[alerte] - JM Bérard - 17 janvier 2014

Sommaire

Oui, oui, oui la « vie privée » du Président de la République concerne le fonctionnement de l’État

Un rien m'étonne

Liberté, liberté chérie : Valls et Dieudonné

Que faut-il apprendre à l'école ?

La vie politique à l'écran : c'est ben vrai !

Conférence de presse du président

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Tous les textes de ce numéro sont en diffusion libre, à condition de préciser l'auteur, JM Bérard, et la date, 17 janvier 2014. Outre la consultation de ce site, vous pouvez revoir les lettres par liste de diffusion, en demandant à jean-michel.berard   orange.fr

Oui, oui, oui la « vie privée » du Président de la République concerne le fonctionnement de l’État

Article écrit le matin du 14 1 2014, avant la conférence de presse du président.

La question de la « vie privée » du président est posée de façon à mon avis totalement absurde par les médias, les sondages, les commentaires : plus de 80 % des sondés disent que cela ne regarde que les intéressés, comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre de boulevard où l'on ne sait pas si l'amant est dans le placard ou sous le lit. On n'est pas aux USA, nous dit-on, et l'affaire Monica Lewinsky n'aurait pas chez nous le retentissement qu'elle a eu là-bas.

C'est une façon absurde de voir les choses. Un président de la république n'est pas une personne comme une autre : il a un travail à faire, il détient des secrets d'état, il peut être soumis à des pressions de gouvernements étrangers, de milieux économiques et financiers ou d'ennemis politiques, il doit être joignable dans la seconde pour prendre des décisions cruciales. Il me semble qu'il n'a pas le droit de mettre en jeu tout cela en ne respectant pas des règles minimales de professionnalisme.

Comprenons bien : je ne dis pas que la « dignité » du président doit lui imposer une vie analogue à celle de C. et Y. de Gaulle qui payaient même les repas lorsqu'ils invitaient leur famille à l’Élysée. (Quoi que... ce n'était pas si mal.)

Je dis simplement que lorsque J. Chirac a été hospitalisé pour une accident cérébral on a eu tort de ne prévenir personne, en particulier pas le ministre de l'intérieur Sarkozy, même si celui-ci était son ennemi juré. La continuité de l'état n'était pas assurée.

Je dis simplement que, s'il est vrai que F. Mitterrand avait coutume de se promener dans Paris à pied sans son service de sécurité il avait tort.

Les médias et l'opinion publique traitent avec un clin d’œil coquin les questions concernant la vie sentimentale et sexuelle des personnalités. La vie était bien intéressante à Versailles lorsque Louis XIV avait de nombreuses relations, elle l'était moins sous Mme de Maintenon lorsque Louis XIV vieillissait ! C'est la théorie des « deux corps du roi ». Cette conception monarchique nous imbibe.

Là n'est pas du tout la question. Tous les présidents de la cinquième république ont eu des vies sentimentales complexes. Sauf de Gaulle (quoi que... j'entends ce matin à la radio que...), et sauf, je crois, Pompidou. Cela n'a hélas pas mis Mme Pompidou à l'abri de campagnes de calomnies épouvantables, de photos truquées, dont on n'a jamais su le fin mot. Je crois (mais si je me trompe vous me renseignerez) que cette vie complexe n'a posé aucun problème pour Chirac, justement parce que cela n'était pas vraiment secret et que cela ne pouvait donc servir de moyen de pression.

Je crois que Giscard avait tort de partir seul la nuit au volant de sa 504 sans prévenir les services secrets. Je crois que le fait de préserver le « secret » de l'existence de sa fille Mazarine a conduit Mitterrand à des pratiques nuisant aux libertés.

On voit bien à quel point ces conduites complexes sont un trésor pour les services secrets étrangers et pour les ennemis politiques. Comment Strauss Kahn pouvait-il envisager une seconde d'être président alors qu'il savait bien que ses façons de vivre le mettaient sous la coupe de n'importe quelle pression ?

Pour en revenir à F. Hollande : d'accord, il allait rendre visite à son amie sur un scooter de l’Élysée conduit par une personne du service de sécurité et accompagné par un autre scooter de l’Élysée... Il était donc sous protection. (Bon, passons sous l''aspect un peu ridicule. Pourquoi pas en voiture confortable ? ) Mais on découvre tout de même que le service de sécurité a mal travaillé, que l'appartement où se rendait Hollande était peut-être lié d'une façon ou d'une autre au grand banditisme, que le service de sécurité ne s'est pas rendu compte que le président était filé par le journal Closer. Mitterrand le florentin savait s'entourer de groupes de protection efficaces, durs et cloisonnés alors que Hollande ne connaît rien à ce type de questions. On apprend que son service de sécurité est peut-être influencé par des personnalités liées à Sarkozy, pour qui tout cela est un cadeau du ciel. De toute façon si j'étais François Hollande j'éviterais soigneusement tout ce qui peut me mettre sous la coupe de Manuel Valls, ministre de la police, un vrai ami de Hollande. (C'est de l'humour...)

Compte-tenu de la nature de la fonction, la vie privée d'un président de la république ne peut être traitée comme celle de tout un chacun. Rappelons-nous que, bien après avoir quitté leurs fonctions, les présidents de la république et les premiers-ministres sont protégés par les services. Pas pour la gloriole : parce qu’ils détiennent des secrets d'état que l'on ne peut prendre le risque de livrer à n'importe qui.

Closer devait-il publier cet article ? Non bien sûr crie l'opinion publique tout en se précipitant pour acheter le journal et en se connectant aux sites internet montrant tout... Ce qui me préoccupe moi c'est que si Closer le savait, tout le monde le savait, en particulier les services secrets étrangers, les officines sarkozistes, les services de Manuel Valls, et tous ceux que j'ignore. On imagine les scénarios à la Borgen (ce remarquable feuilleton sur la vie politique au Danemark) avec des rencontres nocturnes en donnant donnant : tu laisses tomber les affaires de Karachi et l'on n'embêtera pas les enfants de Mme Gayet...

Juste pour rire, quoi que : on devrait peut-être, comme pour la fortune, imposer une clause de transparence. Si pas de secret, pas de pressions... Tel homme politique de premier plan a estimé que son homosexualité pouvait peut-être parasiter son action politique. Il l'a donc dès le début rendue publique. Mises à part quelques tentatives d'humoristes minables, je ne crois pas que cela lui ait beaucoup nui. Ou alors, si l'on choisit de garder les secrets, il faut être très florentin et cruel, comme Mitterrand. Mais cela suppose un long entraînement.

Libération publie un article sentencieux et complètement hors sujet : cela pose le problème du statut de la première dame. En France au contraire des USA il n'y a pas de première dame. Il faut peut-être, compte-tenu des évolutions de la société, revoir le protocole national et international qui considère que les personnalités politiques sont en couple. Mais un statut... Tant que vous êtes président, vous n'avez pas le droit de changer de compagne ? Il est vrai que l'on ne sait pas pourquoi Carla Bruni ou Valérie Trierweiler avaient ou ont un bureau à l’Élysée. La presse a en revanche été injuste à l'égard de Mme Chirac : elle n'exerçait pas d'influences illégitimes, elle était fort bien élue et fort active et efficace au conseil général de Corrèze.

Je persiste : le problème n'est pas du tout de savoir s'il est « bien » ou « mal » que le président ait une vie de personne en dehors de ses fonctions. Le problème est de savoir si l'exercice de cette vie lui permet d'exercer ses fonctions sans trop risquer de pressions, de chantages, d'indisponibilités, en clair de faire librement son travail.

***

Un rien m'étonne

* J'ai reçu une très jolie photo d'un grand oiseau blanc nageant à la surface d'un lac, avec pour légende « un cygne pour le nouvel an. » Facile ? Peut-être mais j'aime bien. D'autant plus qu'avec la baisse du niveau d'orthographe on a conscience d'appartenir à une élite lorsqu'on comprend le jeu de mots. (Non non, ne vous fâchez pas en défendant le certif, c'est de l'humour.) J'ai essayé avec « un canard pour le nouvel an » (pour attirer l'attention sur la situation de la presse), « une carpe pour le nouvel an » (pour défendre la liberté de parole), « un aigle noir pour le nouvel an », (allusion à la chanson de Barbara, pour lutter contre l'inceste dont chacun sait qu'il se pratique souvent en famille (c'est de l'humour) ), « une oie pour le nouvel an », (ce que nous oyons, l'oie l'oit-elle, pour protester contre le gavage de la désinformation). Au total cela marche moins bien que le cygne.

* Ce 13 janvier 2014 le journaliste qui présente la revue de presse sur France Inter dit que Le Figaro parle d'une personnalité connue qui doit faire face à « l'étalement » de sa vie privée. Étalage médiatique, sans doute, mais étalement ? Qui trop embrasse ? C'est une conception de la vie : la vie privée doit être restreinte, privée, limitée, sans étalement ? Une amoureuse ça va, deux amoureuses on s'étale, c'est l'étalement.

* On n'en est pas encore à la situation constatée en Angleterre ou en Allemagne, où dès qu'un piéton est sur le trottoir au bord d'un passage pour piétons les automobilistes s'arrêtent avant même qu'il ait mis un orteil sur la chaussée. Mais tout de même il me semble que, pour les piétons, la situation en France progresse de ce point de vue. Du coup je suis très désemparé devant un conseil de savoir-vivre qui figure dans un traité datant de 1950 : lorsqu'un automobiliste vous laisse passer, il est grossier de le remercier par un petit signe de la main. Il faut soulever son chapeau. Cela veut-il dire que en 1950 les femmes (qui étaient dûment chapeautées mais de façon inamovible) ne sortaient pas et ne traversaient pas la rue ? Ou qu'aucun automobiliste ne les laissait passer ? Ou alors qu'une femme n'avait pas à remercier un homme, puisqu'il allait de soi qu'il la laissait passer ?

* Zetétique, ce que parler veut dire

Note pour initiés : les spécialistes de zetétique auront remarqué, dans l'article précédent, l'effet paillasson. Mettre un orteil sur la chaussée veut dire « poser la pointe de sa chaussure sur la chaussée. ». C'est comme pour les paillassons « essuyez vos pieds ». J'ai essayé de prendre les choses au pied de la lettre, si j'ose dire : arrivé devant la porte, j'enlève mes chaussures et mes chaussettes, j'essuie mes pieds et je remets mes chaussures et mes chaussettes. Essayez, vous vous taillerez un petit succès auprès des infirmiers du Samu psychiatrique. Pour zetétique voir

http://fr.wikipedia.org/wiki/Z%C3%A9t%C3%A9tique

Bon, allez, soyez sérieux, vos histoires de chaussures et de pieds, c'est un peu du pinaillage... Vous trouvez ? Qui appelle « charges sociales » (les charges, c'est lourd et pesant) ce qui fait simplement partie du coût du salaire ? Qui appelle « société d'assistés » une société de solidarité ?

* Une fois de plus certains de vous (au moins trois) m'ont reproché amèrement l'humour au second degré de la lettre [alerte], qui passe mal sur internet et est élitiste. Sans compter tous ceux qui n'ont rien dit, et tous ceux qui ne lisent plus la lettre. Bon d'accord, mais c'est comme cela que j'écris. Et puis sinon la lettre ne serait vraiment pas rigolote. Dans le présent numéro chaque fois que c'est de l'humour volontaire, j'ai mis « c'est de l'humour », mais c'est tout de même nettement moins rigolo et un peu relou, car cela a l'air de supposer que vous ne comprenez pas l'humour spontanément. Lorsque c'est de l'humour involontaire je n'ai rien mis, car je ne m'en suis pas rendu compte. La prochaine fois j'inaugurerai une nouvelle forme d'expression en mettant « c'est de l'humour » lorsque cela n'en est pas, pour mettre un peu d'ambiance.

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Liberté, liberté chérie : Valls et Dieudonné

J'étais embarrassé, dans la lettre précédente, quant-à l'interdiction du spectacle de Dieudonné. Je le suis toujours autant. Les terroristes du 11-septembre, les Dieudonné et autres montrent les limites de la démocratie : si l'on ne fait rien on laisse se développer le terrorisme ou s'exprimer l'antisémitisme. Mais pour faire quelque chose on est obligé de restreindre les libertés : créer Guantanamo, écouter et ficher le monde entier, interdire des spectacles ou des dessins. Pour la démocratie, c'est perdant-perdant. Le drame actuel est que la démocratie n'est faite pour fonctionner qu'avec des démocrates qui en acceptent les principes. Dès qu'on sort du cadre, c'est l'impasse.

La notion de risque d'atteinte à l'ordre public invoquée par Manuel Valls (un vrai démocrate... C'est de l'humour.) pour interdire les spectacles de Dieudonné est lourde de menaces liberticides. C'est à l’État de défendre la liberté d'expression et l'ordre public. On voit bien les risques : tel groupe, tel courant idéologique est contre un spectacle, contre un journal, contre des dessins. Il menace d'organiser des manifs, ou même en organise. Normal, on en dans un pays où existe la liberté de manifester. Le rôle de l’État devrait être de défendre la liberté d'expression et de poursuivre si le contenu est en contradiction avec la loi (racisme, atteinte à la dignité humaine) pour que la justice puisse trancher. Avec Valls, l’État dit a priori « j'interdis le spectacle pour risque d’atteinte à l'ordre public. » Je vois déjà certains d'entre vous scandalisés par mes propos : comment peut-on tolérer l'antisémitisme ? Et c'est bien là qu'est le piège. Dieudonné nous conduit à prendre des mesures liberticides contre des propos intolérables. Les propos sont intolérables, mais les mesures n'en sont pas moins liberticides. Remarque pour rire jaune : Manuel Valls, un vrai démocrate (c'est de l'humour) a contesté par avance le contenu du futur nouveau spectacle de Dieudonné. Ça, c'est comme la rétention de sûreté inventée par Sarkozy : on garde des gens en prison non pas pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils risquent de faire. La destruction des tours de New-York a donné le prétexte à des mesures liberticides d'une ampleur mondiale difficile à imaginer. Les provocations ignobles de Dieudonné ouvrent la voie pour que les vrais démocrates comme Valls (c'est de l'humour) portent atteinte à la liberté d'expression. Les quelques analyses sensées de la ligue des droit de l'homme à ce sujet sont bien inaudibles, hélas.

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Que faut-il apprendre à l'école ?

Tout, c'est bien connu !

Je relève dans la revue en ligne « le café pédagogique » le 10 janvier 2014 l'article suivant : Culture scientifique et technique : Quand l'OPECST refait la loi d'orientation
Rendu le 9 janvier, le rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques apporte des propositions pour donner à la culture scientifique et technique une vraie place dans la société française. Au point de vouloir redessiner toute l'éducation nationale sous cette seule perspective.
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/01/10012014Article635249349735348812.aspx

Je n'ai même pas pris la peine de cliquer sur le lien. Je suis bien sûr absolument convaincu que la culture scientifique et technique fait partie intégrante de la culture générale et qu'elle est actuellement bien injustement négligée. Mais la manie des tenants des disciplines de vouloir considérer que l'enseignement de leur propre discipline est la solution à tout est hallucinante.

On est en ce moment en présence d' une offensive forte de l'académie des sciences pour soutenir que les sciences du numérique (algorithmique, programmation) doivent être enseignées dès le primaire. C'est ben vrai, ça. Et comment former des élèves sans leur enseigner la peinture au pinceau à trois poils évoquée par Borgès ? Et le tango argentin, indispensable à la maîtrise du rythme, du corps et de la relation à l'autre. (A dire vrai, pour le tango argentin, je ne plaisante pas vraiment.)

Au moment où l'on remet à juste titre en cause une école souvent purement transmissive, au moment où les nouvelles techniques d'information imposent de réorganiser les modes d'apprentissage et d'évaluation, au moment où une école fondée sur une juxtaposition de disciplines jalouses de leur domination n'a pas fait la preuve de son succès, voir Pisa, le ministre Peillon souhaite à juste titre une refondation de l'école. Et toc, les lobbys disciplinaires montent au créneau « et moi et moi et moi... ». Je veux bien que l'enseignement de l'informatique soit la solution à tout. Mais c'est comme lorsqu'on dit qu'il faut réduire la dépense publique sans dire ce qu'il faut supprimer. On rajoute l'informatique à tout le reste ? Ou alors on restructure, on supprime, on réorganise ? Il faut être honnête et dire comment, sans supposer que l'on va rajouter sans limite.

Face à des réactions si puissamment corporatistes lancées par les différentes disciplines, j'admire la détermination de F. Peillon qui a mis en place un conseil supérieur des programmes et suis plein d'espoir devant les premières pistes annoncées par cet organisme. Mais la puissance des lobbys est telle, et le temps politique laissé à tout ministre est si court que j'ai des doutes. Un syndicat a déjà décidé que le vrai problème est celui du salaire des enseignants. Fermez le ban. (Ban, pas les bancs de l'école. C'est de l'humour lourd.)

Un petit grain de sel personnel. On dit souvent que les « fondamentaux » de l'école sont le lire écrire compter. Je pense qu'il y manque un volet : parler, s'exprimer, échanger, argumenter. Je ne dis pas cela pour soutenir une discipline, justement pas. Mais dans tous les champs de l'école il nous faut développer le « parler », utiliser la parole pour comprendre, s'exprimer, créer, échanger avec d'autres. Dans tous les échanges rationnels, il faut apprendre à s'assurer de ses sources, à ne pas en rester aux évidences des idées reçues, aux pièges des phrases qui commence par « chacun sait que ». Dans tous les échanges rationnels, il faut apprendre à ne pas confondre concomitance (deux événements ont lieu en même temps) et causalité (l'un est la conséquence de l'autre.) Dans tous les échanges rationnels, il faut savoir appliquer à bon escient quelques règles logiques élémentaires : le « contraire » de « aucun » n'est pas « tous », mais « il existe au moins un », et autres principes logiques de base. J'ai répété en leitmotiv « dans les échanges rationnels » : cela ne vaut pas pour les échanges littéraires, poétiques, esthétiques, sentimentaux, les relations interpersonnelles... qu'il serait bien dramatique de vouloir codifier. Mais le fait de pouvoir échanger de façon rationnelle n'est-il pas la condition du débat argumenté entre citoyens ? Je ne suis pas naïf : les croyances, les certitudes de l'opinion publique sont rarement raisonnables, elle ne peuvent facilement être raisonnées. Mais lorsqu'on nous assène « il y a plus de naissances dans les maternités les nuits de pleine lune » (ce qui est faux, même si tout le monde le croit) ou « la peine de mort réduit la délinquance » on pourrait au moins prendre l'habitude de se demander : sur quoi est fondée cette affirmation ? Quelles enquêtes permettent de nourrir ce débat ? Lorsqu'on nous serine que la méthode globale d'apprentissage de la lecture est la source de tous les maux, on pourrait avoir pour réflexe de se dire : sur quelles études est fondée cette affirmation, sans en rester à une évidence spontanée. Je ne souhaite pas que l'on rajoute un champ disciplinaire dans les cursus scolaire, je souhaite que chaque citoyen acquière à l'école les outils du débat argumenté. On nous dit que, depuis au moins le Siècle des Lumières, l’École forme des citoyens doués de raison. Cela ne vaut que si l'école ne se borne pas à transmettre des connaissances toujours plus nombreuses sans donner en même temps les outils intellectuels pour les utiliser.

Remarque, mais cela devra faire l'objet d'autres articles : il me semble indispensable qu'existent des curriculums nationaux qui définissent ce que la société attend de son école. Ce n'est pas à chacun dans son coin (parents, profs, employeurs) de décider seul du rôle de l'école. Deuxième remarque, plus complexe et qu'il faudra que je travaille pour mieux l'expliciter : qu'on le veuille ou non, toute connaissance scientifique se réfère à un champ disciplinaire. Lorsqu'on dit à l’école maternelle « l'eau bout » on fait référence au concept d'ébullition étudié dans le champ universitaire des science physique. Dire « l'eau bout » ce n'est pas la même chose que de dire « la surface de l'eau bouge, s'agite, l'eau est chaude. » C'est dire cela, à l'école maternelle, mais on verra plus tard que cela veut aussi dire beaucoup plus que cela. (Pallier d'ébullition, température d'ébullition dépendant de la substance, variation avec la pression...) Les pratiques ultradisciplinaires dans les méthodes d'enseignement conduisent à des catastrophes. Mais cela ne doit pas conduire à une erreur épistémologique du genre « tout est relatif, ma bonne dame. » Il faut faire évoluer des méthodes d'enseignement trop cloisonnées, mais il existe des connaissances, rattachées à des champs universitaires disciplinaires ou pluridisciplinaires.

Remarque 1 : En Alsace, on a fait des études statistiques sérieuses qui montrent qu'il y a beaucoup plus d'enfants qui naissent dans les zones où il y a plus de cigognes. (C'est vrai). Cela vient comme un cheveu sur la soupe ? Non non je vous assure cette phrase n'est pas écrite là par hasard. Voir zetétique.

Remarque 2 : Appel personnel à A. : on en a parlé souvent, ce que tu penses sur le « parler lire écrire compter » enrichirait utilement cet article. Tu m'a déjà promis au moins trois fois d'écrire quelque chose...

Vous trouverez dans documents [alerte] les fiches connaissance exprimant, pour les enseignants du primaire, les dix connaissances qui permettent de se repérer dans l'enseignement des sciences au primaire.

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La vie politique à l'écran : c'est ben vrai !

Je vous ai déjà parlé du film remarquable « L'exercice de l'Etat », qui trace au scalpel la description du fonctionnement (réel) des institutions politiques. 2011, Pierre Schoeller, avec Michel Blanc. Vous connaissez mieux que moi tous les moyens de voir un film quelques années après sa parution, par exemple en achetant le Dvd. A ne manquer sous aucun prétexte, quelles que soient vos préférences politiques.

Je vous ai aussi dit grand bien du film « Quai d'Orsay » de Bertrand Tavernier, qui décrit avec verve et pertinence le fonctionnement du cabinet d'un ministre des affaires étrangères, d'après la bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac/Antonin Baudry. Je vous le recommande, c'est beaucoup plus intéressant que je ne l'aurais cru a priori.

Tout cela pour dire que, jusqu'à ces derniers jours et l'étalement (!) de ses rencontres avec le président, je n'avais jamais remarqué que l'actrice Julie Gayet joue dans Quai d'Orsay. Les voies de la notoriété sont surprenantes. On peut jouer dans Quai d'Orsay et rester totalement inconnue du grand public, et puis soudainement...

Qui aurait prévu dans son village, durant toute sa vie, que Jeanne-Marie Le Calvé deviendrait célèbre non pas grâce à la façon rigoureuse dont elle exerça pendant des décennies son métier de garde-barrière (aucun accident) mais du fait du contrat qu'elle passa à 79 ans, en tant que Mère Denis, avec une marque de tondeuses à gazon. De machines à laver ? Ah oui, vous avez peut-être raison, de machines à laver.

Ad augusta per angusta.

Je ne voudrais pas être mal compris : je ne connais pas la vie privée de J. Gayet, je ne mets en aucun cas en doute sa sincérité et n'insinue absolument pas qu'elle soit intéressée.

Que l'on ne me fasse pas non plus de procès d'intention. On ne peut pas du tout comparer avec Carla Bruni, qui était déjà très connue comme mauvaise chanteuse avant de rencontrer Nicolas Sarkozy. On doit reconnaître que le fait d'avoir épousé le président n'a nullement changé sa réputation de mauvaise chanteuse, c'est tout à son honneur. Pour le président Sarkozy, c'est plus complexe. On peut aimer une femme sans aimer ce qu'elle chante ? On a oublié de lui dire qu'elle était chanteuse ? Il ne sait pas ce qu'est la musique ?

Je ne critique pas non plus la mère Denis. Les films qu'elle a tournés n'avaient rien de déshonorants ou d’humiliants pour elle, la marque de machines à laver y a trouvé son compte et elle y a manifestement trouvé du plaisir en prenant une distance ironique, c'était gagnant-gagnant.

Je pointe juste la complexité des mécanismes de la notoriété et du monde médiatique.

Il me semble que cet article n'est désobligeant ni pour Mme Le Calvé ni pour Mme Gayet. Si je fais une erreur d'appréciation, je les prie de m'en excuser.

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Conférence de presse du président

Entendu sur France Inter le 15 1 2014 : avec les socialistes on n'attendait rien mais on est tout de même déçu. (Je n'ai pas eu le temps de noter l'auteur).

Pour résumer la conférence de presse, Le Monde titre de façon ahurissante « Hollande impose à la gauche le choix de l'entreprise ». Hollande impose à la gauche une certaine conception de la relance économique, que l'on appelle politique de l'offre : baisse du coût du travail (et donc d'une façon ou d'une autre baisse des salaires directs ou indirects), baisse des dépenses de l'état, méfiance vis à vis de la solidarité sociale et de ses « abus ». Les entreprises ne financeront plus les allocations familiales. (Qui paiera?) Il se trouve que cette analyse rejoint point par point celle du patronat. Or dans une entreprise il y a aussi des travailleurs... Hollande impose à la gauche une analyse qui oublie fortement les intérêts des travailleurs. Dans la phase actuelle de ruine de l'économie mondiale, rien ne prouve que cette politique échouera, ou qu'une autre aurait mieux réussi. A vrai dire, rien ne prouve qu'une politique quelle qu'elle soit pourrait réussir. Mais je suis choqué que l'on parle de l'intérêt de l'entreprise lorsqu'on fait un choix déséquilibré qui oublie de considérer qu'il y a des travailleurs dans l'entreprise.

Bon, ce que je dis se discute... Voir sur Libé : qu'est-ce qu'une politique économique de gauche, et pourquoi une politique de l'offre ne serait-elle pas de gauche ?

http://rue89.nouvelobs.com/2014/01/15/pourquoi-politique-loffre-serait-gauche-249020

Sous réserve de réflexions ultérieures, il me semble que Hollande a choisi une politique déséquilibrée, au détriment des intérêts des travailleurs, qui pourtant eux aussi font partie de l'entreprise. C'est une politique que dans la tradition historique française on a coutume d'appeler « de droite ». Mais on me dit qu'à présent ces mots n'ont plus cours, qu'il n'y a plus de classe sociales, plus de droite ni de gauche. Cela aussi c'est une tradition idéologique française : lorsqu'on dit « il prend des positions idéologiques politiques » cela veut dire « il est de gauche ». Les idées de droite sont naturelles, les idées de gauche sont contre nature.

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fin de la lettre du 2014 1 16/ 16 janvier 2014