Lettre [alerte] - 25 mars 2008
Par Jean-Michel Bérard le mardi 25 mars 2008, 09:41 - Lien permanent
Lors de sa publication cette lettre ne comportait pas de plan.
Au fil des lectures et des navigations :
* Bernard Maris est professeur des Universités, chroniqueur économique à France inter et chroniqueur économique à Charlie Hebdo sous la signature de "Oncle Bernard". Le remarquable entretien qu'il donne à Dailymotion permet à ceux comme moi qui ne comprennent pas bien le système économique et financier d'aborder les raisons de la crise mondiale actuelle et future.
http://www.dailymotion.com/video/x46yxx_crise-financiere-entretient-avec-be_politics
Voir aussi l'entretien avec l'économiste
Michel Aglietta. Tout à fait stupéfiant...
http://rue89.com/2008/03/20/michel-aglietta-une-crise-aussi-grave-que-celle-de-1929
* J'ai tendance à penser (mais je n'engage que moi) que dans le débat relancé médiatiquement sur l'euthanasie (à propos de Mme Sébire qui souffrait et avait le visage déformé et qui est morte le 19 mars) j'ai tendance à penser, donc (bien que non croyant) que ce sont plus les forces de mort que les forces de vie qui sont à l'œuvre dans ces campagnes médiatiques pour le droit à mourir dans la "dignité". Je ne parle pas ainsi de Mme Sébire, mais de la campagne lancée en la prenant comme support. Le philosophe Jacques Ricot a beaucoup travaillé ce type de questions sur la vie et la mort, et s'est engagé dans un ensemble d'actions (formation du personnel hospitalier en particulier). Ses publications sont nombreuses. On trouvera par exemple un article (non daté) intitulé "Philosophie et euthanasie" à l'adresse
http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/philo/philosophie_et_euthanasie.htm
* Un documentaire assez bouleversant (au sens de bouleverser les idées reçues) a été diffusé récemment à la télévision sur les pratiques mondiales de la société Monsanto. (Le monde selon Monsanto, Arte, le 11 mars).
Marie-Monique Robin, Le monde selon Monsanto, préface de Nicolas Hulot, Editions La découverte Arte, 372 pages, 20 euros, dépôt légal mars 2008.
Remarquons que la méthodologie de l'enquête de Mme Robin est parfois contestée, par exemple par M. Kuntz, directeur de recherche au CNRS à Grenoble.
Vers une société de fichage généralisé ?
Le 15 octobre 2007
Dès
1791, (l’idée n’est donc pas neuve…) Jeremy Bentham concevait le «Panopticon»,
figure architecturale où, depuis un point central, une tour, le surveillant peut
contrôler tout le cercle du bâtiment divisé en alvéoles, tandis que les
surveillés, logés dans des cellules individuelles qui ne communiquent pas, ne
peuvent voir le surveillant.
Il élaborait ainsi un modèle de société
utopique, qui, à cette époque, n’a pas vu le jour. Cette analyse débute le livre
de A. Mattelart : La globalisation de la
surveillance.
Les développements des fichiers informatisés, leur
interconnexion font que nous n’en sommes plus si loin maintenant.
En
1978, en France, eut lieu un vaste débat sur un projet issu du ministère de
l’intérieur (le projet élégamment nommé Safari). Ce projet permettait
l’interconnexion des fichiers nominatifs grâce au numéro de sécurité
sociale.
Les responsables politiques, les différents courants d’opinion et
autorités morales ont réalisé toutes les atteintes aux libertés publiques et
individuelles que ce projet portait en germe.
Fut votée en 1978 la loi
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui protégeait les
libertés des citoyens, et fut créée la commission nationale de l’informatique et
des libertés (CNIL).
Ce dispositif, l’un des plus éclairés du monde, a
depuis été largement entamé, dans l’ignorance et l’indifférence générales de
l’opinion publique, en particulier en 2003 et 2004 par des lois « Sarkozy » et «
Perben ».
Les libertés individuelles sont beaucoup moins protégées, les
pouvoirs de la CNIL largement diminués.
Récemment, le président de la
CNIL Alex Türk déclarait que, dans quinze ans, nous nous réveillerons en
réalisant que nous sommes dans une société de fichage généralisé, mais qu’il
sera trop tard pour faire marche arrière.
Alex Türk n’est pourtant guère
suspect de fanatisme gauchiste, puisqu’il est par ailleurs sénateur
UMP.
Quelques exemples tout récents, parmi des milliers d’autres
:
- Le passe Navigo de la RATP, qui remplace
progressivement les autres titres de transport, permet le suivi nominatif des
déplacements de chacun.
On peut, certes, acheter un passe anonyme, mais c’est
plus cher !!
On peut se demander pourquoi un suivi nominatif.
La lutte
contre la fraude pourrait se faire grâce à un suivi par numéro lié à la carte.
De même, les études de fréquentation des lignes, de mouvements de population, ne
nécessitent pas le nom.
Alors ? Bon, dira-t-on, mais quel inconvénient, je
n’ai rien à me reprocher.
Pas si sûr…
Il faudrait se demander par qui et
pour quoi les données nominatives pourront être utilisées ?
Par la police,
pour surveiller les déplacements de ceux qui ne pensent pas bien? (Exemples :
réunions politiques, points de rendez-vous pour des manifs).
Par les
détectives privés pour surveiller la vie privée ?
Par les entreprises, pour
l’espionnage économique ?
Lorsqu’un fichier existe, grande est la tentation
de s’en servir, surtout en cas de passage à un régime politique plus
autoritaire. (Voir les feuilletons policiers américains : les USA n’ont pas de
loi informatique et libertés, et l’on accède donc très facilement aux données
personnelles de chacun).
- le fichier « Base élève » :
dans l’indifférence générale de l’opinion publique et de la plupart des
syndicats d’enseignants (et malgré la mobilisation de la ligue des droits de
l’homme), l’éducation nationale met en place dès l’école maternelle un fichier
où tous les élèves seront repérés par un identifiant.
Ce fichier comporte
pour chaque élève tout un ensemble de renseignements sur sa scolarité (résultats
aux évaluations, retards scolaires, suivi par les réseaux d’aide, etc.).
En
interne à l’éducation nationale il a été décidé que le nom de l’élève ne
remonterait qu’au niveau strictement nécessaire, et que, autrement, seul le
numéro remonterait.
Mais aucune décision claire n’a été prise sur les
partenaires qui auront le droit d’utiliser le fichier base élèves.
En
particulier les maires, mais aussi sans doute, du fait de la loi Borloo, les
travailleurs sociaux, la police, la justice pourront avoir un large accès à base
élève.
Or en quoi un maire a-t-il besoin des noms des élèves suivis par le
réseau d’aide ? Et pourquoi d’autres institutions comme la police ou la justice
y auraient-elles éventuellement accès ?
Pour l’instant, il n’est pas envisagé
de préciser exactement qui aura accès à quoi, et les renseignements nominatifs
relatifs à chaque élève risquent de connaitre une large
diffusion.
- le fichier STIC : il est en général
complètement ignoré de la population.
Dans le fichier STIC les forces de
police stockent les infractions « constatées » sans qu’il y ait besoin de
décision de justice.
Ce fichier est très large, puisque sont inscrits dans
cette liste toutes les personnes mentionnées dans une procédure judicaire, les
témoins, les plaignants, les victimes comme les suspects.
Le tout sans suivi,
c'est-à-dire que le fichier ne prend pas en compte l'issu de la procédure
judiciaire, à commencer par la mise hors de cause des suspects.
Chacun peut
donc être dans STIC sans le savoir.
Or l’embauche pour certaines professions
(sociétés de gardiennage par exemple) nécessite une autorisation de la
préfecture, qui s’appuie sur STIC pour délivrer l’autorisation.
Pas grave
dira-t-on, je vais demander à consulter ma fiche dans STIC.
Impossible : les
particuliers ne peuvent y accéder, ils doivent passer par la CNIL.
Or,
récemment encore, par suite du manque de moyens, la CNIL mettait plus de deux
ans à répondre aux demandes concernant STIC.
On l’a vu, la tentation de
surveillance généralisée est constante au fil de l’histoire.
L’immense danger
actuel vient du fait que, grâce à l’informatique, cette surveillance généralisée
est devenue possible.
Sous l’effet du conditionnement de l’opinion sur les
questions de sécurité, et de la lutte contre le terrorisme, les sociétés
démocratiques en arrivent à supprimer leurs propres libertés pour éviter que
d’autres ne les suppriment…
De façon générale, l’opinion publique,
soucieuse de sécurité, n’est pas du tout inquiète de ces évolutions : je n’ai
rien à me reprocher, ce sont les autres qu’il faut surveiller…
Et puis l’on
se réveille un jour en s’apercevant que, en fait, on était aussi concerné, mais
il est trop tard…
Dès maintenant, chacun de nous est « profilé » en tant
que consommateur, ses centres d’intérêt sont fichés par Google, de multiples
fichiers constitués parfois à son insu contiennent des renseignements dont il
n’a pas conscience et dont il ne sais pas par qui ils peuvent être utilisés.
En 1930, les juifs n’avaient rien à se reprocher, mais on s’en est
chargé pour eux.
Le drame a été épouvantable, il aurait été encore bien pire
si la population avait été soumise à un fichage généralisé, que les nazis
auraient eu plaisir à trouver et à utiliser.
Les partisans de la
république espagnole, (état légal), les partisans de Allende (légalement élu)
n’avaient eux non plus rien à se reprocher. Mais là encore on s’en est chargé
pour eux…
A penser toujours que le fichage ne concerne que les autres,
chacun de nous risque de forts mauvaises surprises le jour où les lois
deviendront plus répressives (et la démarche a déjà commencé), ou encore le jour
où le régime deviendra totalitaire ou la société plus inquisitrice.
La
société de transparence dont certains rêvent se rapproche étrangement du
Panopticon de Bentham. Chacun sera repéré dès sa naissance par son ADN, et vogue
la galère…
Jean-Michel Bérard