[alerte] N° 49 - JM Bérard - 18 juillet 2010

Sommaire du N° 49

  1. Faire société
  2. Alerte
  3. Citations et réactions de vous tous
  4. Des liens intéressants
  5. Bienvenue

1 Faire société

Une citation

Extrait d'un article de Perez Kemp, Libération, le 16 juillet 2010.

« Solon, grand législateur athénien [dans les années 600 avant JC] avait invité un jour chez lui le sage scythe Anacharsis, pour lui montrer l'immense travail de législation qu'il avait entrepris. Mais, à sa grande déconvenue, Anacharsis se moqua de lui : « Tu penses, Solon, pouvoir réprimer l'injustice et la cupidité de tes concitoyens par des lois écrites, mais celles-ci ne diffèrent en rien des toiles d'araignée : elles garderont captifs les faibles, qui s'y feront prendre, mais les puissants les déchireront. »

Bon, mais est-ce parce que cela existe depuis plus de 2500 ans qu'il faut maintenant s'y résigner ?

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Peut-on donner à sa fille le prénom de Térebentine ?

La térébenthine est un solvant bien connu. Térébentine (sans h) est le prénom de la fille de Cécile Duflot, figure politique éminente des Verts, et de Xavier Cantat. La térébenthine est faite à partir de résine de pin, ce qui évoque les Landes, région chère au papa de la pauvre enfant. Je pense à cela car l'une de vous me disait récemment « Je ne pourrais jamais voter pour quelqu'un qui appelle sa fille Térébentine ! »

Pourquoi parler de cela ?

Je précise tout de suite que ce n'est pas sur ce critère que se décideront mes votes, en faveur ou non des Verts et de Europe Écologie. Il faut analyser les positions de ces organisations, sans se limiter au prénom de Térébentine Cantat.

Il me semble que cette affaire de prénom est l'un des nombreux signes de la difficulté à définir un « socle commun », et des valeurs communes à une société.

A la fin de la troisième république, et dans une partie du XXème siècle, ce socle commun semblait aller de soi, issu du siècle des lumières, des luttes politiques et sociales, de la re-naissance de la république, des hussards noirs, et de toute cette sorte de choses.

Les livres d'histoire montraient la construction de l'unité de la France depuis Vercingétorix jusqu'à l'époque coloniale, les livres de mathématiques enseignaient la règle de trois, et, dans les livres de lecture, deux enfants faisaient le tour de la France, Erckmann et Chatrian décrivaient la dernière classe, les fables de La fontaine donnaient réponse à tout, et les livres de morale enseignaient sans sourciller que « bien mal acquis ne profite jamais. » Le consensus s'était construit, et semblait stable.

On en est loin. Il y a quelques années, le ministère de l'Éducation nationale avait défini une liste de livres de littérature pour enfants dont la lecture était souhaitable à l'école primaire. Cette liste était vaste, diversifiée, non obligatoire, mais a fait l'objet de violentes attaques dénonçant cette méthode « soviétique ». (Personnellement, j'y avais vu plutôt l'offensive souterraine d'éditeurs furieux que leurs livres ne soient pas dans la liste !). Plus de référence commune, plus de connivence possible sur la mouche du coche, la petite Cosette ou les enfants vêtus de peaux de bêtes.

Ces difficultés se sont accrues depuis quelques années, lorsque l'on a tenté de définir le socle commun de compétences et de connaissances que tout élèves quittant les système éducatif doit maitriser. La définition du « pilier » concernant les technologies d'information n'a posé aucun problème. Celui concernant les mathématiques un peu plus, à cause de la règle de trois. Mais les piliers concernant la littérature, l'histoire, les valeurs communes font encore polémique. La culture générale est-elle mondiales européenne, française, régionale ? Les valeurs, la morale, l'éthique sont-elles bien commun de l'humanité, ou reflètent-elles les normes qu'impose la classe dominante pour se maintenir au pouvoir, ou encore les normes des pays développés face au tiers-monde ? Quelles différences entre unité nationale, intégration, communautarisme ?

Le piteux débat sur l'identité nationale initié par le gouvernement visait à mon avis surtout à exclure ce qui semblait non conforme et à développer la haine de l'autre. Mais le vrai débat sur cette question reste à construire, en particulier grâce à la pratique associative et à une réflexion historique et philosophique solides et non opportunistes.

Et les prénoms, dans tout cela ? Même problème. Pendant longtemps, les parents ne pouvaient donner à leur enfant le prénom de leur choix. Même s'il n'existait pas de liste officielle de prénoms autorisés, un usage fort faisait que la liberté de choix était limitée.

Une instruction ministérielle de 1966 stipulait que « les officiers de l'état civil ne doivent se refuser à inscrire, parmi les vocables choisis par les parents, que ceux qu'un usage suffisamment répandu n'aurait pas manifestement consacrés comme prénoms en France. » (La confusion engendrée par la double négation reflète-t-elle une gêne ?)

Ces verrous ont sauté depuis la loi du 8 janvier 1993 qui stipule que

« Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère. L'officier de l'état civil porte immédiatement sur l'acte de naissance les prénoms choisis. Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel.

Lorsque ces prénoms ou l'un deux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. », etc.

J'y vois un double renversement :

  • Le « socle commun » que constituait une liste couramment admise de prénoms a volé en éclats. On peut y voir sans doute, entre autres, un effet de la diversité culturelle, de la perte de références aux calendriers religieux.
  • Mais surtout l'enfant, au lieu de s'inscrire d'emblée dans une société, devient, sous l'effet de l'individualisme croissant, propriété de ses parents. Noyau familial vs appartenance à une société constituée.

Je ne m'en réjouis pas. Je suppose que le procureur saisira le juge si quelqu'un nomme son enfant Nespresso, Loréal, Hitler ou Jésus Christ. Mais qui sait ? On a bien admis Térébentine. Ou encore Heaven Rain (qui sans doute sort couvert). Ou Marie-Ange-Gabrielle. Quoique, avec la perte de la culture religieuse, Ange Gabriel ne surprendra personne, et personne ne se demandera si cette petite fille est née par immaculée conception.

Mais tout de même, pauvres enfants.

La loi ne dit pas si, devenus grands, les enfants peuvent porter plainte contre leurs parents.

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Politique, conflit d'intérêts, sens de l'État

Le site « Mediapart » et son fondateur Edwy Plenel ont révélé plusieurs éléments montrant à quel point la notion d'intégrité et le risque de « conflit d'intérêts » semblent totalement étrangers à l'UMP et à l'entourage de Nicolas Sarkozy : l'épouse du ministre du budget gère la fortune de la femme la plus riche de France, alors même que cette femme pratique l'évasion fiscale en Suisse, sans être l'objet de contrôles. Le ministre du budget est en même temps trésorier de l'UMP, et à ce titre chargé de collecter des fonds pour son parti, auprès des contribuables qu'il devrait par ailleurs contrôler. Le même ministre du budget vend une partie de la forêt de Compiègne, bien appartenant à l'État, à une société hippique dont lui-même et son épouse sont proches. Ce ministre encore, par ailleurs maire de Chantilly, crée dans l'Oise un parti politique destiné à soutenir son action, parti qui n'a aucun adhérent mais reçoit des dons et des subventions... Tout cela a été fort bien décrit ces derniers temps, en particulier par le site Mediapart, qui a fait l'objet de la part de l'entourage de N. Sarkozy d'attaques violentes visant à le discréditer, avant qu'on ne réalise que, face à l'ampleur des révélations, ce contre-feu ne fonctionnait pas.

On lira avec intérêt le blog de J. Fournier et le blog de JC Vitran, cités au paragraphe 4 de ce bulletin.

Un deuxième aspect, tout aussi grave, soulevé par ces affaires est celui de l'indépendance de la justice. Le projet Sarkozy de réforme visant à supprimer les juges d'instruction indépendants est différé, mais pas abandonné. Or, dans l'affaire Woerth Bettencourt, les enquêtes sont actuellement confiées au procureur Courroye. La cour européenne des Droits de l'Homme considère que, sous les ordres du pouvoir politique, le procureur français ne peut être considéré comme un magistrat indépendant. C'est pourtant le procureur Courroye qui conduit l'enquête préliminaire. Au contraire de l'instruction menée par un juge, l'enquête préliminaire n'est pas une procédure contradictoire (où toutes les parties ont connaissance du dossier et peuvent se faire entendre). Elle est à la discrétion du procureur, qui peut à tout moment classer sans suite.

Depuis le 14 juillet 2010, les média font tout un tapage sur les perquisitions conduites avec tambours et trompettes chez des proches de Liliane Bettencourt et sur la mise en garde à vue de certains de ces proches, soupçonnée d'évasion fiscale. Première remarque : ces mises en garde à vue très médiatisées permettent de conserver l'apparence d'une justice indépendante. Deuxième remarque: dans toute cette agitation spectaculaire, seul le soupçon d'évasion fiscal est abordé, les autres problèmes sont éludés. . Troisième remarque : toutes ces actions laissent de coté pour l'instant le rôle du ministre Eric Woerth.

Je fais un pari : après avoir apaisé l'opinion publique en montrant à grand tapage que la justice est juste, le procureur Courroye, dépendant du ministre de la justice, classera l'affaire sans suite aux environs de la torpeur de la mi-août. J'espère perdre mon pari...

Je suis peut-être trop pessimiste, mais je trouve que cet affaiblissement des valeurs éthiques communes est tout à fait inquiétant

J'ai signé ce matin la pétition pour une justice indépendante.

APPEL DU 14 JUILLET

Pour une justice indépendante et impartiale

À propos des affaires Bettencourt

Les affaires Bettencourt qui dominent la vie politique française depuis plus de trois semaines donnent en spectacle une justice aux antipodes des principes directeurs du procès pénal et des exigences du droit européen récemment rappelées par la Cour européenne des droits de l'homme dans ses arrêts «Medvedyev».

Le procureur de la République de Nanterre comme le procureur général de Versailles, du fait de leur lien direct et statutaire avec le pouvoir exécutif, ne peuvent présenter aucune garantie d'impartialité.

Quant à la procédure d'enquête préliminaire privilégiée par le pouvoir dans ce dossier, elle est secrète et non contradictoire.

Il est urgent qu'une instruction soit ouverte et qu'elle soit confiée à un collège de juges indépendants respectant les règles du procès équitable, notamment la présomption d'innocence, le principe du contradictoire et les droits de la défense.

Le discrédit jeté sur notre justice ne doit plus durer.

Signatures de l'appel

http://www.mediapart.fr/club/blog/la-redaction-de-mediapart/140710/lappel-pour-une-justice-independante-et-impartiale

Si ce lien ne s'ouvre pas directement, faites un copier coller dans la barre d'adresses de votre navigateur.

Avertissement : le fait de signer implique que vous acceptez que votre nom soit diffusé sur le site de la pétition.

Remarque : ce 16 juillet le site mediapart indique que la pétition a reçu 11.000 signatures. Cela montre qu'ils ne savent pas que, en typographie française, on écrit 11 000 et pas 11.000, pour éviter la confusion avec la typographie anglaise, où le point remplace la virgule. Personne n'est parfait.

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2 Alerte

Tentative de synthèse d'un article de Caroline Fourest, La censure en un un clic , journal Le Monde, date non notée.

Thèse de l'article : des outils comme l'Ipad de Apple offrent de gigantesques ouvertures culturelles. Mais la sélection et la diffusion des contenus restent sous le total contrôle de Apple, qui peut à sa guise fermer le robinet.

Quelques extraits :

L'Ipad va changer en profondeur les métiers de l'édition et du journalisme. […] La lecture va redevenir à la mode. On pourra s'abonner à des centaines de journaux.

[…] Mais il faudra pour cela avoir acheté les contenus au travers de la plate-forme Apple. L'App Store devient dès lors l'unique librairie et l'unique kiosque à journaux. Le pouvoir de censure est concentré dans les seules mains de Apple, qui en a déjà abusé sur l'Iphone. Fin février, Apple a supprimé 5 000 applications à caractère « sexy ou pornographique ». à la suite de plainte de femmes qui les trouvent dégradantes et de parents inquiets. Une fois ainsi validé le principe de la censure sur simple clic peut devenir une guillotine.

[…] Cela peut toucher particulièrement la presse en ligne : Apple est un chef d'entreprise sensible aux plaintes de ses clients. La moindre ligne sur l'avortement, la sexualité, le préservatif, la religion pourrait couter à un journal en ligne d'être banni de l'Ipad par Apple.

[…] Si l'on n'obtient pas le non monopole de Appstore, et des conventions permettant la liberté rédactionnelle des journaux diffusés sur Ipad, des pans entiers de la liberté d'expression pourraient disparaître de l'horizon de l'information et de la culture communes.

Fin des extraits.

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3 Citations et réactions de vous tous

Je lis avec attention ce que vous m'envoyez, et en fais mon miel, sur la crise économique, les retraites, les centres d'appel, la mémoire de l'eau, le rôle des fonds souverains dans la spéculation, les ampoules à basse énergie, l'enseignement de la physique en France, la conservation de l'énergie… Pour l'intégrer dans les lettres [alerte], il aurait fallu que le rythme de parution de cette lettre reste régulier, au lieu de devenir un peu chaotique.

S'il vous plait, après cette phase de silence de ma part, continuez de m'écrire, le rythme de la lettre va redevenir plus régulier, et ce que j'écris ne peut se passer de ce que vous envoyez.

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4 Des liens intéressants

  • Le blog de JC Vitran et JP Dacheux

http://resistancesetchangements.blogspot.com/

Une part importante de ce numéro est consacrée à l'affaiblissement démocratique dont l'affaire Bettencourt-Woerth est le signe.

  • Le blog de Jacques Fournier

http://jacquesfournier.blog.lemonde.fr/

Un article intitulé « L'enveloppe est dans le deuxième tiroir », un article consacré au livre de Anicet Le Pors « Des racines et des rêve », un article sur l'Afrique du Sud, suite à un voyage dans ce pays avec son petit fils, pour y suivre le Mondial. (Mais oui...)

  • Le blog de Gilles Raveaud pour l'économie politique

http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud

Plusieurs articles sur l'enseignement des sciences économiques et sociales au Lycée.

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5 Bienvenue

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