Le numéro de avril mai juin 2008 de Pondération, bulletin de la
ligue contre la violence routière, est consacré à la vitesse de circulation des
véhicules.
Je pourrais à juste titre reprendre mon petit leitmotiv un peu répétitif,
ce qui est normal pour un leitmotiv : pour survivre, le Moloch ultralibéral doit
tuer ses propres enfants. Si l'on construit des voitures qui vont moins vite,
on les vendra moins : tuer les victimes de la route, ou mettre au chômage des
millions de personnes ?
Il est intéressant de regarder aussi sur quels ressorts internes cela
joue : le souci de compétition, le désir d'être le meilleur, le souci de gagner
du temps, ressorts sur lesquels repose une partie des idées dont le libéralisme
a besoin. Voir aussi les interprétations vaguement freudiennes venues des USA :
grosse voiture, petite bite, etc.
Ce qui me frappe, c'est la mauvaise foi dont tout un chacun (y compris moi)
fait preuve, y compris à l'égard de soi-même, sur ces questions :
- "la société n'a pas à se mêler de mes comportements personnels". Certes,
mais au volant on peut tuer d'autres que soi, et de toutes façons la sécu
(collective) payera les dégâts physiques ; quant aux sociétés d'assurance, pas
de problème, elles sont gagnantes de toute façon ;
- "ce n'est pas moi qui suis dangereux au volant", ce sont, selon le cas,
les automobilistes jeunes, âgés, conduisant de vieilles voitures, conduisant des
voitures rapides, ayant fumé du haschich (on ferait mieux de s'en prendre à eux
plutôt que persécuter ceux qui boivent de l'alcool), les motards, les vélos. En
tout cas les études sont formelles quant aux ravages d'une vitesse de
circulation excessive, quel que soit l'usager ;
- "c'est la faute de
l'Etat", routes mal entretenues, profils des virages mal calculés, etc. Le
gouvernement a privatisé inconsidérément les sociétés d'autoroutes, qui
faisaient du bénéfice, et qui rapportaient beaucoup à l'Etat. Quant aux routes,
peut-on à la fois ne pas vouloir d'impôts sur l'essence, penser qu'il y a trop
d'impôts en général, privatiser ce qui rapporte et exiger que la collectivité
construise de meilleures routes ? Qui va payer ?
- "du fait des radars, les automobilistes sont devenus la vache à lait de
l'état". Je ne sais d'où vient l'expression "vache à lait", qui me fait penser à
Pierre Poujade. On peut discuter sur la répartition des impôts obligatoires, et
penser par exemple que les classes moyennes sont imposées excessivement, ou
faire une autre analyse. Mais pour les radars... Qui diable oblige qui que ce
soit à aller trop vite ? C'est comme si l'on disait que le PMU et la loterie
nationale sont des vaches à lait de l'Etat. C'est vrai, mais personne n'est
obligé de prendre un billet.
- "une voiture a fauché et tué trois enfants". N'avait-elle pas de
conducteur ?
La ligue contre la violence routière avait été fondée suite à la mort d'une
jeune fille dont la mère, Mme Jurgensen, a fondé l'association. .
Quelques extraits de la revue :
* un article remarquable de Claude Got "Le nécessaire débat sur la
vitesse". Claude Got, professeur de médecine, peu médiatique, démonte avec
rigueur depuis des années les faux arguments sur l'accidentologie. Il confirme
que, malgré les difficultés des études, celles réalisées au cours des 45
dernières années ont des résultats concordants et indiscutables. Une réduction
de 10% de la vitesse moyenne de circulation réduit de 40% la mortalité sur les
routes. (Je n'ai pas assez de place pour exposer l'argumentation, mais si
vous êtes intéressé je vous l'enverrai).
Claude Got conclut brutalement que, en fait, si quelqu'un est totalement
convaincu qu'il a raison de conduire vite, aucun argument rationnel ne peut le
faire changer d'avis.
* petite remarque humoristique de la revue : en 1991, la revue Sciences
et Vie (sciences...) affirmait que les limitations de vitesse étaient
inefficaces et que, si on les maintenait, on ne pourrait jamais descendre en
dessous de 10 000 morts par an. 17 ans après, les limitations ont été
maintenues, on a mis des radars, et le nombre de morts a brutalement baissé.
Sciences et vie, "science" sans rigueur méthodologique, s'appuyant sur le "bon
sens".
J'ai été sur ce point plus long qu'à l'habitude dans les articles usuels de
cette lettre, mais je n'avais encore, je crois, pas abordé ce thème.
Globalisation, le
pire est à venir
Globalisation, le pire est à venir, Patrick Artus et
Marie-Paule Virard, Ed. La Découverte, 2008, 12,50 euros, 165
pages
Citation de la présentation du livre :
Patrick Artus est directeur de la recherche de
Natixis, professeur à l'école polytechnique et professeur associé à l'université
de Paris I Panthéon Sorbonne
Marie-Paule Virard, journaliste, a été
rédactrice en chef du magazine Enjeux les Echos
Ils ont déjà publié ensemble à La Découverte
deux livres à succès : Le capitalisme est en train de s'autodétruire et
Comment nous avons ruiné nos enfants.
Citation de la quatrième de couverture
:
"Depuis la chute du mur, la globalisation a
déchainé des forces d'autant plus indomptables qu'elles ne sont pas régulées de
manière coopérative et qu'elles sont devenues le champ-clos de tous les
égoïsmes. En 2007, la crise des subprimes a mis en lumière l'extrême fragilité
du système financier international : des milliers de milliards de dollars se
sont évaporés en quelques jours. Cette crise, manifestation de la folie d'un
monde où l'argent coule à flots, n'est sans doute que le premier signe
annonciateur de plus grands bouleversements, dans tous les domaines.
Car, expliquent les auteurs [...] le pire est à
venir de la conjonction de cinq caractéristiques majeures de la globalisation
: une machine inégalitaire qui mine les tissus sociaux et attise les tensions
protectionnistes ; un chaudron qui brûle les ressources rares, encourage les
politiques d'accaparement et accélère le réchauffement de la planète ; une
machine à inonder le monde de liquidités et à encourager l'irresponsabilité
bancaire ; un casino où s'expriment tous les excès du capitalisme financier ;
une centrifugeuse qui peut faire exploser l'Europe.
Ce diagnostic lucide et sombre vaut aussi comme
une avertissement aux responsables politiques, économiques et à tous les
citoyens. Des mesures radicales sont nécessaires pour enrayer la course folle de
la globalisation, cette énorme machine à prendre du revenu aux uns pour le
redistribuer aux autres." Fin de la citation
P. Arthus n'est pas un militant
altermondialiste, ni, comme moi, un ignorant en économie. Constatons que c'est
maintenant de l'intérieur même du système que viennent les
alertes.
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2 Alerte : le fichage d'Etat va encore plus vite qu'on ne
le pense
Sources : diverses, concordantes, et de plus en plus
inquiètes
Des articles de plus en plus nombreux (Le Monde, Libé,
Rue89, et certainement d'autres dans des journaux que je ne lis pas) s'alarment
de la multiplication des fichiers nominatifs mis en place par l'Etat.
Usuellement, tout cela se faisait dans la plus totale indifférence de "l'opinion
publique" : "je n'ai rien à me reprocher, il est utile de rechercher les
criminels". Depuis quelques temps, la presse nationale commence à s'alarmer.
Quant aux associations, Ligue des droits de l'homme, Ligue de l'enseignement,
CREIS, IRIS (je vous passe la signification des sigles) elles sont conduites,
tant la création des fichiers va vite, à lancer de multiples pétitions, recours
et actions.
Il semble vraiment que l'on entre dans une société où, à
tout hasard, l'Etat va ficher tout le monde et tout savoir sur chacun. Comme
cela, le jour où quelqu'un commettra un délit, il sera déjà dans la machine. On
se préoccupe peu de toutes les atteintes à la vie privée et à la démocratie que
ce fichage peut engendrer.
Le fichier qui en ce moment fait l'objet d'une pétition
largement signée (53 644 signatures dont 499 associations, collectifs, syndicats
et partis politiques, le 27 juillet), est le fichier Edvige. http://nonaedvige.ras.eu.org/
Des services de police (DST et renseignements généraux)
fusionnent, on doit les autoriser à créer un nouveau fichier. Entre autres
joyeusetés, Edvige permet aux services concernés de ficher dès l'âge de 13 ans
les personnes "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public". On voit bien
l'immense danger de ce fichier : quelle est la définition de "susceptible de
porter atteinte à l'ordre public", et dès 13 ans ? La notion est tellement floue
qu'elle peut concerner absolument n'importe qui. A l'époque des nazis, les
juifs, les homosexuels et les gitans portaient atteinte à l'ordre public, du
simple fait de leur qualité. En Italie en ce moment (dans l'union européenne),
les roms aussi, du simple fait d'être roms, portent atteinte à l'ordre public.
Le fait d'être végétarien, syndicaliste, altermondialiste, communiste, d'habiter
tel quartier, d'être immigré de la septième génération porte-t-il atteinte à
l'ordre public ? (Bon, d'accord, communiste n'est pas un bon exemple, il y en a
de moins en moins sans même que la police s'en mêle). Edvige permettra aussi de
ficher les responsables politiques ou syndicaux, avec une grande quantité de
données personnelles.
Malgré la mobilisation contre edvige se préparent
discrètement des coups au moins aussi durs : le ministre de l'intérieur prépare
une loi qui permettra d'espionner tous les échanges faits à partir d'un
ordinateur personnel désigné. La liste des soupçons de délit qui permettront cet
espionnage est si vaste qu'elle pourra facilement concerner un grand nombre de
personnes. Bien sûr, les intéressés ne seront pas informés. En Allemagne, la
cour constitutionnelle a refusé une telle loi. On peut craindre que notre
conseil constitutionnel, pas très brillant dans sa décision sur le fichage ADN,
soit moins rigoureux que la cour allemande.
En préparation aussi, selon Le Monde, le fichier
Cristina, classé secret défense, contiendrait des données sur les personnes
fichées, leurs proches et leurs relations. Comme c'est secret défense, on ne
peut rien en savoir. Quant-au logiciel Ardoise, renseigné par la police et la
gendarmerie, il devait contenir des renseignements sur les orientations
sexuelles et syndicales des personnes fichées. Des policiers démocrates, formés
à l'utilisation de ce logiciel, ont alerté leurs syndicat. La Ministre a dit
qu'elle retirait ce projet, mais du coup on ne sait plus ce qu'il est
devenu.
Rappelons simplement que, selon la Commission nationale de
l'informatique et des libertés, dans le fichier de la police (STIC devenu
Ardoise), 25% des renseignements sont erronés. Y figurent par exemple des
personnes acquittées lors de leur procès, que l'on a "oublié" de retirer du
fichier. Le fait de figurer dans STIC peut entrainer, entre autres, des refus
d'emploi.
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