[alerte] - JM Bérard - 22 novembre 2016

[alerte]

Billet du 22 novembre 2016

 

 

 

Oui, un grand moment de silence dans la parution de [alerte]. Entre autres évènements, j’ai été sidéré par l’élection de Donald Trump, qui marque pour moi un coup sévère donné au rationnel, à la raison. Quelle place, tout modestement, pour [alerte] ? Que dire, comment le dire ?

 

Pendant quelque temps, je vais me limiter à vous envoyer de temps en temps un petit billet sur tel ou tel point qui me semblera devoir être dit. Certes, du coup, je ne parlerai pas de points encore plus importants.

 

Pour aujourd’hui, un texte de Jean-Paul Delahaye paru dans la revue en ligne “Le café pédagogique” le 22 novembre 2016.

 

http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2016/11/22112016Article636153958889821638.aspx

 

Ce « chapeau » a été corrigé par le Robert orthographe recommandée 1990. Dans le texte cité ci-dessous l'orthographe originale est respectée.

Jean-Paul Delahaye : Pour un « PISA CHOC » enfin ! 


 

Pourquoi , à la différence de l'Allemagne ou de la Pologne, les mauvais résultats de Pisa se succèdent-ils en France sans soulever le "Pisa choc" qui permettrait le redressement ? Pour Jean-Paul Delahaye, ancien conseiller de V Peillon et ancien directeur de l'enseignement scolaire, c'est qu'un Pisa Choc irait contre trop d'intérêts. "La refondation de l’école n’est pas d’abord un sujet technique. C’est d’abord un sujet politique si l’on veut parvenir à dépasser les intérêts particuliers et faire adhérer la population à une politique d’intérêt général. Il y a aujourd’hui une lutte des classes au sein du système éducatif", nous dit l'ancien patron de la Dgesco...

 

Le temps long de Pisa

 

A quelques semaines de la publication des résultats de l’évaluation PISA 2015, il est bon de rappeler que grâce à cette évaluation internationale, le  diagnostic sur l’état de notre école est aujourd’hui plus sûr. Et ce que nous dit PISA, depuis plusieurs années, c’est que nous sommes le pays du grand écart : environ 50 % de nos jeunes de 15 ans comptent parmi les meilleurs élèves du monde, tandis que 25 à 30 % de ces jeunes, massivement issus des milieux populaires, sont en très grande difficulté. Quand on observe que 90 % des enfants de cadres et d’enseignants ont le baccalauréat sans problème 7 ans après leur entrée en sixième et que ce n’est le cas que pour 40 % des enfants d’ouvriers, on voit bien qu’il n’y a guère plus de progrès à espérer pour certains mais que les marges de progression pour les autres sont énormes. On savait donc en 2012 pourquoi refonder et pour qui refonder en priorité. Le diagnostic posé par PISA est bien la base de la refondation initiée par la loi du 8 juillet 2013.

 

Depuis 2012, l'école est redevenue une priorité. Les moyens ont été augmentés là où c'était nécessaire.  La mise en œuvre des différentes mesures sur l’ensemble du territoire national et dans toutes ses dimensions est engagée, de la priorité au primaire au rétablissement de la formation des personnels jusqu’à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales, en passant bien sûr par les nouvelles orientations pédagogiques et éducatives grâce à une réorganisation des cycles d’enseignement et au travail effectué par le CSP sur le socle commun et les programmes totalement refondus de l’école maternelle au collège. La refondation qui est dans sa quatrième année commence à porter des fruits parce que ces changements s’inscrivent dans une cohérence d’ensemble et sont portés par le premier effort budgétaire de la Nation. Mais le temps de l’éducation est un temps long. Les élèves qui sont entrés au cours préparatoire en 2012, début de la refondation, seront évalués par PISA en 2021 et plus tard encore s’agissant de ceux qui bénéficient des nouveaux programmes à la rentrée 2016.

 

Avant 2012 un Pisa choc à l'envers...

 

D’autres pays concernés par les inégalités de réussite ont réagi plus tôt que nous, ont connu leur « PISA Choc », et ont vu leur situation s’améliorer de 2003 à 2012, l’Allemagne notamment. La France a longtemps tergiversé et a perdu beaucoup de temps, préférant dénigrer le thermomètre, et a même pris de 2002 à 2012  l’exact  contrepied de ce qu’il aurait fallu faire en supprimant 80 000 postes et une matinée de classe pour les enfants de l’école primaire (une mesure d’adulte pour les adultes et contre les enfants qu’aucun pays au monde n’a songé à imiter), en divisant par trois la scolarisation des enfants de moins de trois ans, en réduisant de façon scandaleuse les crédits sociaux destinés aux élèves pauvres, et en supprimant carrément toute formation professionnelle de ses enseignants, pour ne prendre que quelques exemples de politiques ayant aggravé notre situation. Une sorte de « PISA choc à l’envers » en quelque sorte. Dans ces conditions, il ne faut pas davantage s’étonner que les élèves entrés au cours préparatoire en 2004 et qui ont été évalués en 2012 par PISA aient obtenus des résultats si médiocres et que les inégalités se soient à ce point aggravés. Et ceux qui sont entrés au CP au début du quinquennat précédent, en 2007, ont été évalués en 2015. Nous en attendons les résultats…

 

On sait ce qu'il faut faire

 

Avec la refondation enclenchée en 2012, nous avons en mains tous les éléments d’un « PISA choc » dont la France, contrairement à d’autres pays, a trop longtemps différé la mise en œuvre. A condition qu’on ne se méprenne pas sur notre problème qui vient de très loin et qui ne sera pas résolu si l’on se contente d’injecter des moyens supplémentaires en ne changeant rien, c’est-à-dire en évitant de poser la question de la structure même de notre système éducatif.

 

En fait, on sait ce qu’il faut faire pour que notre école devienne l’école de la réussite de tous. On le sait car d’autres pays y sont parvenus et, chez nous, des écoles, des collèges et des lycées sont déjà mobilisés et ont trouvé des modes d’organisation pédagogiques plus efficaces que d’autres car toutes les approches ne se valent pas si l’on veut démocratiser la réussite scolaire. Notre école est pleine de ressources, la question est de savoir comment généraliser ce qui marche, comment lever les blocages, comment mieux soutenir les équipes qui innovent et comment ensuite passer de « l’innovation à la transformation ». On sait aussi ce qu’il faut faire grâce à la recherche en éducation, insuffisamment utilisée dans notre pays, or cette recherche produit des résultats qui devraient désormais guider notre action collective.

 

Alors pourquoi tant de difficultés et de résistances à une politique d’intérêt général favorisant la réussite de tous ?

 

La lutte des classes dans l'Ecole

 

En réalité, si les politiques conduites de 2002 à 2012 ont eu un effet négatif, la situation scolaire de la France n’est pas que le fruit de ces années difficiles pour l’école, elle est structurelle et vient de très loin. Cette situation est en effet inhérente à un système qui n’a pas dès l’origine été organisé pour faire réussir tous les élèves, mais qui est tout entier et historiquement concentré, y compris dans certains de ses choix  budgétaires, sur l’objectif de tri et de sélection des meilleurs.

 

De plus, en temps de crise, la solidarité n’est pas une priorité pour tous. Et ceux qui s’opposent à la transformation d’un système qui fait si bien, mais à quel prix !, réussir leurs propres enfants se situent sur l’ensemble de l’échiquier politique, savent se faire entendre, défendent les positions acquises, et ont un pouvoir de retardement des réformes, voire de blocage. Une partie de notre problème réside dans le fait que les dysfonctionnements de notre école qui ne parvient pas à réduire les inégalités ne nuisent pas à tout le monde. Globalement, ils ne nuisent pas aux enfants des milieux favorisés, aux enfants d’enseignants, de journalistes, de cadres supérieurs et des élites dirigeantes. Et les bénéficiaires potentiels de la refondation, par exemple les 8,5 millions de pauvres et leurs enfants, sont, eux, coupés du monde politique et d’une école qui ne sait pas les associer aux choix pédagogiques ; ils n’accèdent pas aux médias et donc ne se font pas entendre. Les milieux populaires ne peuvent donc peser sur les politiques scolaires.

 

En réalité, il y a aujourd’hui une lutte des classes au sein du système éducatif.

 

Lutte des classes oui, car comment expliquer autrement le fait que, dans ce pays, on ait pu impunément et sans aucune réaction de solidarité, diviser par deux les fonds sociaux destinés aux élèves pauvres qui sont passés de 73 millions d’euros en 2002 à 32 millions  à 2012 (pas de grève, pas de manifestation, pas la moindre pétition) et qu’on ait pu, sur la même période et sans gêne d’aucune sorte, augmenter sans retenue aucune et à hauteur de 70 millions d’euros les crédits destinés aux heures de colle en CPGE ? Tout cela s’est fait dans un grand silence complice. Qui sont vraiment les assistés dans ce pays  et quand cessera cette solidarité à l’envers où les économies faites sur les pauvres servent à préserver les positions acquises par les élites ?

 

Comment expliquer autrement que cette formidable avancée démocratique que représente une deuxième langue vivante offerte à tous les enfants en 5e et plus seulement à quelques-uns en 6e soit autant combattue par certains ? Qui cela peut-il gêner ? A priori les deux langues vivantes pour tous ne peuvent gêner personne, sauf peut-être ceux qui utilisaient les langues vivantes pour séparer leurs enfants des enfants des autres dès la classe de 6e, mais qui ne peuvent évidemment avancer cet argument à visage découvert et qui préfèrent parler d’égalitarisme, de nivellement par le bas, le « bas », c’est-à-dire le peuple, appréciera… Proclamer le « vivre ensemble «  mais refuser de « scolariser ensemble », c’est dénoncer les inégalités en théorie mais ne rien faire pour les combattre.

 

Les résistances à la refondation du système pour la réussite de tous sont d’autant plus importantes que les enjeux ne sont pas suffisamment expliqués et portés politiquement. Le ministère de l’éducation nationale est trop souvent seul sur un sujet qui devrait concerner toute la classe politique et au-delà toute la nation. Parce que la refondation de l’école n’est pas d’abord un sujet technique. C’est d’abord un sujet politique si l’on veut parvenir à dépasser les intérêts particuliers et faire adhérer la population à une politique d’intérêt général.

 

Jean-Paul Delahaye

Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire, ancien conseiller spécial de Vincent Peillon, ancien directeur général de l’enseignement scolaire

Auteur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous » (mai 2015).