Lettre [alerte] - 25 mars 2008

Lors de sa publication cette lettre ne comportait pas de plan.

Vous faites partie d'une liste de 14 amis, constituée de façon purement arbitraire,  dont je pense que peut-être mes préoccupations sur l'avenir de la démocratie et l'état de la société  (que ça ! ...) peuvent les intéresser.
Les messages sont repérés par [alerte] dans l'objet, ce qui vous permet de ne pas les lire. Vous pouvez aussi sans problème me demander d'être rayé de la liste.
Réactions ou contributions bienvenues. Diffusion libre et bienvenue. JM Bérard
 
Alerte :
 
"Vers une société de fichage généralisé ?" Article de JM Bérard publié sur le site du Parti Socialiste des Lilas, au moment même où le maire socialiste des Lilas décidait d'implanter la vidéo surveillance dans la ville. ("Cela ne dérange pas les personnes qui n'ont rien à se reprocher...", dit l'opinion publique. Chacun est évidemment soucieux qu'on le protège contre son voisin, ce pelé, ce galeux... Chacun oublie ainsi qu'il est le voisin de quelqu'un... ).
 
L'article figure à la fin du présent message, pour ne pas vous priver des rubriques "Quelques citations" et "Au fil des lectures".

Au fil des lectures et des navigations :

* Bernard Maris est professeur des Universités, chroniqueur économique à France inter et chroniqueur économique à Charlie Hebdo sous la signature de "Oncle Bernard". Le remarquable entretien qu'il donne à Dailymotion permet à ceux comme moi qui ne comprennent pas bien le système économique et financier d'aborder les raisons de la crise mondiale actuelle et future.

http://www.dailymotion.com/video/x46yxx_crise-financiere-entretient-avec-be_politics

Voir aussi l'entretien avec l'économiste Michel Aglietta. Tout à fait stupéfiant...

http://rue89.com/2008/03/20/michel-aglietta-une-crise-aussi-grave-que-celle-de-1929

* J'ai tendance à penser (mais je n'engage que moi) que dans le débat relancé médiatiquement sur l'euthanasie (à propos de Mme Sébire qui souffrait et avait le visage déformé et qui est morte le 19 mars) j'ai tendance à penser, donc (bien que non croyant) que ce sont plus les forces de mort que les forces de vie qui sont à l'œuvre dans ces campagnes médiatiques pour le droit à mourir dans la "dignité". Je ne parle pas ainsi de Mme Sébire, mais de la campagne lancée en la prenant comme support. Le philosophe Jacques Ricot a beaucoup travaillé ce type de questions sur la vie et la mort, et s'est engagé dans un ensemble d'actions (formation du personnel hospitalier en particulier). Ses publications sont nombreuses. On trouvera par exemple un article (non daté) intitulé "Philosophie et euthanasie" à l'adresse

http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/philo/philosophie_et_euthanasie.htm

* Un documentaire assez bouleversant (au sens de bouleverser les idées reçues) a été diffusé récemment à la télévision sur les pratiques mondiales de la société Monsanto. (Le monde selon Monsanto, Arte, le 11 mars).

Marie-Monique Robin, Le monde selon Monsanto, préface de Nicolas Hulot, Editions La découverte Arte, 372 pages, 20 euros, dépôt légal mars 2008.

Remarquons que la méthodologie de l'enquête de Mme Robin est parfois contestée, par exemple par M. Kuntz, directeur de recherche au CNRS à Grenoble.

 
 
Quelques citations, et quelques réactions des 14 personnes figurant sur la liste
 
* "Pour aller dans le sens de l'un de vos chapitres : " Nous passons notre temps à nous juger sans cesse. Il semble qu'il soit plus facile à l'homme d'arrêter de respirer que d'arrêter de juger son prochain. " Gogol, Les Enfants du soleil . " Réaction de l'un des 14 membres de la liste.
 
* "Je me tiendrai à Jefferson, pour moi, la liberté se perd dans les sables quand on accepte de déroger aux principes fondamentaux de la démocratie. Mais sans doute est-ce la vision confortable de qqn qui n’est pas menacé en permanence en sortant du métro et en rentrant chez soi…"
Réaction de l'un des 14 membres de la liste à la citation de Jefferson "Si pour avoir plus de sécurité tu es prêt à renoncer à une once de liberté, tu ne mérites ni l'une ni l'autre."
 
 * "On ne prête qu'aux riches et on a raison : les pauvres remboursent difficilement." Le capitalisme libéral moderne a sans doute oublié ce pseudo bon sens de la pseudo sagesse populaire, puisqu'il a, pour prêter aux pauvres,  créé les subprimes qui sont à l'origine de la grave crise actuelle...
 
* "Si tu donnes à un homme un poisson que tu as volé, il mangera une fois, si tu lui apprends à voler du poisson, il mangera toute sa vie". Extrait du  Chat, de Philippe Gelück; mais en fait cela ressemble fort à la thèse d'un prix Nobel d'économie libérale... Les crises économiques majeures et les guerres apparaissent lorsque la courte vue du capitalisme l'a empêché de se rendre compte qu'il n'y avait plus de "poisson". Il ne reste plus qu'à se préparer à la prochaine... (C'est pour rire ? )
 
 
*******
 
Article de JM Bérard :  

Vers une société de fichage généralisé ?

Le 15 octobre 2007

Dès 1791, (l’idée n’est donc pas neuve…) Jeremy Bentham concevait le «Panopticon», figure architecturale où, depuis un point central, une tour, le surveillant peut contrôler tout le cercle du bâtiment divisé en alvéoles, tandis que les surveillés, logés dans des cellules individuelles qui ne communiquent pas, ne peuvent voir le surveillant.
Il élaborait ainsi un modèle de société utopique, qui, à cette époque, n’a pas vu le jour. Cette analyse débute le livre de A. Mattelart : La globalisation de la surveillance.

Les développements des fichiers informatisés, leur interconnexion font que nous n’en sommes plus si loin maintenant.

En 1978, en France, eut lieu un vaste débat sur un projet issu du ministère de l’intérieur (le projet élégamment nommé Safari). Ce projet permettait l’interconnexion des fichiers nominatifs grâce au numéro de sécurité sociale.
Les responsables politiques, les différents courants d’opinion et autorités morales ont réalisé toutes les atteintes aux libertés publiques et individuelles que ce projet portait en germe.
Fut votée en 1978 la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui protégeait les libertés des citoyens, et fut créée la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Ce dispositif, l’un des plus éclairés du monde, a depuis été largement entamé, dans l’ignorance et l’indifférence générales de l’opinion publique, en particulier en 2003 et 2004 par des lois « Sarkozy » et « Perben ».
Les libertés individuelles sont beaucoup moins protégées, les pouvoirs de la CNIL largement diminués.

Récemment, le président de la CNIL Alex Türk déclarait que, dans quinze ans, nous nous réveillerons en réalisant que nous sommes dans une société de fichage généralisé, mais qu’il sera trop tard pour faire marche arrière.
Alex Türk n’est pourtant guère suspect de fanatisme gauchiste, puisqu’il est par ailleurs sénateur UMP.

Quelques exemples tout récents, parmi des milliers d’autres :

- Le passe Navigo de la RATP, qui remplace progressivement les autres titres de transport, permet le suivi nominatif des déplacements de chacun.
On peut, certes, acheter un passe anonyme, mais c’est plus cher !!
On peut se demander pourquoi un suivi nominatif.
La lutte contre la fraude pourrait se faire grâce à un suivi par numéro lié à la carte. De même, les études de fréquentation des lignes, de mouvements de population, ne nécessitent pas le nom.
Alors ? Bon, dira-t-on, mais quel inconvénient, je n’ai rien à me reprocher.
Pas si sûr…
Il faudrait se demander par qui et pour quoi les données nominatives pourront être utilisées ?
Par la police, pour surveiller les déplacements de ceux qui ne pensent pas bien? (Exemples : réunions politiques, points de rendez-vous pour des manifs).
Par les détectives privés pour surveiller la vie privée ?
Par les entreprises, pour l’espionnage économique ?
Lorsqu’un fichier existe, grande est la tentation de s’en servir, surtout en cas de passage à un régime politique plus autoritaire. (Voir les feuilletons policiers américains : les USA n’ont pas de loi informatique et libertés, et l’on accède donc très facilement aux données personnelles de chacun).

- le fichier « Base élève » : dans l’indifférence générale de l’opinion publique et de la plupart des syndicats d’enseignants (et malgré la mobilisation de la ligue des droits de l’homme), l’éducation nationale met en place dès l’école maternelle un fichier où tous les élèves seront repérés par un identifiant.
Ce fichier comporte pour chaque élève tout un ensemble de renseignements sur sa scolarité (résultats aux évaluations, retards scolaires, suivi par les réseaux d’aide, etc.).
En interne à l’éducation nationale il a été décidé que le nom de l’élève ne remonterait qu’au niveau strictement nécessaire, et que, autrement, seul le numéro remonterait.
Mais aucune décision claire n’a été prise sur les partenaires qui auront le droit d’utiliser le fichier base élèves.
En particulier les maires, mais aussi sans doute, du fait de la loi Borloo, les travailleurs sociaux, la police, la justice pourront avoir un large accès à base élève.
Or en quoi un maire a-t-il besoin des noms des élèves suivis par le réseau d’aide ? Et pourquoi d’autres institutions comme la police ou la justice y auraient-elles éventuellement accès ?
Pour l’instant, il n’est pas envisagé de préciser exactement qui aura accès à quoi, et les renseignements nominatifs relatifs à chaque élève risquent de connaitre une large diffusion.

- le fichier STIC : il est en général complètement ignoré de la population.
Dans le fichier STIC les forces de police stockent les infractions « constatées » sans qu’il y ait besoin de décision de justice.
Ce fichier est très large, puisque sont inscrits dans cette liste toutes les personnes mentionnées dans une procédure judicaire, les témoins, les plaignants, les victimes comme les suspects.
Le tout sans suivi, c'est-à-dire que le fichier ne prend pas en compte l'issu de la procédure judiciaire, à commencer par la mise hors de cause des suspects.
Chacun peut donc être dans STIC sans le savoir.
Or l’embauche pour certaines professions (sociétés de gardiennage par exemple) nécessite une autorisation de la préfecture, qui s’appuie sur STIC pour délivrer l’autorisation.
Pas grave dira-t-on, je vais demander à consulter ma fiche dans STIC.
Impossible : les particuliers ne peuvent y accéder, ils doivent passer par la CNIL.
Or, récemment encore, par suite du manque de moyens, la CNIL mettait plus de deux ans à répondre aux demandes concernant STIC.

On l’a vu, la tentation de surveillance généralisée est constante au fil de l’histoire.
L’immense danger actuel vient du fait que, grâce à l’informatique, cette surveillance généralisée est devenue possible.
Sous l’effet du conditionnement de l’opinion sur les questions de sécurité, et de la lutte contre le terrorisme, les sociétés démocratiques en arrivent à supprimer leurs propres libertés pour éviter que d’autres ne les suppriment…

De façon générale, l’opinion publique, soucieuse de sécurité, n’est pas du tout inquiète de ces évolutions : je n’ai rien à me reprocher, ce sont les autres qu’il faut surveiller…
Et puis l’on se réveille un jour en s’apercevant que, en fait, on était aussi concerné, mais il est trop tard…

Dès maintenant, chacun de nous est « profilé » en tant que consommateur, ses centres d’intérêt sont fichés par Google, de multiples fichiers constitués parfois à son insu contiennent des renseignements dont il n’a pas conscience et dont il ne sais pas par qui ils peuvent être utilisés.

En 1930, les juifs n’avaient rien à se reprocher, mais on s’en est chargé pour eux.
Le drame a été épouvantable, il aurait été encore bien pire si la population avait été soumise à un fichage généralisé, que les nazis auraient eu plaisir à trouver et à utiliser.

Les partisans de la république espagnole, (état légal), les partisans de Allende (légalement élu) n’avaient eux non plus rien à se reprocher. Mais là encore on s’en est chargé pour eux…

A penser toujours que le fichage ne concerne que les autres, chacun de nous risque de forts mauvaises surprises le jour où les lois deviendront plus répressives (et la démarche a déjà commencé), ou encore le jour où le régime deviendra totalitaire ou la société plus inquisitrice.

La société de transparence dont certains rêvent se rapproche étrangement du Panopticon de Bentham. Chacun sera repéré dès sa naissance par son ADN, et vogue la galère…

Jean-Michel Bérard