"Voici
quelques critères de base qui permettent de reconnaitre un ennemi :
L'ennemi est
bête, il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui. J'en ris encore.
L'ennemi se
déguise parfois en géranium, mais on ne peut pas s'y tromper : le géranium est à
nos fenêtres alors que l'ennemi est à nos portes." Pierre
Desproges
Conseils
bien utiles dans notre société de méfiance, de fichage généralisés et de
compétition, où chacun doit devenir l'ennemi de l'autre.
Autant
reconnaitre qui est qui. Notons que Desproges ne dit rien sur le
muguet.
Vous faites partie d'une liste de 16 amis, constituée de façon
purement arbitraire, dont je pense que peut-être mes préoccupations sur
l'avenir de la démocratie et l'état de la société (que ça ! ...) peuvent les
intéresser.
Les messages sont repérés par [alerte] dans l'objet, ce qui vous
permet de ne pas les lire. Vous pouvez aussi sans problème demander à être rayé
de la liste.
Réactions ou contributions bienvenues. Diffusion libre et bienvenue.
JM Bérard
Plan de la lettre :
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
Dictionnaire de la novlangue
Développons l'Humain ! Les professeurs virtuels et les élèves
réels
2 Alerte
Big Brother prend une forme réticulaire, nous nous surveillons les uns
les autres
L'économie au quotidien
3 Citations et réactions
Vie et mort : contribution du philosophe J. Ricot au contenu de cette
lettre. Tout particulièrement
signalé.
Réaction de personnes membres de la liste
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Au fil des jours, des lectures et
des navigations
Dictionnaire de la
novlangue
Peut-être en nous y mettant tous pouvons-nous
enrichir le dictionnaire de la novlangue ?
Bien sûr, ce n'est drôle que si c'est vraiment
lu ou entendu...
Français classique : supprimer 6000 emplois dans
l'armée.
Traduction en novlangue : plan d'amélioration
des conditions de vie des militaires. (authentique, sur
France-Inter)
En plus, c'est contradictoire : on embauche
les militaires pour qu'ils donnent leur vie pour la Nation, pas pour améliorer
leurs conditions de vie... Si l'on supprime 6000 emplois, cela fera donc 6000
personnes qui ne seront pas obligées d'aller se faire tuer en notre nom. Voir le
très beau film "Beaufort" sur l'inanité de certaines guerres, et le très beau
film "Les citronniers" sur l'inhumanité de certains conflits.
Développons l'Humain !
Les
professeurs virtuels réagiront aux émotions des élèves.
Synthèse d'un article paru dans
"Le Monde" des 20-21 avril, signé Sophie Blitman, sous-titré "Vu de
l'université Massey, Auckland, Nouvelle Zélande".
Un professeur virtuel, Eve, a été
créé. Elle évolue sur l'écran, a des cheveux courts et un survêtement de sport
et est capable de détecter avec une webcam les réactions de son élève et
d'adapter sa pédagogie. Le système fonctionne grâce à une base de données de
3000 vidéos, où ont été enregistrées et analysées les expressions et les paroles
correspondant à l'angoisse, la colère, la joie. Le logiciel peut même détecter
les élèves qui trichent en comptant sur leurs doigts. Eve pourra répondre avec
un sourire et une expression adéquate, et changer sa progression en fonction des
réactions. Ce système est l'aboutissement d'un travail de 7 ans. Eve pourrait
intervenir d'ici un an ou deux dans des écoles. Elle pourrait même être sensible
aux intonations de la voix, et au pouls de l'élève, capté grâce à la souris.
Rien dans l'article
ne permet de penser qu'il s'agisse de fiction. Peut-être dans sept ans la même
université nous annoncera-t-elle qu'elle a mis au point des élèves virtuels qui
réagissent aux émotions des professeurs réels. Dans 14 ans, les élèves et les
professeurs seront virtuels. Comme le dit Le chat, héros de Philippe Gelück :
j'ai acheté deux jeux d'échecs électroniques et les ai connectés l'un à l'autre,
comme cela je suis tranquille.
Alerte
Big Brother prend une forme
réticulaire, nous nous surveillons les uns les autres
Article du journal Le Monde, 10 avril 2008. Titre : de
l'importance de bien gérer sa cyber-réputation ; auteur : Géraldine
Bordère
Synthèse de l'article : donner son avis sur un forum, acheter
des produits sur e-Bay, partager une vidéo sur daily motion, s'inscrire sur un
site de rencontres sont autant de traces apparemment anodines, mais qui en
réalité forgent une "réputation numérique". Cette réputation est constituée non
seulement des contributions volontaires des individus, mais aussi ce que disent
les autres de cet individu. Ces traces restent figées pour l'éternité. D'où
l'importance de surveiller les éléments de cette réputation, en effectuant des
contrôles régulièrement (sur Google, par exemple), conseil donné par S.
Brossard, directeur commercial de B&B communication. Pour O. Zara,
l'identité numérique est tout aussi importante que sa vraie identité, et tout
aussi dangereuse. Dans la vie, il est facile (dit-il) de se refaire une
réputation en changeant de travail, de ville. C'est beaucoup plus compliqué sur
internet. Qu'on le veuille ou non, notre réputation est maintenant mondiale et
publique. Et si les paroles s'envolent, les écrits restent. La plupart des
recruteurs utilisent maintenant les données présentes sur internet pour
sélectionner les candidats : "Facebook, par exemple, est une façon de creuser le
profil du candidat en découvrant son univers et ses hobbies." L'Oréal ne le fait
pas, pour des raisons déontologiques.
Certains pensent même que, actuellement, le pire n'est pas d'avoir une
mauvaise réputation sur internet, mais de ne pas en avoir.
Pour être heureux, on ne peut plus vivre caché. On ne peut d'ailleurs
pas non plus vivre totalement exposé. Dilemme...
L'économie au
quotidien
Le financier américain John Paulson a
gagné 3 milliards de dollars en spéculant de façon avisée sur les subprimes,
celles-là même qui ont ruiné de nombreux petits propriétaires américains et
plusieurs grandes banques.
Les journaux financiers américains
admirent John Paulson : "C'est le plus gros coup de tous les temps". Source
: Le Monde.
C'est assez logique : il y a beaucoup
plus de pauvres que de riches. Si beaucoup de pauvres perdent un peu, cela
permet à quelques riches de gagner beaucoup.
La Banque d'Angleterre (publique) apporte
63 milliards d'euros aux établisserments de crédit (privés) pour les aider à se
refinancer et à rétablir la confiance. Au Royaume Uni les difficultés des
établissements bancaires inquiètent particulièrement car, pour y faire face, ils
resserrent de plus en plus les conditions de crédit pour les ménages et les
entreprises, menaçant ainsi de gripper toute l'économie. Source : Le
Monde.
Pour raccourcir les circuits, la
banque d'Angleterre aurait pu verser une partie de l'argent directement à M.
Paulson.
Constatons en plus qu'il ne s'est pas
si bien débrouillé qu'on le dit, puisqu'il n'a raflé que 3 milliards de
dollars sur 63 milliards d'euros.
Le prix du pétrole monte. Les passagers
des lignes aériennes, eux, veulent payer leur billet moins cher. Solution :
mettre moins d'essence dans les réservoirs des avions, et voler aux limites de
la sécurité. Cela a déjà conduit à un "crash" avéré, et à de nombreux
atterrissages en procédure d'alerte, sans réserve de sécurité pour faire face à
un éventuel incident. Source France Inter.
Je sais j'ai l'air d'inventer. Je vous
assure, ce n'est même pas la peine. Au fond, c'est bien, c'est écolo. Et puis
s'il y a beaucoup d'accidents, on prendra moins
l'avion.
Un article de
Libération, signé par trois professeurs de médecine et un chercheur à l'INSERM,
le 25 avril 2008 ; Titre : engraisser les enfants pour sauver la télévision.
Extrait : "l'exposition à la publicité portant sur les aliments de haute densité
énergétique (notamment sucrés et gras) est associée à une prévalence plus élevée
de l'obésité."
www.sfsp.fr cf. communiqué de
presse du 25 avril.
Je
n'avais donc pas fait de cauchemar dans ma lettre précédente : pour survivre, le
capitalisme libéral doit sacrifier ses enfants.
Je vous avais
promis une synthèse d'un entretien avec l'économiste P. Artus (qui a "pignon sur
rue" et n'est pas un altermondialiste frénétique) diffusé sur France inter, mais
c'est un peu trop difficile pour moi.
L'une de ses
affirmations : la mondialisation a des effets catastrophiques car partout dans
le monde elle détruit les classes moyennes.
Ses deux
ouvrages les plus récents : (je ne les ai pas lus mais les titres sont
prometteurs)
Comment nous avons ruiné nos enfants, avec M.-P.
Virard, La Découverte, 2006
Les incendiaires, Les banques centrales dépassées
par la globalisation, Perrin, 2007
Je suis perplexe. Selon plusieurs sites cités par Google, avoir pignon
sur rue signifie avoir une maison, et donc avoir une notoriété sociale. Mais
quelle drôle d'idée de tourner le pignon vers la rue ! Où est la façade ?
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Citations et réactions
Vie et mort :
contribution du philosophe J. Ricot au contenu de cette
lettre
Jean-Michel me transmet une réaction concernant mes positions de
philosophe sur la fin de vie. Je suis, il est vrai, à contre-courant des médias
(étrangement monolithiques) qui militent ouvertement pour la légalisation de
l’euthanasie en exhibant sans cesse des cas émotionnels toujours très déformés
par rapport aux témoignages des soignants (cf. Humbert, Sébire et les autres).
L’erreur des partisans de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la
dignité) est de faire un usage très discutable du terme de dignité, ce que le
vice-président vient enfin d’avouer (cf. Fin de vie, p. 160). Ne pas
confondre la Dignité ontologique (celle dont parle la Déclaration universelle
des droits de l’homme, valeur inconditionnelle de l’homme qui jamais ne peut se
perdre) et la dignité prise en un tout autre sens, celle qui consiste à estimer
que la déchéance est indigne. Il serait plus clair (et plus honnête) de parler
d’une militance pour le droit de mourir dans la liberté. Je ne conteste pas que
le suicide soit une liberté civile, mais nul ne peut soutenir raisonnablement
que ce soit un droit (qui engagerait autrui et la société). Les Belges et les
Hollandais ont cru devoir franchir ce pas et les résultats que je peux constater
dans ces pays que je connais bien sont attristants (par exemple : augmentation
très importante de l’euthanasie clandestine).
Hugo Claus décide de mourir alors qu’il n’est pas en fin de vie, c’est
banal et c’est son choix. En revanche que la société l’applaudisse et lui donne
les moyens d’accomplir son désir de mort, c’est ce que je ne puis admettre.
Pourquoi ? Parce que mes valeurs d’homme de gauche sont l’accompagnement des
personnes fragiles et le soulagement de la douleur et non de donner la mort à
ceux qui la réclament. Entre une liberté débridée et la fraternité, j’ai
toujours privilégié cette dernière, c’est peut-être mon vieux côté marxiste.
J’ajoute que j’ai été le témoin direct des dommages collatéraux sur des
personnes vulnérables, non pas de la mort de Hugo Claus, mais de la louange
médiatique qui a accompagné son geste. J’ai entendu ceci : "Si cet homme est un
héros, alors qui suis-je ? Un parasite ?"
Ce texte est bien long et pourtant beaucoup trop court. C’est pourquoi
j’ai pris le temps d’être plus précis dans de nombreux écrits
comme :
Philosophie et fin de vie, ENSP,
2003.
Dignité
et euthanasie, Pleins
Feux, 2003.
En collaboration avec Patrick Verspieren et Marie-Sylvie Richard, La
Tentation de l’euthanasie, DDB, 2004.
En collaboration avec Patrick Baudry et Robert William Higgins Le
Mourant, éd. M-editer, 2006.
Bien cordialement, Jacques Ricot
* Je viens de voir "Le cahier", un film
d'une iranienne sur l'Afghanistan vu à hauteur d'enfants. Terrifique et très
beau. Je te le recommande vivement. Au cinéma du Panthéon. Bon, d'accord,
c'est pour les parisiens.