[alerte] - JM Bérard - 2 février 2018

 

jean-michel.berard xx orange.fr

Table des matières

[alerte] - JM Bérard 2 février 2018

Sauvez votre propre vie

Referendum sur le fond de [alerte]

Partage

Vie quotidienne

Porter attention aux autres, ouvertures du regard

Ici tout n'est qu'ordre libéral et illusion, luxe et pauvreté

Montessori

Sources d'information

Un peu de sciences

Controverses scientifiques

Corrélation, causalité ?

Transhumanisme

Pour citer cet article

Une perspective déflationniste

Une philosophie expérimentale

Politique et transhumanisme

Logique sociale et utopie

Fin de la lettre du 2 février 2018

 

 


 

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Ce texte est écrit dans l’orthographe recommandée 1990

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Toutes les lettres[alerte] sont disponibles sur

http://alerte.entre-soi.info

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Sauvez votre propre vie

Lorsqu'on est victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d'un accident ischémique transitoire (AIT) le pronostic dépend de la rapidité des secours. Je vous en prie, prenez quatre minutes et dix secondes pour regarder ce film.

https://www.youtube.com/watch?v=8E9AvAfC2QM

Referendum sur le fond de [alerte]

L'un de vous, lecteur fidèle, me fait part de sa contrariété, sur le fond, de la lettre [alerte]. Ah non, les virgules sont en trop : de sa contrariété sur le fond de la lettre [alerte]. Les couleurs bleu pâle vert pâle que je choisis pour le fond des documents que je vous envoie le contrarient très fortement. Je lui ai promis d'écrire sur fond blanc, mais mon sens de la démocratie majoritaire m'oblige à vous demander votre avis. Ce référendum est évidemment réservé à ceux qui attestent sur l'honneur être des lecteurs réguliers de la lettre et m’envoient 10 euros pour frais de traitement. Je tiendrai compte de vos réponses sur ce sujet capital. Enfin bon, j'en tiendrai compte ou pas. Après tout c'est ma lettre et j'aime bien le bleu pâle et le vert pâle. Peut-être préféreriez vous la Marseillaise de Rude en fond d'écran : symbole de liberté, agrément sensuel.

Pour cette fois-ci j'ai choisi comme fond du pdf le fromage suisse, gruyère, emmenthal, je ne sais. Ce n'est pas du beaufort savoyard qui n'a pas de trous. Pour vous faciliter la lecture je joins aussi un pdf sans gruyère.

Le même lecteur me signale que le fichier pdf que je joins à mon envoi est mal chapitré. Si quelqu'un peut m'éclairer?

Partage

Hélas, j'attendais vos contributions.

Vie quotidienne

Porter attention aux autres, ouvertures du regard

Reçu de l'une de vous, LG : Je vous trouve beaucoup trop pessimiste dans votre description de l'indifférence quotidienne. Il me semble que les choses vont plutôt dans un sens d'ouvertures du regard, de bienveillance. Dans le métro, les voyageurs tiennent la porte avec un sourire ; dès qu'une maman doit descendre une poussette quelqu'un lui propose de l'aide ; dans la rue dès que l'on a l'air un peu perdu quelqu'un vous propose son aide ou celle de son GPS... Ma sensation personnelle est que les choses vont en s'améliorant.

Ici tout n'est qu'ordre libéral et illusion, luxe et pauvreté

Dans un supermarché le Nutella de marque Nutella, 4,70 euros, était soldé à 1,41 euros. (Vente à perte, interdite ? Ou, en régime normal, bénéfice de 3,29 euros, 233%.) Cela a provoqué une ruée. Expression des consommateurs : d'habitude on achète de la pâte à tartiner, là c'était du vrai Nutella, du luxe, c'était un peu comme si on buvait du vrai Coca Cola. Deux jours après le Nutella était revendu sur les sites pour 3 euros. Tout le monde y gagne : ceux qui l'ont acheté 1,41, et ceux qui peuvent l'avoir à 3 au lieu de 4,70. On vit dans un monde formidable. Source Arretsurimage, Daniel Schneidermann, je ne peux pas vous le communiquer c'est payant. Peut-être décrit-il les faits au travers de ses propres filtres ? J'aurais dû regarder la vidéo. Ce 1er février 2018 sur France Inter un ministre estime que, dans une société qui va de mieux en mieux grâce à notre président, ces analyses sociologiques n'ont aucune portée. C'est ben vrai : ce matin même, grâce à l'extension de la CSG, les salaires n'augmentent-ils pas de quelque chose comme 15 euros par mois, trois pots de Nutella ? Augmentation des salaires ? Certes, mais la CSG a aussi augmenté ! Magie, cette augmentation des salaires ne coûte pas un sou aux employeurs.

Montessori

Je suis bien perplexe. L'usage des méthodes Montessori et du matériel qui y est lié se répand, y compris dans les écoles publiques. Dans l'école maternelle de ma petite-fille je trouve positif l'usage que les professeurs en font. Et pourtant je reste perplexe : peut-on absolument distinguer l'inspiration des méthodes Freinet de la philosophie marxiste qui était la sienne ? Et n'y a-t-il vraiment aucune conséquence du fait que Montessori était la principale conseillère en éducation de Mussolini lorsqu'il était au pouvoir ? J'ai été déçu par l'article « Que pensait Freinet de Montessori » car cette question n'est à mon avis pas traitée au fond. L'un de vous aurait-il une réflexion à partager sur ce point ?

https://www.questionsdeclasses.org/?Ce-que-disait-Celestin-Freinet-de-Maria-Montessori

Un passage de Freinet cependant : Celle-ci s’accroît lorsqu’on voit Mme Montessori mettre son orgueil de reine au service du fascisme italien. Que sera-ce lorsqu’on saura comment Mme Montessori, fervente catholique, a essayé d’adapter sa pédagogie, son matériel, sa méthode à l’œuvre de bourrage et d’oppression que poursuit en tous temps l’Église.

Je trouve que ce passage est bien décevant, assez dogmatique : trop peu est dit sur les conséquences du fascisme ou de la religion sur les pratiques en classe de Montessori. Pour Freinet fascisme, religion sont en soi des analyses négatives, nul besoin d'en décrire les conséquences sur les pratiques pédagogiques. Je reste sur ma faim.

Sources d'information

L'un de vous, PP, m'apporte des journaux papier que je n'ai pas l'habitude de lire.

Fakir : plus connu autour de Amiens. Des articles percutants et pleins d'humour. La une du numéro de décembre 2017 janvier 2018 : trois petits cochons en salopette de travail lancent des briques sur un loup élégamment habillé qui s'enfuit en lâchant sa mallette. Titre et article de fond : n'ayons plus peur. La France a peur, une peur qui ronge les cœurs, une peur qui rétrécit les esprits, une peur qui enlaidit le pays. Alors, que les mots se libèrent, que la peur change de camp.

La décroissance : journal publié par « Casseurs de pub », 1er journal d'écologie politique, le journal de la joie de vivre. Exemple : un article de Serge Latouche. C'est désormais l'humanité même de l'homme qui est menacée. L'emprise de l'économie et de la technoscience ne cesse de s'étendre sur la planète. Dans ce monde toujours plus unifié, sommes-nous condamnés à n'être que des rouages d'une mégamachine dévorante, promis à la condition de bétail augmenté par les laboratoires transhumanistes ?

Pour, pour écrire la liberté : janvier 2018, spécial climat, Sauver le climat pour sauver le vivant.

A une lecture rapide tout cela pourrait évoquer des propos stéréotypés. En fait, en lisant bien...

Un peu de sciences

Controverses scientifiques

Le numéro Hors série 04219 de la revue La Recherche est consacré aux plus grandes controverses scientifiques. Tiens, la science ne serait donc pa un dogme, mais une connaissance en construction ?

* Edito : La vérité n'existe pas. Pour une revue traitant de sciences ce titre peut sembler provocateur. […] Pourtant un scientifique n'est pas quelqu'un qui professe la vérité. Il cherche un modèle qui fonctionne à un moment donné (de l'histoire). Un chercheur ne veut pas montrer qu'il a raison, il réfléchit en permanence sur le moyen de prouver qu'il a tort, écrivait l'astrophysicien Patrick Peter.

* Génération spontanée: en 1862 Louis Pasteur convainc ses pairs que la vie ne peut surgir ex nihilo, contrairement à ce qu'affirme Félix-Archimède Pouchet. Mais la démonstration de Pasteur est loin d'être irréprochable et ses motivations dépassent le seul cadre scientifique. En 1862 l'Académie des sciences décerne à Pasteur le prix Alhumbert pour ses travaux prouvant la non existence de la génération spontanée. Avec le recul, on se rend compte que les expériences de Pouchet, qui faisait bouillir ses infusions et observait malgré cela l'apparition de micro-organismes tenaient au fait que certaines bactéries survivent au chauffage à 100°, ce que l'on ne savait pas à l'époque. Pasteur refuse d'y prêter attention « par crainte de quelques raisons cachées. » Sans doute, mais que ne les a-t-il mises en évidence ? L'auteur de l'article, Nicolas Chevassus-au-Louis, historien des sciences, émet l'hypothèse que Pasteur était très proche de Napoléon III et que dans le contexte clérical du second empire être partisan de la génération spontanée, supposée appuyer le darwinisme, c'était saper les fondements du régime. (Je recopie, je n'ai pas bien compris.) Bref, avec le recul historique, Pasteur avait raison mais selon l'auteur, à l'époque les débats n'ont pas été conduits avec toute la sérénité nécessaire à la science.

* Autres exemples : controverses sur le fait que la Terre tourne autour du Soleil (Copernic, mais bon, je ne sais pas pourquoi le journal classe cela dans les controverses scientifiques, il s'agissait à mon avis d'un conflit entre une théorie scientifique et la conception chrétienne du monde), controverse sur les météorites (au siècle des lumières il était admis que les météorites retrouvées sur Terre provenaient d'un volcan ou d'un orage), controverse, au XIXè siècle, entre Kelvin et Darwin sur l'âge de la Terre, controverse entre Cuvier et Lamarck sur l'évolution des espèces...

La revue insiste sur la nécessité d'une conception précise de la controverse scientifique. Toujours, mais encore plus de nos jours avec le développement du complotisme, des personnes ayant fait des expériences et « prouvé » des théories hors du consensus scientifique en vigueur à un moment donné se présentent comme des victimes de la science officielle, qui bien sûr tient à son pouvoir. (Mémoire de l'eau, fusion froide...) On ne peut l'exclure, voir le texte ci-dessus sur Pasteur ou encore le barrage fait par la « science officielle » devant le dakin utilisé comme désinfectant dans la guerre de 14 18. Mais tout de même... pour qu'il y ait controverse scientifique, il faut qu'un dialogue scientifique soit possible, appuyé sur des faits et des expériences reproductibles. La science n'a pas une explication pour tout, mais elle ne peut avoir un échange avec des affirmations qui ne soient pas appuyées sur des faits et des expériences reproductibles.

Corrélation, causalité ?

Article paru dans Le Monde, 17 décembre 2011, oui, 2011. Je l'aais gardé depuis pour vous en parler.

La connaissance scientifique cherche toujours à établir les liens entre le s causes et les conséquences. La température de l'eau dans la casserole est 100°C et la pression atmosphérique de 1013 millibars (cause), l'eau bout (conséquence). L'eau pour préparer le café du petit-déjeuner l'hiver bout et, souvent, en même temps le soleil se lève : simple corrélation. Ce n'est pas l'ébullition de l'eau qui fait lever le soleil, ni le lever du soleil qui fait bouillir l'eau. Dès 2011 des scientifiques s'inquiétaient d'un usage non raisonné des bases de données massives (big data) que, à l'époque, on n'appelait apparemment pas encore comme cela. Le traitement massif permet de rapprocher un nombre de situations totalement hors de portée auparavant. Du coup, on découvre de très nombreuses corrélations passée jusque là inaperçues. C'est tout à fait important, mais le risque est que, par souci d'économiser une analyse approfondie on présente ces corrélations comme de nouvelles lois scientifiques. Pourtant, une fois des corrélations établies, le travail scientifique reste à faire. Supposons (je crois d'ailleurs que c'est le cas) que l'on constate que, en Alsace, davantage d'enfants naissent dans un périmètre précis autour des concentrations de nids de cigognes. Le simple rapprochement des données permet d'affirmer que ce sont bien les cigognes qui apportent les enfants. Mais peut-être une analyse sérieuse constatera-t-elle qu'il y a une forte concentration de nids de cigognes dans les grandes villes, là où il y a aussi plus d'enfants.

Dès 2011 les scientifiques signataires de l'article alertaient : « On ne cherche plus à faire des hypothèses pour traiter les observations faites, on cherche seulement des corrélations érigées en normes scientifiques. Les géants du Web comme Amazon ou Facebook sont à l'avant-garde du gouvernement algorithmique ». En 2011 ! Depuis ces craintes ont été largement confirmées. J'ai déjà dit souvent ici comment les logiciels de traduction ne se fondent plus du tout sur le vocabulaire et la grammaire, mais sur la recherche de corrélations dans des textes très nombreux. J'ai déjà aussi souvent dit ici que l'on risque fort de faire de l'opinion de la majorité une vérité prétendue scientifique. Fin de la raison, triomphe de l'opinion guidée par les Gafam. (Google Amazon Facebook Apple Microsoft.)

Transhumanisme

Toujours un article en attente. Qui peut m'aider ?

Un article, providentiel pour me venir en aide, paraît dans La vie des idées.

Mention relevée sur le site :

Pour citer cet article :

Stanislas Deprez, « Humain, transhumain », La Vie des idées , 25 janvier 2018. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Humain-transhumain.html

Cet article rend compte d'un ouvrage de Gilbert Hottois, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles. Le travail que je souhaite faire reste pourtant à faire : il me semble que les thèses développées ici sous estiment très largement le risque de domination et de pilotage de l'humanité par des sociétés privées (Gafam, Google Amazon Facebook Apple Microsoft) dont les valeurs seraient a-humanistes, définies en interne sans comptes éthiques à rendre à l'ensemble de l'humanité ; elles sous-estiment aussi le risque de création d'une humanité à plusieurs niveaux. Quoiqu'il en soit, ces préoccupations sur le transhumanisme doivent être prises au sérieux, même si elles ooccupent moins la grande presse que l'intelligence artificielle. Peut-on imaginer une seule seconde que les immenses pieuvres Gafam investissent des sommes considérables sans espoir de résultats ?

Le texte de l'article :

Qu’est-ce que le transhumanisme, et pourquoi l’homme ne serait-il pas un cyborg au naturel ? Loin des réflexes technophobes et des rêveries de l’intelligence artificielle, un nouvel ouvrage livre une analyse philosophique d’une idée à la mode.

Encore méconnu il y a quelques années, le transhumanisme est aujourd’hui à la mode. On ne compte plus les émissions de télévision ou de radio, les numéros spéciaux de revues ou les ouvrages sur le phénomène. Nul n’ignore plus que Google veut tuer la mort ni que l’intelligence artificielle forte - entendons : supérieure à la réflexion humaine - est censée être à nos portes. Surfant sur l’imaginaire de la science-fiction, certains transhumanistes rêvent d’émuler l’esprit humain sur un ordinateur, tandis que d’autres imaginent une hybridation de l’homme et de la machine. Quelques-uns prophétisent même le surgissement d’un posthumain, affranchi des contraintes de l’évolution biologique propres aux êtres vivants.(JM B : soyons clairs : les six lignes qui précèdent concernent bien les projets des transhumanistes, pas les fantasmes que notre imagination craintive projette sur eux.)

Ce bouillonnement d’idées et de fantasmes a suscité nombre de mises au point plus ou moins indignées ou ironiques. À titre d’exemple, on peut évoquer Le mythe de la singularité, de Jean-Gabriel Ganascia (Seuil, 2017), qui fait un sort à la crainte d’une intelligence artificielle échappant au contrôle de l’humain. Toutefois, jusqu’à présent, le transhumanisme a peu fait l’objet d’une analyse proprement philosophique. En outre, les auteurs qui s’y sont essayés ont en commun une approche très critique du phénomène, y voyant une résurgence du dualisme gnostique (Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains, Hachette, 2009) ou une numérisation de la vie (Éric Sadin, L’humanité augmentée, Éditions L’échappée, 2013).

Une perspective déflationniste

D’où l’originalité et le grand intérêt de Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, qui avait été précédé d’un opuscule intitulé Le transhumanisme est-il un humanisme ? (Académie royale de Belgique, 2014) et d’une Encyclopédie du trans/posthumanisme. L’humain et ses préfixes (codirigée par Gilbert Hottois, Jean-Noël Missa et Laurence Perbal, Vrin, 2015). Gilbert Hottois, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste reconnu de la philosophie de la technique, entend aborder le transhumanisme dans une perspective que l’on pourrait qualifier de déflationniste [1]. Comme le précise Jean-Yves Goffi dans son intéressante préface, cela nécessite d’étudier « ce mouvement pour lui-même et non comme le symptôme d’autre chose » (p. 8). Ainsi, G. Hottois entend introduire aux meilleurs théoriciens, en privilégiant les idées, qui « méritent d’être prises au sérieux par les philosophes » (p. 286), au lieu d’embrayer sur la « rhétorique technolâtre, prophétique ou commerciale » répandue dans les ouvrages transhumanistes, lesquels suscitent en retour « des procès faciles » (p. 18). C’est sans doute pourquoi il place Max More, père de l’extropianisme et directeur de l’entreprise de cryogénie Alcor, dans l’histoire du mouvement plutôt que comme l’une de ses figures actuelles.

Si, à aucun moment, G. Hottois ne se déclare transhumaniste, il est clair qu’il éprouve de la sympathie pour ce courant, dans lequel il voit une synthèse du rationalisme, de l’utilitarisme, du pragmatisme, du matérialisme et de l’évolutionnisme. Autrement dit, il ne s’agirait ni plus ni moins que d’une des formes de la philosophie de la technique en ce début de XXIe siècle. Sans surprise, G. Hottois défend l’idée que l’homme est un cyborg naturel, c’est-à-dire un être technique, le langage n’étant qu’une de ces techniques et non ce qui sortirait l’humanité de la condition animale. Thèse forte, dont l’auteur mesure toute la portée. Pour lui, la technique est au service de la liberté, qu’il faut entendre comme droit de se modifier soi-même - puisque notre espèce n’est pas figée dans une nature. La conséquence en est l’estompement de la frontière entre réparation et amélioration, cette dernière étant vue à la fois comme un droit individuel et un devoir collectif. L’éthique nous commande de lutter contre la souffrance et la mort, et la transformation physique et mentale de l’humain n’est que le moyen de parvenir à ce but. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les détracteurs du transhumanisme, le désir de parvenir à l’amortalité [2] n’est pas le fruit d’un égocentrisme exacerbé, mais la conséquence logique de notre désir naturel de nous conserver dans l’existence. Sur ce point, G. Hottois souligne que la numérisation de l’esprit humain sur un support électronique, souvent considérée comme farfelue, est une idée « centrale dans le posthumanisme » (p. 113).

Une philosophie expérimentale

L’auteur déclare à plusieurs reprises que les questions abordées par le transhumanisme devront être résolues expérimentalement, et non par le seul débat théorique. Autrement dit, le transhumanisme serait une pratique permettant de renouveler la démarche philosophique, alors que la philosophie « traditionnelle » resterait prisonnière d’une technique particulière qu’elle aurait hypertrophiée : le langage. L’hypothèse est intéressante, même si elle suscitera certainement la controverse. G. Hottois se montre ici parfaitement en phase avec les transhumanistes, qui placent la technique au cœur de la culture, bouleversant ainsi l’humanisme classique.

Cette insistance sur l’expérimentation conduit l’auteur à accorder une place importante au techno-art, qui utilise la technique pour transformer l’aspect du corps ou la perception, afin de donner à entrevoir ou à éprouver des modes d’exister inhabituels. Ainsi, lorsque l’artiste australien Stelarc se greffe une oreille sur l’avant-bras gauche, ou quand l’ingénieur britannique Kevin Warwick se fait implanter une puce électronique dans le bras lui permettant de commander à distance l’ouverture d’une porte, ils permettent d’entrevoir ce que seraient des transhumains.

Politique et transhumanisme

Le transhumanisme pose des questions d’ordre politique. En ce domaine, G. Hottois paraît adhérer au technoprogressisme, qui se veut une synthèse du libertarianisme et du conservatisme. Du premier, le transhumanisme progressiste reprend la revendication de la liberté individuelle la plus large possible. Du second, il entend les mises en garde contre le risque d’un creusement des inégalités (les plus riches bénéficiant d’améliorations techniques - par exemple une intelligence fortement accrue - qui leur assurent l’accroissement de leur capital économique et social).

L’auteur détaille aussi la manière dont des feuilles de route et rapports émanant d’agences gouvernementales états-uniennes et européennes ont modifié la perception des technosciences, de la bioéthique et de l’humain, depuis le début du XXIe siècle. Cette investigation des politiques publiques en lien avec le transhumanisme est suffisamment rare pour être remarquée.

Logique sociale et utopie

Philosophie et idéologies trans/posthumanistes suscitera sans aucun doute la discussion. Outre le rapport entre technique et langage, déjà mentionné, peut-être la vision irénique du transhumanisme sera-t-elle révoquée en doute. Certains lecteurs déploreront le fait que G. Hottois n’ait pas développé la filiation du transhumanisme avec la science-fiction, qui est pourtant une source majeure du mouvement. Mais il faut dire, pour défendre l’auteur, qu’il a déjà écrit sur ce thème (Philosophie et science-fiction, Vrin, 2000 ; Généalogies philosophique, politique et imaginaire de la technoscience, Vrin, 2014).

Quant à nous, nous voudrions souligner un oubli persistant dans le transhumanisme. S’il y a bien une préoccupation transhumaniste pour la politique, elle méconnaît gravement les logiques de compétition et de distinction entre individus. De sorte que la revendication d’une liberté de choix absolue de chacun, et notamment le droit de ne pas s’améliorer, paraît être un vœu pieux ou un leurre quand l’accès à l’emploi repose sur la concurrence. Cette liberté risque d’être purement formelle, masquant une obligation de s’augmenter toujours davantage, sous peine d’être déclassé. Certes, les transhumanistes soulignent le risque d’une société à deux niveaux. Mais l’unique réponse qu’ils donnent à ce problème est l’amélioration pour tous. Et cela, car ils sont convaincus - G. Hottois avec eux - que les risques écologiques, existentiels, technologiques et sociaux ne peuvent être maîtrisés que par davantage de technologie. Or ceci pose question.

Un autre point de discussion concerne le concept d’utopie. À plusieurs reprises, G. Hottois déclare que le transhumanisme n’est pas une utopie, et cela malgré une « rhétorique utopiste » aux « accents prophétiques et millénaristes » (p. 103). L’auteur refuse les lectures eschatologiques du phénomène, avec un argument : l’amélioration souhaitée n’est pas définie par avance et n’a pas de terme. Il n’y a pas de fin des temps ou de fin de l’Histoire aboutissant au paradis ou au premier matin du monde nouveau. On comprend que l’auteur ait le souci de distinguer son transhumanisme, défini comme un rationalisme expérimental, des religions décrites comme illusoires. Mais cette présentation correspond-elle à la réalité ? Quand Ray Kurzweil (directeur de l’ingénierie chez Google et co-fondateur de la Singularity University) prédit pour 2045 l’humain 2.0, immortel et dont les organes seront remplacés par des nano-robots, ou quand Nick Bostrom soutient que le risque de destruction de l’humanité par une superintelligence artificielle est réel dans un futur relativement proche, en quoi cela se distingue-t-il des visions d’un utopiste ou des prophéties d’un religieux ? Le transhumanisme affirme un progrès indéfini et cherche à modifier le présent à partir de cette vision du futur. À ce titre, ils paraît bien être une utopie, loin de la simple philosophie pragmatiste que décrit G. Hottois.

Ces interrogations ne disqualifient aucunement un livre qui est un modèle de précision et de clarté, parfaitement informé et d’une lecture agréable. [...] En fin de compte, et quoi qu’on puisse ne pas partager toutes les interprétations de l’auteur, Philosophie et idéologies trans/posthumanistes est désormais le livre de référence sur le sujet. (JM B : dit le rédacteur de l'article.)

Fin de la lettre du 2 février 2018