Lettre [alerte] - 24 avril 2008
Par Jean-Michel Bérard le jeudi 24 avril 2008, 09:17 - Lien permanent
Plan de la lettre :
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
Solidarité avec la police
A qui la faute ?
Big Brother : 1984, de George Orwell
Torchons et serviettes
2 Alerte
Moloch : pour survivre, le capitalisme libéral doit-il se détruire
lui-même ? Réflexions naïves
Ce qu'il aurait aimé
dire sur les émeutes de la faim
3 Citations et réactions
Réactions de personnes membres de la liste
Progrès technique
"Le 1er
janvier 1945 à Hiroshima, les gens s'étaient souhaité une bonne et heureuse
année." (Le chat, Philippe Gelück)
"La
différence entre un bien matériel et une donnée numérique c'est que si l'on
donne le bien matériel, on ne l'a plus, tandis que si l'on transmet une donnée
numérique on la garde encore. Si je vous donne
ma petite cuillère, je ne peux plus touiller mon café, alors que si je vous
transmets une photo numérique, je peux toujours touiller mon café."
(Plaisanterie improvisée en direct sur France Inter)
Vous faites partie d'une liste de 16 amis, constituée de façon
purement arbitraire, dont je pense que peut-être mes préoccupations sur
l'avenir de la démocratie et l'état de la société (que ça ! ...) peuvent les
intéresser.
Les messages sont repérés par [alerte] dans l'objet, ce qui vous
permet de ne pas les lire. Vous pouvez aussi sans problème demander à être rayé
de la liste.
Réactions ou contributions bienvenues. Diffusion libre et bienvenue.
JM Bérard
Plan de la lettre :
1 Au fil des jours, des lectures et des navigations
Solidarité avec la police
A qui la faute ?
Big Brother : 1984, de George Orwell
Torchons et serviettes
2 Alerte
Moloch : pour survivre, le capitalisme libéral doit-il se détruire
lui-même ? Réflexions naïves
Ce qu'il aurait aimé
dire sur les émeutes de la faim
3 Citations et réactions
Réactions de personnes membres de la liste
Progrès technique
******
Au fil des jours, des lectures et
des navigations
Solidarité avec la
police
Deux personnes qui se rendaient à leur travail
en moto ont été tuées par un chauffeur de camion qui avait peut-être trop bu. Il
se trouve que ces deux personnes étaient des policiers, en civil et pas du tout
en service. La Ministre de l'intérieur a exprimé son émotion et s'est
rendue dans le commissariat concerné, au péril de sa vie, car il s'agissait
d'une banlieue difficile, Vénissieux.
Cela dit, c'était un accident de la route hélas
trop banal, où la profession des victimes ne jouait absolument aucun rôle.
Il y a des milliers de morts par an sur les
routes. Les ministres ont du pain sur la planche, des milliers déplacements par
an, chacun dans leur secteur...
A qui la faute
?
Le gouvernement envisage de baisser les
allocations familiales. Dans Le Parisien, une mère de famille se
demande avec inquiétude comment elle va vivre avec encore moins d'argent et
exprime son exaspération : "C'est la faute de ma voisine qui se déclare parent
isolé et reçoit son copain le soir, et aux Rmistes qui travaillent au noir."
C'est vraiment écrit dans le journal ! Ce n'est pas à cause du bouclier
fiscal, de l'allègement des droits de succession ou autres mesures qui visent à
donner plus aux riches qu'aux pauvres pour "créer un choc de confiance". Il est
vrai qu'il est plus spontané de se retourner vers son voisin, avec qui l'on peut
plus aisément se comparer.
On vit une époque formidable : on a réussi à
nous convaincre qu'il est bel et bon d'être riche, et que c'est les pauvres qui
doivent se jalouser entre eux. Bling
bling...
1984 et Big
Brother
1984, George Orwell, collection
Folio, Gallimard. Première parution en 1948.
Avec la création, dans le roman
"1984", paru en 1948, de "Big Brother is watching you", Orwell
apparait comme prémonitoire d'une société de fichage et de surveillance
généralisés, que l'on voit maintenant se développer massivement : fichage
biométrique (ADN, iris de l'œil), fichage d'état (fichier STIC en France,
Patriot Act aux USA), fichage commercial et privé sur internet, surveillance à
distance (puces RFID, vidéo-surveillance).
Toutefois, sa critique reste axée sur
l'analyse des méthodes des systèmes soviétiques, certes capitale en 1948. Il
n'a pas pressenti l'extension d'une surveillance encore plus générale, qui
n'alimente pas seulement les appareils des états, mais aussi les circuits
commerciaux, les voisins et l'ensemble de "l'opinion publique" et ouvre donc à
une "transparence globale". Aussi bien dans Orwell que dans le Panopticon de
Bentham (1785, déjà...) la surveillance remonte à une entité unique, alors
qu'elle est maintenant diffuse, insidieuse et générale. Chacun est sous le
regard de tous, et réciproquement
Il n'avait pas non plus pressenti,
mais cela n'est guère étonnant, les "progrès" rendus possibles par les
évolutions techniques ; les méthodes qu'il décrit restent proches de celles que
l'on peut voir dans le film "La vie des autres", dont l'action se déroule dans
la République Démocratique Allemande avant la chute du mur, ce qui n'est pas si
lointain.
On ne peut s'empêcher de
penser, à la lecture du roman, que des expériences faites il y a quelques années
aux USA ont montré que des étudiants tout à fait "normaux" sont prêts à torturer
si on leur explique que c'est pour la bonne cause. Il s'agissait d'une
simulation très réaliste de torture dure, présentée aux étudiants comme
indispensable pour une recherche scientifique.
Ses prémonitions sur la manipulation
de la langue pour manipuler la pensée n'étaient pas propres aux systèmes
soviétiques, et ont pris une ampleur considérable, avec le développement de la
"communication" qui remplace la pensée. La création des franchises de la sécu
ne s'appelle pas "diminution des remboursements" mais "amélioration du système
de santé". La suppression de 6000 emplois dans l'armée s'appelle "amélioration
des conditions de vie des militaires", et tout à l'avenant..
A l'inverse, ses craintes sur la
réécriture permanente a posteriori de l'histoire font plutôt place aujourd'hui à
l'absence de "droit à l'oubli" compte tenu des traces indélébiles que chacun
laisse sur internet ou dont il est l'objet dans les fichiers divers. On a vu
récemment beaucoup de vidéos du président de la république disant quelque chose
pendant la campagne électorale et le contraire ensuite. Hillary Clinton qui
avait prétendu avoir fait une expédition glorieuse dans je ne sais plus quel
pays en guerre a dû piteusement s'excuser au vu des vidéos retrouvées et
montrant la réalité. Cela a nui aux intéressés. Mais n'oublions pas que les
employeurs, les voisins et les appareils d'état aussi lisent internet, et que
des positions prises par chacun à tel moment de sa vie le suivent désormais de
façon indélébile.
Torchons et
serviettes
Dramatisation croissante au fil des
bulletins de France inter : "nuit agitée, la galère, la panique". Un tsunami à
Armentières ? L'évacuation clandestine par Mittal des machines de l'usine de
Gandrange ? Que nenni : à la suite d'incidents techniques, les voyageurs d'une
rame de l'eurostar ont mis douze heures pour aller de Londres à
Paris.
Quelle est la portée générale de
cette information ? Aucune : la ligne est moderne, bien entretenue, rentable. Au
contraire, les lignes du réseau de la banlieue parisienne de la SNCF sont
vétustes et saturées. Les incidents sur eurostar sont rares, ils sont quotidiens
sur le réseau banlieue, ce qui transforme en réel cauchemar la vie des
banlieusards qui s'en servent tous les jours pour aller travailler.. Qu'en dit
France Inter ? Au fond, quelque chose n'apparait dans les médias que si c'est
exceptionnel. Le réseau de banlieue de Londres était en mauvais état, on n'a
commencé à s'en préoccuper que lorsqu'il y a eu deux graves accidents coup sur
coup.
******
Alerte
Moloch :
pour survivre, le capitalisme libéral doit-il se détruire lui-même ? Réflexions
naïves
* Les industriels du sucre, du sel
et du gras multiplient les pages de publicité pour protester contre le fait que
l'on "diabolise de façon fanatique" le danger de leurs produits ; ils vendent
aussi des aliments conçus pour accoutumer les consommateurs à leur dépendance.
Pendant ce temps, aux USA mais aussi en France, le nombre d'enfants dont
l'obésité pose de très graves problèmes de santé est en constante augmentation.
Le dieu Moloch, lui, n'exigeait le sacrifice que de l'enfant premier
né.
* Pour gagner plus d'argent, les
banques doivent prêter aux pauvres. Comme ceux-ci sont pauvres, ils ne peuvent
pas rembourser. On saisit leurs maisons. Mais à qui vendre les maisons saisies,
puisque les pauvres n'ont plus d'argent ? Cela fait baisser le prix des maisons
saisies et ruine les banques. C'est la crise des subprimes. Solution : demander
aux Etats de subventionner les banques privées en faillite. Cela se fait
déjà.
.* Les prix montent (inflation record de 3,2% cette année en
France) et les hausses des salaires sont limitées. Selon l'économiste J.
Matouk, "en vingt ans la part des salaires dans la valeur ajoutée des
entreprises a baissé de 9% ; les 10% les plus riches possèdent 46% de fortune
nationale ; les 50% les plus pauvres, moins de 7%. " Du coup, à qui peut-on
vendre ce qu'on produit ? C'est la stagflation. Solution keynesienne : demander
à l'état de pratiquer le soutien économique à l'égard des bas revenus pour
stimuler la consommation. Ca va pas, non ? Vous êtes fou ! Les pauvres peuvent
payer leurs lunettes, leur franchise de médicaments, leur carte de famille
nombreuse, toucher moins d'allocations familiales et se passer du revenu de
solidarité active. Vous n'allez tout de même pas mettre dans le même lot un
travailleur, qui doit quitter cette sale mentalité française d'assisté, et une
grande banque en faillite ou un riche héritier, qu'il faut aider pour stimuler
l'économie !
Mais cela dit, s'il y a trop de
pauvres, qui achètera ce qu'on produit ? Et si l'Etat prend trop en charge les
pertes du privé, qui paiera les déficits de l'Etat ?
Je vous l'ai déjà dit, je ne suis pas spécialiste
en économie. Si l'un de vous peut alimenter ces débats de façon moins naïve...
A suivre dans la prochaine lettre, si j'arrive à
les résumer : les analyses de l'économiste Patrick
Artus.
Ce qu'il aurait aimé dire sur les émeutes de la
faim
Sur le blog
de Bernard Maris, professeur d'économie, chroniqueur à France-Inter et à Charlie
Hebdo.
"Ce que
j'aurais aimé dire sur les émeutes de la faim"
http://www.radiofrance.fr/franceinter/blog/b/blog.php?id=12 voir en date du 18
avril.
******
Citations et réactions
Réaction de personnes membres de la liste
"Je suis contente que tu fasses référence aux
*Statues meurent aussi*. J'aime beaucoup les films de Chris Marker. J'ai
enregistré mardi soir à la TV *Le fond de l'air est rouge* pour le
revoir."
"J'ai passé une partie de l'après-midi sur le
site "La vie des idées"... C'est un site utile pour un travail que j'ai en
cours. "
"Merci donc d'établir ces liens qui manquent
trop souvent, de partager des idées, d'établir je l'espère des forces d'action
et de conscience"
Pas moi tout seul. Un petit
catalyseur, avec vous tous peut-être...
"Une
seule petite nuance à apporter : les ch'tis "bons Français" ? Hum, faudrait
aller voir de plus près fonctionner le parti réunionniste flamand, actif de part
et d'autre de la frontière, et qui culmine côté " français " au moulin à vent de
la bonne ville de Cassel. Rien à envier aux Basques !
De l'autre côté de ladite " frontière", comme on ne le sait pas assez, le Vlaams Belang est un florissant parti d'extrême droite, qui détient en toute sérénité les villes d'Anvers et de Gand, pour ne citer qu'elles... L'une des dernières mesures progressistes adoptées en Flandre est l'interdiction faite aux écoliers flamands d'user de la langue française : suffisait d'y penser !"
De l'autre côté de ladite " frontière", comme on ne le sait pas assez, le Vlaams Belang est un florissant parti d'extrême droite, qui détient en toute sérénité les villes d'Anvers et de Gand, pour ne citer qu'elles... L'une des dernières mesures progressistes adoptées en Flandre est l'interdiction faite aux écoliers flamands d'user de la langue française : suffisait d'y penser !"
Tout comme Philippe Val,
qui, comme moi, n'a pas vu le film les Ch'tis, je suis effectivement très
méfiant à l'égard de toute entreprise qui tend à glorifier ou à stigmatiser un
groupe humain en se fondant sur son origine géographique, la couleur de sa
peau, son origine sociale. Je suis très sceptique devant toute phrase générale
qui commence par " les français... ", les femmes ceci... " ou "les hommes
cela...". Il y a sans doute dans le Nord des gens sympas et des personnes
odieuses à mes yeux, des obèses et des anorexiques, des altermondialistes
démocrates et des fascistes obtus, ou encore des gens qui n'aiment ni le fromage
ni la bière.
Voir l'intéressant article de
Rue89
("Bon gré, mal gré, ce film flatte les
principaux poncifs anti-Nord : serait-ce la raison de son succès commercial
phénoménal ? " dit l'auteur de l'article sur
Rue89.)
"Chris Marker est décidément un grand écrivain
potentiel que le cinéma a volé à la littérature (mais Bergman aussi, alors vive
le cinéma !) ... "