Lettre [alerte] - 2 mai 2008

Plan de la lettre :
 
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
Dictionnaire de la novlangue
Développons l'Humain ! Les professeurs virtuels et les élèves réels
 
2 Alerte
Big Brother prend une forme réticulaire, nous nous surveillons les uns les autres
L'économie au quotidien
3 Citations et réactions
Vie et mort : contribution du philosophe J. Ricot au contenu de cette lettre. Tout particulièrement signalé.
Réaction de personnes membres de la liste
"Voici quelques critères de base qui permettent de reconnaitre un ennemi :
L'ennemi est bête, il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui. J'en ris encore.
L'ennemi se déguise parfois en géranium, mais on ne peut pas s'y tromper : le géranium est à nos fenêtres alors que l'ennemi est à nos portes."  Pierre Desproges
Conseils bien utiles dans notre société de méfiance, de fichage généralisés et de compétition, où chacun doit devenir l'ennemi de l'autre.
Autant reconnaitre qui est qui. Notons que Desproges ne dit rien  sur le muguet.
 
Vous faites partie d'une liste de 16 amis, constituée de façon purement arbitraire,  dont je pense que peut-être mes préoccupations sur l'avenir de la démocratie et l'état de la société  (que ça ! ...) peuvent les intéresser.
Les messages sont repérés par [alerte] dans l'objet, ce qui vous permet de ne pas les lire. Vous pouvez aussi sans problème demander à être rayé de la liste.
Réactions ou contributions bienvenues. Diffusion libre et bienvenue.
JM Bérard
 
Plan de la lettre :
 
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
 
Dictionnaire de la novlangue
Développons l'Humain ! Les professeurs virtuels et les élèves réels
 
2 Alerte
 
Big Brother prend une forme réticulaire, nous nous surveillons les uns les autres
L'économie au quotidien
 
3 Citations et réactions
Vie et mort : contribution du philosophe J. Ricot au contenu de cette lettre. Tout particulièrement signalé.
Réaction de personnes membres de la liste
 
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Au fil des jours, des lectures et des navigations
 
Dictionnaire de la novlangue
Peut-être en nous y mettant tous pouvons-nous enrichir le dictionnaire de la novlangue ?
Bien sûr, ce n'est drôle que si c'est vraiment lu ou entendu...
Français classique : supprimer 6000 emplois dans l'armée.
Traduction en novlangue : plan d'amélioration des conditions de vie des militaires.  (authentique, sur France-Inter)
En plus, c'est contradictoire : on embauche les militaires pour qu'ils donnent leur vie pour la Nation, pas pour améliorer leurs conditions de vie... Si l'on supprime 6000 emplois, cela fera donc 6000 personnes qui ne seront pas obligées d'aller se faire tuer en notre nom. Voir le très beau film "Beaufort" sur l'inanité de certaines guerres, et le très beau film "Les citronniers" sur l'inhumanité de certains conflits.
 
Développons l'Humain !
Les professeurs virtuels réagiront aux émotions des élèves.
Synthèse d'un article paru dans "Le Monde" des 20-21 avril, signé Sophie Blitman, sous-titré "Vu de l'université Massey, Auckland, Nouvelle Zélande". 
Un professeur virtuel, Eve, a été créé. Elle évolue sur l'écran, a des cheveux courts et un survêtement de sport et est capable de détecter avec une webcam les réactions de son élève et d'adapter sa pédagogie. Le système fonctionne grâce à une base de données de 3000 vidéos, où ont été enregistrées et analysées les expressions et les paroles correspondant à l'angoisse, la colère, la joie. Le logiciel peut même détecter les élèves qui trichent en comptant sur leurs doigts. Eve pourra répondre avec un sourire et une expression adéquate, et changer sa progression en fonction des réactions. Ce système est l'aboutissement d'un travail de 7 ans.  Eve pourrait intervenir d'ici un an ou deux dans des écoles. Elle pourrait même être sensible aux intonations de la voix, et au pouls de l'élève, capté grâce à la souris.
Rien dans l'article ne permet de penser qu'il s'agisse de fiction.  Peut-être dans sept ans la même université nous annoncera-t-elle qu'elle a mis au point des élèves virtuels qui réagissent aux émotions des professeurs réels. Dans 14 ans, les élèves et les professeurs seront virtuels. Comme le dit Le chat, héros de Philippe Gelück : j'ai acheté deux jeux d'échecs électroniques et les ai connectés l'un à l'autre, comme cela je suis tranquille.
 
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Alerte
 
Big Brother prend une forme réticulaire, nous nous surveillons les uns les autres
 
Article du journal Le Monde, 10 avril 2008. Titre : de l'importance de bien gérer sa cyber-réputation ; auteur : Géraldine Bordère
Synthèse de l'article : donner son avis sur un forum, acheter des produits sur e-Bay, partager une vidéo sur daily motion, s'inscrire sur un site de rencontres sont autant de traces apparemment anodines, mais qui en réalité forgent une "réputation numérique".  Cette réputation est constituée non seulement des contributions volontaires des individus, mais aussi ce que disent les autres de cet individu. Ces traces restent figées pour l'éternité.  D'où l'importance de surveiller les éléments de cette réputation, en effectuant des contrôles régulièrement (sur Google, par exemple), conseil donné par S. Brossard, directeur commercial de B&B communication.  Pour O. Zara, l'identité numérique est tout aussi importante que sa vraie identité, et tout aussi dangereuse. Dans la vie, il est facile (dit-il) de se refaire une réputation en changeant de travail, de ville. C'est beaucoup plus compliqué sur internet. Qu'on le veuille ou non, notre réputation est maintenant mondiale et publique. Et si les paroles s'envolent, les écrits restent. La plupart des recruteurs utilisent maintenant les données présentes sur internet pour sélectionner les candidats : "Facebook, par exemple, est une façon de creuser le profil du candidat en découvrant son univers et ses hobbies." L'Oréal ne le fait pas, pour des raisons déontologiques.
Certains pensent même que, actuellement, le pire n'est pas d'avoir une mauvaise réputation sur internet, mais de ne pas en avoir.
Pour être heureux, on ne peut plus vivre caché. On ne peut d'ailleurs pas non plus vivre totalement exposé. Dilemme...
www.amomenti.com  site de S. Brossard
 
L'économie au quotidien
 
Le financier américain John Paulson a gagné 3 milliards de dollars en spéculant de façon avisée sur les  subprimes, celles-là même qui ont ruiné de nombreux petits propriétaires américains et plusieurs grandes banques. 
Les journaux financiers américains admirent John Paulson : "C'est le plus gros coup de tous les temps". Source : Le Monde.
C'est assez logique : il y a beaucoup plus de pauvres que de riches. Si beaucoup de pauvres perdent un peu, cela permet à quelques riches de gagner beaucoup.
La Banque d'Angleterre (publique) apporte 63 milliards d'euros aux établisserments de crédit (privés) pour les aider à se refinancer et à rétablir la confiance. Au Royaume Uni les difficultés des établissements bancaires inquiètent particulièrement car, pour y faire face, ils resserrent de plus en plus les conditions de crédit pour les ménages et les entreprises, menaçant ainsi de gripper toute l'économie. Source : Le Monde.
Pour raccourcir les circuits, la banque d'Angleterre aurait pu verser une partie de l'argent directement à M. Paulson.
Constatons en plus qu'il ne s'est pas si bien débrouillé qu'on le dit, puisqu'il n'a raflé que 3 milliards de dollars sur 63 milliards d'euros.
 
Le prix du pétrole monte. Les passagers des lignes aériennes, eux, veulent payer leur billet moins cher. Solution : mettre moins d'essence dans les réservoirs des avions, et voler aux limites de la sécurité. Cela a déjà conduit à un "crash" avéré, et à de nombreux atterrissages en procédure d'alerte, sans réserve de sécurité pour faire face à un éventuel incident.  Source France Inter.
Je sais j'ai l'air d'inventer. Je vous assure, ce n'est même pas la peine. Au fond, c'est bien, c'est écolo.  Et puis s'il y a beaucoup d'accidents, on prendra moins l'avion.
 
Un article de Libération, signé par trois professeurs de médecine et un chercheur à l'INSERM, le 25 avril 2008 ; Titre : engraisser les enfants pour sauver la télévision. Extrait : "l'exposition à la publicité portant sur les aliments de haute densité énergétique (notamment sucrés et gras) est associée à une prévalence plus élevée de l'obésité."  www.sfsp.fr cf. communiqué de presse du 25 avril.
Je n'avais donc pas fait de cauchemar dans ma lettre précédente : pour survivre, le capitalisme libéral doit sacrifier ses enfants.
 
Je vous avais promis une synthèse d'un entretien avec l'économiste P. Artus (qui a "pignon sur rue" et n'est pas un altermondialiste frénétique) diffusé sur France inter, mais c'est un peu trop difficile pour moi.
L'une de ses affirmations : la mondialisation a des effets catastrophiques car partout dans le monde elle détruit les classes moyennes.
Ses deux ouvrages les plus récents : (je ne les ai pas lus mais les titres sont prometteurs)
  • Comment nous avons ruiné nos enfants, avec M.-P. Virard, La Découverte, 2006
  • Les incendiaires, Les banques centrales dépassées par la globalisation, Perrin, 2007
  • Je suis perplexe. Selon plusieurs sites cités par Google, avoir pignon sur rue signifie avoir une maison, et donc avoir une notoriété sociale. Mais quelle drôle d'idée de tourner le pignon vers la rue ! Où est la façade ?
     
     
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    Citations et réactions
     
     
    Vie et mort : contribution du philosophe J. Ricot au contenu de cette lettre 
     

    Jean-Michel me transmet une réaction concernant mes positions de philosophe sur la fin de vie. Je suis, il est vrai, à contre-courant des médias  (étrangement monolithiques) qui militent ouvertement pour la légalisation de l’euthanasie en exhibant sans cesse des cas émotionnels toujours très déformés par rapport aux témoignages des soignants (cf. Humbert, Sébire et les autres). L’erreur des partisans de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) est de faire un usage très discutable du terme de dignité, ce que le vice-président vient enfin d’avouer (cf. Fin de vie, p. 160). Ne pas confondre la Dignité ontologique (celle dont parle la Déclaration universelle des droits de l’homme, valeur inconditionnelle de l’homme qui jamais ne peut se perdre) et la dignité prise en un tout autre sens, celle qui consiste à estimer que la déchéance est indigne. Il serait plus clair (et plus honnête) de parler d’une militance pour le droit de mourir dans la liberté. Je ne conteste pas que le suicide soit une liberté civile, mais nul ne peut soutenir raisonnablement que ce soit un droit (qui engagerait autrui et la société). Les Belges et les Hollandais ont cru devoir franchir ce pas et les résultats que je peux constater dans ces pays que je connais bien sont attristants (par exemple : augmentation très importante de l’euthanasie clandestine).

    Hugo Claus décide de mourir alors qu’il n’est pas en fin de vie, c’est banal et c’est son choix. En revanche que la société l’applaudisse et lui donne les moyens d’accomplir son désir de mort, c’est ce que je ne puis admettre. Pourquoi ? Parce que mes valeurs d’homme de gauche sont l’accompagnement des personnes fragiles et le soulagement de la douleur et non de donner la mort à ceux qui la réclament. Entre une liberté débridée et la fraternité, j’ai toujours privilégié cette dernière, c’est peut-être mon vieux côté marxiste. J’ajoute que j’ai été le témoin direct des dommages collatéraux sur des personnes vulnérables, non pas de la mort de Hugo Claus, mais de la louange médiatique qui a accompagné son geste. J’ai entendu ceci : "Si cet homme est un héros, alors qui suis-je ? Un parasite ?"

    Ce texte est bien long et pourtant beaucoup trop court. C’est pourquoi j’ai pris le temps d’être plus précis dans de nombreux écrits comme :

     

    Philosophie et fin de vie, ENSP, 2003.

    Dignité et euthanasie, Pleins Feux, 2003.

    En collaboration avec Patrick Verspieren et Marie-Sylvie Richard, La Tentation de l’euthanasie, DDB, 2004.

    En collaboration avec Patrick Baudry et Robert William Higgins Le Mourant, éd. M-editer, 2006.

    Bien cordialement, Jacques Ricot

     

    Réaction de personnes membres de la liste 
     
    * Sympa de relire ta prose ! Naïve peut-être, pas toujours de bonne foi, (le côté anti-ch'ti ! ), être contre  pour être contre ! Mais me permettant de réfléchir et de pointer les distorsions de la Société. Je viens de lire "Un homme"  de Philip Roth que j'ai trouvé vraiment excellent . Une vie avec toutes les faiblesses, les ambigüités , la lucidité , la force aussi d'un homme  tout au long de sa vie  face à la dernière échéance, qui nous concerne tous. Une écriture précise puissante On s'y plonge  et on ne veut pas le quitter !
     
    * Merci en particulier de ta relecture de "1984". Je signale que la conclusion ("Quand la fiction anticipe la théorie", 40 pages) du livre de la psychanalyste Piera Aulagnier "L'apprenti-historien et le maître-sorcier" (PUF, 1984. Non, je n'ai pas fait un lapsus ordinatori, c'est la bonne date de parution) est consacrée à ce roman.
     
    * S'il n'y a que des réactions de personnes plutôt d'accord, on va finir par croire que c'est moi qui les écris... JM Bérard
     
    *  Je viens de voir "Le cahier", un film d'une iranienne sur l'Afghanistan vu à hauteur d'enfants. Terrifique et très beau. Je te le recommande vivement. Au cinéma du Panthéon. Bon, d'accord, c'est pour les parisiens.
     
    * Juste pour faire avancer le schmilblic : je pense que la 3e voie entre réel et virtuel c'est le rituel. De deux choses L'une, l'autre c'est le Soleil. (Prévert)
     
    * A propos de l'article du Parisien et de ton commentaire ("Il est vrai qu'il est plus spontané de se retourner vers son voisin, avec qui l'on peut plus aisément se comparer.") t'avais-je signalé l'excellent article de Mona Chollet http://www.peripheries.net/article311.html),
     dont je tire :
    "Dans le modèle marxiste, le travailleur est invité à se défaire de la mentalité servile et auto dépréciative qui lui interdit de comparer son sort à celui des riches pour revendiquer sans complexes le partage des richesses. En même temps, il s’identifie à ses semblables, salariés ou chômeurs, nationaux ou étrangers, envers qui il éprouve empathie et solidarité. Le génie du libéralisme a été de renverser ce schéma. Désormais, le travailleur s’identifie aux riches, et il se compare à ceux qui partagent sa condition.." (c'est moi qui souligne : ça n'a donc pas toujours été vrai, même si "plus spontané")
    Merci, grâce à toi j'ai lu cet article que je ne connaissais pas, et je suis d'accord avec ton qualificatif "excellent".
    Un livre prolongeant cet article, intitulé Rêves de droite - Défaire l’imaginaire sarkozyste, est disponible depuis le 6 mars 2008 aux éditions La Découverte, dans la collection « Zones ». Je ne l'ai pas lu.