries sur le web 2.0.
 
Cette lettre [alerte] est déjà assez longue. A vous de cliquer pour lire.
 
Après tout cela, on peut toujours sortir par une pirouette du genre "Comme la langue d'Esope, l'internet est la meilleure et la pire des choses". Mais il vaut mieux ne pas. On constaterait à cette occasion que sur ce point la réputation d'Esope est abusive : se forger une réputation au fil des siècles sur une remarque fondée sur un jeu de mots, qui n'apporte aucune analyse...
 
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2 Alerte Edvige
 
"On donne à tout cela des noms gentils, mais attention, edvige n'est pas une copine de vacances". Le président de la Ligue des Droits de l'Homme.
 
La pétition "Non à edvige" lancée par plusieurs associations a recueilli, le 3 septembre 2008,  98299 signatures, dont 705 signatures d'organisations, partis et syndicats.
Peut-être la période estivale a-t-elle fait que vous réfléchissez à l'opportunité de signer ?
Le site est http://nonaedvige.ras.eu.org/, à vous de voir, mais ne tardez pas.
 
La nouveauté de cette rentrée est que la mobilisation, très large mais jusque là limitée aux groupes militants, gagne maintenant la classe politique. De plus, la presse (du moins celle que je lis) est de plus en plus attentive à ces questions de fichage généralisé. Cette semaine, edvige a fait la une du Monde et la une de Libération.
 
Extraits de l'éditorial du journal "Le Monde", 3 septembre 2008,
" Le décret créant edvige a été publié le 27 juin 2008. C'est un fichier de police destiné à collecter des informations sur toute personne physique ou morale ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, mais aussi sur toute personne à partir de l'âge de 13 ans susceptible de porter atteinte à l'ordre public."
J'ai beau être au courant, à chaque fois que je tape ou que je lis cela, je suis effaré... JM B
Suite des extraits de l'éditorial : "Tous les partis de gauche mais aussi le modem de F. Bayrou dénoncent désormais cette politique gouvernementale de fichage généralisé qui pourrait rapidement concerner plusieurs millions de français. [...] La défense de l'ordre public ne saurait justifier pareille menace sur les libertés individuelles. [...] La mobilisation contre edvige est d'autant plus justifiée que ce nouveau système d'information sur les Français [Les français ?  Pas seulement. JM B] n'est que le dernier en date. Depuis quelques années les fichiers de police se sont multipliés, sans parler de la vidéo surveillance. Passer ainsi d'une société dans laquelle chacun est présumé innocent à une autre dans laquelle c'est la culpabilité de tous quie st présumée constitue une dérive dangereuse pour l'état de droit. " Fin des extraits de l'éditorial
 
Les réactions des personnes avec lesquels j'aborde ce sujet sont souvent étonnantes : "que me fait d'être fiché, je n'ai rien à me reprocher". C'est ainsi que dans une indifférence jusque là assez générale de l'opinion publique se développe un fichage généralisé, et en particulier un fichage d'Etat, par la multiplication des fichiers de police et de gendarmerie. Edvige est la cascade qui fait déborder le vase, mais des projets encore plus graves (Cristina) sont en préparation dans le plus complet black out.
 
Etonnant aussi la réaction des hommes politiques blasés, qui pourtant seront largement fichés par edvige : ce n'est pas grave, les RG et la DST faisaient déjà cela. C'est doublement inconscient. D'une part ce n'est pas parce que les RG et la DST le faisaient, artisanalement, sans que nous le sachions, que nous devons l'accepter maintenant que nous le savons. De plus il y aura dans edvige beaucoup plus de renseignements que dans les fichiers précédents puisque les orientations sexuelles pourront dans certains cas être fichés, de même que des renseignements concernant la santé. De plus, toute personne à partir de treize ans "susceptible de porter atteinte à l'ordre public" pourra être fichée, ce qui permet, avec une définition aussi vague, de ficher à peu près n'importe  qui. Contrairement au vœu de la CNIL, les données pourront être conservées pendant un temps très long, contrevenant ainsi au "droit à l'oubli". 
 
Rappelons que la commission nationale de l'informatique et des libertés (dont le président est pourtant sénateurs UMP) a émis de vives réserves sur edvige. Le gouvernement n'est pas tenu de suivre son avis.
 
Edvige encore : réflexion de fond
 
Le blog claris est rédigé en particulier par des juristes et présente des analyses sur tout un ensemble de sujets de société.
Le 16 juillet 2008, Claris pointe vers le site de la fondation Copernic, avec un important article de Evelyne Sire-Marin, magistrat, à propos de edvige.
 
Je ne sais si j'en ai tout à fait le droit, mais je reproduis ici l'intégralité de l'article.
 

"Un blessé grave sur le trottoir, victime en outre d’insultes antisémites. Rachida Dati avait immédiatement annoncé qu’elle allait créer un fichier des "bandes". Et elle en profite pour l’étendre aux bandes... de militants politiques ou syndicaux.

Comme d’habitude, on se saisit d’un fait divers malheureusement banal pour donner à la police des pouvoirs disproportionnés : des dizaines d’affaires identiques sont jugées à Paris chaque année, des jeunes de 14 à 20 ans s’affrontant à coup de démonte- pneus et de gazeuses, au motif qu’ils n’habitent pas la même cité, alors qu’ils vivent le même désarroi social et les mêmes discriminations raciales. Le phénomène n’est pas nouveau, il existait déjà dans les années 1960, avec les "blousons noirs". Mais depuis 2002, l’UMP s’est employée à répondre en termes exclusivement sécuritaires à ces violences qui expriment avant tout une déliaison collective, une décomposition du tissu social liée au chômage de masse des jeunes des cités.

Chaque fait divers a été l’occasion pour Nicolas Sarkozy de faire voter un nouveau texte répressif, dont l’objectif est toujours le même. Stigmatiser comme délinquante une partie de la population considérée comme inintégrable, inemployable, et dangereuse : les jeunes des banlieues, les SDF, les prostituées, les malades mentaux, les étrangers sans papiers..., et maintenant les citoyens engagés, les ficher, et les punir.

Comme d’habitude, on claironne une nouvelle mesure répressive, alors que la police et la justice sont déjà parfaitement armées, et même bien trop, sur le plan du fichage. Ainsi 16 lois sécuritaires ont été votées depuis 2002 (3), afin de donner toujours plus de pouvoirs à la police pour contrôler les identités, placer en garde à vue (4), effectuer des perquisitions, poser des écoutes téléphoniques et des caméras de vidéo-surveillance.

De très nombreux fichiers policiers ont été créés, dont le STIC (5), qui contient 7,5 millions de fiches de "mis en cause", conservées pendant 20 ans, et le FNAEG (6), qui n’est absolument pas un fichier spécialisé pour les délinquants sexuels, puisqu’y figurent pendant 25 ans les personnes interpellées pour vols, recel, dégradations et violences volontaires, outrages et rébellion.. C’est ce fichier FNAEG qui vaut à des nombreux militants le recueil de leurs empreintes ADN, sous peine d’être condamnés à un an d’emprisonnement.

Le point commun de tous ces fichiers de police est de contenir des fiches de mineurs et de personnes simplement soupçonnées par la police, dont beaucoup n’ont jamais été condamnées. Ainsi, s’agissant des bandes, il existait déjà, avant l’annonce de la création d’un fichier spécial, la possibilité de retrouver les mineurs ou les majeurs membres de groupes violents avec le STIC, le FNAEG... et le fichier "CANONGE", fichier policier légalisé par la loi 12 décembre 2005. Il permet à tout service de police judiciaire de classer par caractéristiques les personnes interpellées dans les années précédentes ; sur un simple clic d’ordinateur, la police peut retrouver une personne déjà connue, correspondant à un critère précis. Par exemple, si une victime a remarqué que son agresseur portait des lunettes, ou la barbe, ou avait une tache sur le visage, ou telle couleur de peau, la police fait défiler sur l’écran des dizaines de photographies comportant ce signe particulier, avec une légende concernant les antécédents de la personne, Evidemment , le critère d’appartenance à une "bande"peut être lui aussi être entré dans le fichier Canonge, comme tous les autres critères, et sélectionné en cas de bagarres pour rechercher les auteurs. Si tant est, d’ailleurs, que ce critère ait un sens, alors qu’un adolescent peut très bien fréquenter des copains de son quartier sans pour autant être dans une bande organisée !

C’est ce que n’avaient pas vraiment compris les "Renseignements Généraux"(7) , qui avaient tiré de fumeuses explications "ethniques"des émeutes des banlieues en 2005, dans un rapport qui leur valu une plainte de SOS racisme.

C’est ainsi des principes tels que la présomption d’innocence, le droit à la protection de ses données personnelles, le droit à la sûreté (8) sont déjà fortement mis à mal par l’existence d’ innombrables fichiers de police (9), au nom de la "sécurité".

Pourquoi donc créer ce nouveau fichier EDVIGE, si ce n’est pour permettre à la Garde des Sceaux, Rachida Dati, de réoccuper l’espace médiatique qu’elle a perdu, en faisant d’une pierre deux coups : le fichage des mineurs des cités et celui des militants ? L’utilisation politique de la sécurité et de l’idéologie victimaire est un ressort constant de ce gouvernement, dès qu’il s’agit de masquer le tragique échec des promesses présidentielles en matière de chômage et de pouvoir d’achat.

Le populisme pénal permet depuis 6 ans à l’UMP de remplacer l’antagonisme dominants/dominés, par le clivage coupables/ victimes. Même les grèves donnent lieu à cette analyse, les usagers étant les otages-victimes et les grévistes étant les coupables. Chacun est ainsi renvoyé à sa faute et à sa responsabilité individuelle, qu’il s‘agisse de problèmes de délinquance, de santé publique, d’éducation, d’immigration ou d’emploi.

Le véritable objet des lois sécuritaires est bien là : Il ne s’agit pas de lutter réellement contre la délinquance. Les chiffres calamiteux de la hausse des violences contre les personnes attestent d’ailleurs de l’inefficacité totale de la politique de tolérance zéro du gouvernement (10).

Le bénéfice idéologique recherché de cette idéologie sécuritaire est bien de masquer les réelles inégalités économiques et sociales de ce pays, la police étant utilisée comme le bras armé de la substitution de l’état pénal à l’état social.

Notes :

(1) "Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale" .

(2) CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés

(3) Voici la liste des 16 lois sécuritaires votées depuis 2002, auxquelles il faut ajouter deux autres textes pénaux de caractère technique sur les juges de proximité et l’équilibre de la procédure pénale : Loi programmation de la justice du 3 août 2002/ Loi Perben 1 du 9 septembre 2002/ loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la "sécurité intérieure"/ Loi sur l’immigration du 26 novembre 2003/ Loi sur l’asile 10 décembre 2003/ loi Perben 2, "criminalité organisée" du 9 mars 2004/ Loi 26 janvier 2005 sur les juges proximité/ Loi 18 novembre 2005 sur la déclaration de l’état d’urgence/ Loi 12 décembre 2005 sur la récidive/ Loi 23 janvier 2006 contre le terrorisme / Loi 31 mars 2006 ," égalité des chances"/ Loi immigration 26 juillet 2006 " immigration choisie"/ Loi prévention délinquance 15 mars 2007 / Loi récidive 10 août 2007/ Loi Hortefeux 20 novembre 07 sur les étrangers (tests ADN )/ Loi rétention de sûreté du 25 février 2008.

(4) Le nombre de gardes à vue a doublé depuis 2000 : 562 000 personnes ont été gardées à vue en 2007. Ce sont surtout les étrangers en situation irrégulière qui sont concernés par cette augmentation exponentielle des gardes à vue (ils représentent le quart des gardes à vue) et les usagers de stupéfiants , cannabis et crack surtout(43 000 en 2007 !)

(5) STIC : système de traitement des infractions constatées ; il est consulté 30 000 fois par jour (Le Monde 2007)

(6) FNAEG : fichier National automatisé des empreintes génétiques, créé par la loi Vaillant du 15 nov. 2001, dite "sécurité quotidienne", et étendu par la loi sécurité intérieure du 18 mars 2003. Il contient déjà 500 000 ADN.

(7) Les renseignements généraux ont fusionné avec la DST, au sein de la nouvelle DCRI (Direction Centrale du renseignement Intérieur), depuis le 1er juillet 2008 . On peut d’ailleurs se demander si le fichier Edvige n’est pas créé afin de donner un puissant outil de surveillance à ce nouveau service concentrant deux polices politiques jusqu’ici concurrentes.

(8) La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 n’a jamais proclamé le droit à la sécurité, mais le droit à la sûreté, c’est à dire le droit de ne pas subir l’arbitraire de l’état, ce qui est bien différent.

(9) 33 Fichiers de police et de gendarmerie ont été recensés en 2006 par Alain BAUER, président de Observatoire national de la délinquance(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000885/index.shtml.

(10) Les violences contre les personnes ont augmentées de 14,1% depuis 2005 (sur la Seine St Denis la délinquance a augmenté de 7,6 % depuis janvier 2006), chiffres de l’observatoire national de la délinquance." Fin de l'article de E. Sire-Marin

Malheureusement je ne crois pas que les raisons de la mise en place de edvige se limitent au positionnement de Mme Dati dans la majorité.
 
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3 Citations et réactions de vous tous
 
J'ai manqué de rigueur en changeant d'ordinateur et ai perdu la plupart des messages reçus en juillet et août. Si vous avez envoyé un texte dont vous souhaitiez qu'il arrive (!), merci de me le renvoyer.
 
En général
 
Réaction de l'une de vous : "C’est encore le mot qui caractérise le mieux la situation actuelle, le cynisme est total, je le crains."
 
Les riches
 
Réflexion de l'un de vous
 
"Comme le remarque Jacques Julliard tous les hebdos ont fait un sujet cet été sur les hyper riches, les "chambres" d'hôtel à 11000 euros la nuit à Paris, etc.
Sans revenir à l'époque où il était bien porté de signer par des pseudos tels que "haine de classe" les contributions de lecteurs à tel journal maoïste, il ne me déplairait pas que l'on propose plus systématiquement à l'indignation des pauvres l'égoïsme insolent de ces riches. Décidément, le livre de Kempf "Comment les riches détruisent la planète" me paraît plus que jamais à l'ordre du jour.
Extraits, élaborés par l'auteur de cette contribution, des thèses de Kempf :
- L'oligarchie prédatrice est l'agent principal de la crise, par ses décisions (faire accepter l'injustice par le mirage d'une croissance destructrice) et par son influence (attraction culturelle de son mode de vie fondé sur le gaspillage). L'idée importante est que "les riches détruisent la planète" encore plus par le modèle qu'ils imposent à la société que par leur surconsommation.
- Plus une société est inégalitaire, moins les services collectifs sont assurés. Les pauvres sont beaucoup plus touchés par la crise écologique. Pour réduire la pauvreté, il faut abaisser les riches. [Remarque de l'auteur de cette contribution : "augmentez nos salaires" mot d'ordre principal des luttes sociales, ne devrait-il pas être complété par des mots d'ordres et des thèmes d'action "d'abaissement des riches" ? Pourquoi jamais de manifs contre tel ou tel parachute doré ou rétribution scandaleuse ?"]
Chaque classe est alors mue par l'envie et la rivalité avec celle immédiatement supérieure. C'est ainsi que d'imitation en imitation, le mode de vie de la "classe de loisir" s'impose comme modèle à toute la société. En pratique une nomenklatura capitaliste, tenant solidement les leviers du pouvoir, adopte, et diffuse vers le bas, les canons du mode de consommation des hyper-riches ... tout en verrouillant tout accès de la classe moyenne à leur caste.
Le phénomène d'imitation explique que plus le pays est inégalitaire, plus le temps de travail est élevé (il faut accroître son revenu pour rivaliser!). Exemple, selon Kempf : le temps de travail US, très supérieur à celui des pays scandinaves. [peut-être pas évident, si on y regarde de près.]

Taxer l'oligarchie aurait donc un double effet positif : améliorer les conditions de vie en limitant cette course, et fournir des fonds à des projets sociaux." Fin du résumé des thèses de Kempf, fin de la contribution de l'un de vous.
Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf, Seuil l'Histoire immédiate.

 Les liens entre nous

En cours : signature de l'appel contre le fichier informatique edvige, http://www.nonaedvige.ras.eu.org/
Il y a un peu urgence, si vous souhaitez signer faites-le maintenant.
 
* Claris
* La vie des idées
* Education financière
* Prochoix, Caroline Fourest
* La revue Ravages, éditée par l'association "Les amoureux des genres humains" est en vente sur commande dans les librairies.
* Ligue contre la violence routière
* Agoravox, le média citoyen
 
Je ne cite plus le site de François Desouche, l'une de vous m'ayant fait remarquer que citer c'est aussi propager. Je ne sais pas. Peut-on combattre ce dont on ignore l'existence ?
 
Siné lance un nouvel hebdo, qui sera aussi dans les kiosques le mercredi, avec Onfray, Bedos, Gelück et tout un tas de gens. Vive la pluralité de la presse. Espérant toutefois que le duel ne conduise pas à la mort des protagonistes. Il parait que, du temps des mousquetaires, le roi avait interdit les duels pour éviter que les nobles se massacrent entre eux. (Cela n'est pas un vœu adressé à notre président pour qu'il régente davantage la presse.)