[alerte} - JM Bérard - 13 février 2014

Sommaire

Pour votre plaisir

L'information en continu : ne rien dire, mais longuement, sur un accident de train

Ce que parler veut dire : dialogue entre camarades socialistes

On a les étrangers qu'on peut

Histoire de France : 6 février 34

Au fil des jours

Histoire de France : hommes et femmes, chacun à sa place


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Pour votre plaisir

Le site « ces chansons qui font l'histoire » : on se délecte à chaque consultation.

Sur http://eduscol.education.fr/chansonsquifontlhistoire/Annees-1940#nav vous trouverez « colchiques dans les prés », « le chant des partisans » et « la bella ciao », datant de 1943, mon année de naissance. (Oui oui, c'est mon anniversaire en ce moment.)

Je vous rappelle le principe : on entend la chanson en entier, mais on entend surtout un excellent commentaire historique. Un régal.

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L'information en continu : ne rien dire, mais longuement, sur un accident de train

Le 8 février 2014 un train déraille dans les Alpes-de-Haute-Provence à la suite de la chute d'un rocher sur la voie.

Cinq minutes après le déraillement la France entière est informée de l'accident : il y a deux morts. A-t-on pu en cinq minutes identifier les victimes et prévenir les familles ? Est-il vraiment indispensable, sur un événement terminé et sur lequel on ne peut plus rien, que la France entière soit prévenue avant les familles ? Il n'y a pas eu d'explosion entraînant des émanations de gaz toxiques ou de produits radio-actifs, qui aurait nécessité des mesures immédiates. Pourquoi cette urgence ?

Et puis bien sûr, pendant des heures, émission spéciale sur BFM et i-télé. Est-ce un fait qui a une porté générale, qui pose un problème social, politique, qui va susciter la réflexion ? Entretien des voies, entretien de la montagne, investissements de sécurité insuffisants car il s'agissait d'une compagnie privée ? Pour l'instant, on n'a aucun élément qui permette une réflexion. C'est un accident. Mais on mouline, on montre comment la préfète (madame la préfète), le sous-préfet (monsieur le sous-préfet), le délégué à la sécurité (j'ai bien sûr travaillé sous les ordres de monsieur le sous-préfet), les agents de la SNCF, les pompiers, les gendarmes ont bien fait leur travail. Images en boucle. Conférence de presse. On mouline.

On mouline. Entretien avec un passager : « Qu'avez-vous ressenti au moment de l'accident ? - un énorme choc. » Stupéfiant : un rocher tombe sur le train et il ressent un choc. « - Qu'avez-vous ressenti au moment de l'accident ? - J'ai entendu très nettement la cinquième de Beethoven et j'ai senti une forte odeur de lavande.» Entretien avec le sous-préfet : « Le journaliste : - le sous-préfet lance une mise en garde. Le sous-préfet : - je lance une mise en garde. » Ou encore « Le train a été heurté par un rocher tombé au moment où il passait sur la voie. » Un scoop. Imaginons « Le train a été heurté par un rocher tombé dix minutes après le passage du train ! » L'une des victimes était russe. Le consul du Russie, dérangé pour l'occasion : « L'une des victimes était russe. »

Peut-être que avec le recul e les progrès de l'enquête on se rendra compte que l'événement a une portée générale, mais pour l'instant, rien. On mouline à vide.

Bilan, tout le monde a été formidable.

On est contents, le ministre de l'intérieur Manuel Valls intervient à la télé. Pour dire quoi ? Il y a eu un accident de train. Heureusement que, dans les pires circonstances, nous avons Manuel Valls. Je suis un peu bête : il ne peut à ce stade de l'accident que lire les papiers factuels qu'on lui a donnés (nombre de victimes, etc.), sans aucune valeur ajoutée en tant que ministre.Pourquoi est-il utile qu'il intervienne ? C'est le syndrome de la canicule.

Le ministre des transports va rendre visite aux blessés à l'hôpital. Cela va coûter une voyage pour le ministre et des membres de son équipe, mobiliser le préfet, les gendarmes pour la sécurité du ministre, le directeur et le personnel de l'hôpital, la télé. Nul doute que du coup tout le monde aura davantage de temps pour soigner les victimes ! ! Conception complètement monarchiste du pouvoir, on est content le roi s'intéresse au petit peuple. Va-t-il toucher les écrouelles ? S'il vous plaît, monsieur le Ministre, n'y allez pas. (Dernière minute : il y est allé.)

C'est l'occasion de revoir le film « l'exercice de l’État » où, dans la première séquence, le ministre des transports se rend sur les lieux d'un accident et prépare un discours avec les membres de son cabinet. (Pierre Schoeller, 2011, disponible sur Dvd.)

Vous avez remarqué : j'ai réussi à faire deux pages pour critiquer le fait que BFM en fait des tonnes !

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Ce que parler veut dire : dialogue entre camarades socialistes

L'aile gauche du parti socialiste n'est pas contente du pacte de solidarité proposé par le président au patronat. En privé un ministre « proche du chef de l’état » déclare (Le Monde, 9 2 2014) : « il ne faut pas que le soufflet retombe. Il y aura toujours des mécontents qui parleront comme Mélenchon, mais l'aile gauche du parti on s'en fout, elle n'a pas de rôle à jouer là-dedans. » Il faut une confiance absolue dans le journaliste : c'est un propos « off », rien ne prouve qu'il a été tenu, sauf la parole du journaliste, mais c'est un scoop. Si le propos est exact, admirons la qualité et la subtilité du débat politique entre camarades socialistes.

Ce qui m'interroge beaucoup est ce soufflet. Usuellement, c'est le soufflé qui retombe. Un soufflet ? Va-t-il y avoir un duel ? Bon d'accord, c'est sans doute une erreur du journaliste. Mais qui sait ? Peut-être que dans l'entretien off le ministre a précisé « je veux bien dire « soufflet », et pas soufflé. »

L'article du journal analyse avec subtilité les conséquences de cette divergence de fond sur la politique économique : les protestataires socialistes envisagent d'écrire une lettre au premier ministre. Ouh là... Il va avoir peur. D'autant plus que c'est une décision de Hollande et pas de lui. Cela va-t-il entraîner une recomposition, Aubry se rapprochant de Lienemann ? Harlem Désir sera-t-il marginalisé ? Rebsamen va-t-il damer le pion à Collomb ? Bartolone cumulera-t-il les fonctions de premier ministre et de maire du Grand Paris ? Cela va-t-il favoriser un rapprochement avec les centristes ?

La politique est un métier. Vu sous cet aspect, je me demande si c'est un métier bien intéressant ? Si l'on supprime les cotisations familiales que paient les entreprises, qui va payer les prestations aux familles ? On s'en fout, comme dirait la voix off. Ce qui importe ce sont les recompositions au sein du parti. Quel soufflet ! Heureusement ce sont des spéculations de journaliste. Aucun rapport évidemment avec les débats de haut niveau au sein d'un grand parti de gouvernement ;-) J'insiste : j'ai le plus grand respect pour la politique et le débat politique, mais je doute de l'intérêt du métier ainsi pratiqué.

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On a les étrangers qu'on peut

Ce 9 février 2014 un référendum a lieu en Suisse : il faut décider si l'on doit limiter le nombre de ressortissants de l'Union Européenne qui ont le droit de travailler en Suisse. (La Suisse n'appartient pas à l'UE.) Dans les régions proches de la Haute-Savoie, ce référendum vise particulièrement les travailleurs français (les frontaliers) qui viennent chaque jour travailler en Suisse.

Il est 18 heures, je ne sais quelle décision va l'emporter. L'opinion suisse est partagée. J'ai vu à la télé un entretien avec le patron d'une chaîne de restaurants : « Si on limite le nombre de frontaliers français qui viennent travailler, j'aurai du mal à trouver des serveurs. »

En France, on ne trouve pas d'éboueurs français. Si on limite le nombre d'Africains qui peuvent venir travailler chez nous, on n'aura plus d'éboueurs... Non, ça n'est pas une citation. J'ai inventé cette phrase invraisemblable.

En fait, les travailleurs étrangers sont utiles, mais chez les voisins. En parodiant Pierre Desproges : les gens qui habitent les autres pays sont idiots, ils croient que les étrangers c'est nous, alors que les étrangers c'est eux.

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Histoire de France : 6 février 34

Un article de Rue 89

http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/06/dites-nauriez-besoin-dune-petite-revision-6-fevrier-1934-249703

Je ne suis pas historien, j'ai comme vous une culture générale qui me permet de situer les événements et leur sens, mais ne saurais vous détailler les choses avec précision et avec le recul critique de l'historien.

J'ai souvent parlé du 6 février 34, ce jour où les manifestants qui occupaient les rues ont peut-être été proches de faire tomber la République en marchant sur l'assemblée nationale.

Sommes-nous dans une situation analogue ? Rien absolument rien ne permet de valider des comparaisons faites sur une simple analogie me dit-on, parfois avec une ironie mordante et blessante. Et pourtant... L'histoire n'est-elle pas utile pour mieux comprendre le présent ? Je vous dirige donc vers cet article de l'historien Olivier Dard, utile mise à jour de nos représentations des faits, des miennes en tout cas.

« L’historien Olivier Dard est l’un des principaux spécialistes des droites, professeur à l’université Paris-IV Sorbonne et auteur d’un récent « Charles Maurras » (Armand Colin, 2013). »

Je vous laisse le plaisir de lire cet article, suivre le lien ci-dessus.

Vous remarquerez j'espère l'un des titres de l'Humanité le 7 février 34 : les chauffeurs de taxis plus unis que jamais. L'histoire bégaie?

Bien sûr, si j'en parle, c'est pour trouver une caution à mes petites hypothèses. Voici donc la conclusion de Olivier Dard :

«  Pensez-vous que la France soit aujourd’hui dans une situation analogue à celle du 6 février 1934 ?

Le parallèle est dressé fréquemment par la presse ou certains dirigeants politiques, comme encore le week-end dernier. Je ne commenterai pas les arrière-plans partisans de telles déclarations et me tiendrai au strict plan historique.

À l’évidence, il est très difficile de comparer le pays à 80 ans d’intervalle tant la situation a changé au plan géopolitique (la « puissance impériale » n’est plus, la menace de guerre franco-allemande et européenne est absente…), institutionnel (la 5e République n’est pas la IIIe), démographique, économique et social etc.

Ce que l’on observe cependant à travers ces références répétées, c’est l’image négative des années 30, associée à l’idée de déclin voire de décadence, de dérèglements. Elle s’est constituée très vite chez les contemporains et on peut constater que les travaux, plus mesurés, des historiens sur le sujet, n’ont guère changé une perception amplifiée par le syndrome de Munich, qui gagnerait à être étudié.

Je ne veux pas cependant me dérober à votre question et on peut sans doute voir au moins deux points communs :

le premier est un pessimisme profond, associé à l’idée de déclin voire de décadence, et qui résonne comme en écho entre les années 30 et aujourd’hui. Il y a bien une crise d’identité, même si elle est formulée différemment ;

j’y ajouterai, en m’excusant de me citer, la question du « choix impossible », sous-titre que j’ai donné il y a quinze ans à l’ouvrage que vous mentionnez. J’entendais signifier par là que les décideurs avaient une meilleure connaissance des enjeux et des mesures à prendre pour redresser le pays que la mémoire, très négative sur cette période, en avait retenu. Pourtant, un mélange de fatalisme et d’impuissance – qui n’excluait pas chez certains les rodomontades – régnait sur le pays et se traduisait par une crise de la décision. Je vous avoue qu’en observant l’actualité, je ne suis pas sans y penser.

Préoccupant, non ?

Je ne parle pas du sondage « Le Monde » paru ce 12 2 2014 qui montrerait que de plus en plus de personnes approuvent les idées du Front National. Je ne comprends pas vraiment la présentation qui en est faite. Les sondés approuvent les idées du FN mais désapprouvent massivement la préférence nationale et la sortie de l'euro. En tout cas, comme en Suisse pour le référendum sur les étrangers, c'est dans les zones rurales que le FN est le plus approuvé, et pas dans les zones urbaines, ou pourtant le chômage et l'immigration sont plus « visibles » qu'à la campagne.

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Au fil des jours

* Au cours du voyage du président de la république aux USA, le vice-président de Apple France aux créateurs d'idées : « Même si vous avez de très bonnes idées, ce qui m'intéresse c'est de faire du fric. C'est à cette condition que j'examinerai vos idées. » Cela a l'air d'une remarque de bons sens : les capitaux ne s'investissent pas sur une conception du monde ou par philanthropie, mais sur la perspective de profit. Mais quel aveu... Que devient dans cette conception la recherche d'avenir, par exemple la recherche scientifique, qui n'a pas de perspective immédiate d'applications rentables ? C'est une vue à bien court terme. Des sous tout de suite, l'avenir ne m'intéresse pas.

* Dans le même ordre d'idées : sur la 5, le 11 février 2014, une émission de télévision intitulée « L'argent de la neige », que vous pouvez regarder sur les sites en différé. L'homme d'affaire autrichien leader du développement des stations : « Les critiques disant que nous ne prévoyons pas le réchauffement climatique et la baisse de l'enneigement sont sans objet. Cela n'a aucune importance. En ce moment j'ai 1000 canons à neige, je peux en mettre 2000, 5000, je n'ai pas besoin des chutes de neige naturelles. » (Si si , je vous assure, il dit ça.) Même raisonnement chez ce grand promoteur qui construit un immense complexe en Afrique du Sud, dans un endroit où il ne neige jamais : « au départ, mon idée a surpris, mais ça marche »... Le but des financiers est clair (?): « il s'agit de créer une expérience client globale autour de notre produit montagne.» Ah ben comme ça, ça va, je comprends. Des sous tout de suite, l'avenir ne m'intéresse pas.

* Les apiculteurs français jettent un cri d'alarme sur une nouvelle baisse massive du nombre des abeilles. On sait que les abeilles sont indispensables à la vie, car elles permettent la pollinisation des plantes. En cause, peut-être, un nouvel insecticide, pourtant vendu avec le label « abeilles ». On va chercher, on ne peut pas interdire comme ça un insecticide. Des sous tout de suite...

* Aux jeux olympiques de Sotchi, le compteur de médailles françaises est toujours bloqué à trois. J'avoue que je suis stupéfait. Envoyer une délégation à Sotchi coûte cher, comment se fait-il que l'on n'ait pas eu les moyens d'acheter un compteur de médailles en bon état, qui ne se bloque pas à tout propos ?

* Médecines « alternatives » criminelles, entendu sur Radio Courtoisie le 13 2 2014 : « J'avais une amie qui avait un cancer du sein et à qui on avait conseillé de manger trois vers à soie chaque jour. Je l'ai accompagnée en mangeant aussi trois vers à soie chaque jour. Je serais prêt à manger n'importe quoi plutôt que de m'empoisonner avec de la chimiothérapie. » Notons tout de même que le risque pour ce monsieur était faible, il n'avait pas de cancer du sein, il accompagnait son amie. Quel héroïsme... Que le drame de la maladie conduise à accepter des conseils variés et bizarres, peut-être. Que cela incite à arrêter les soins du type chimiothérapie radiothérapie, cela me semble criminel. Je ne pense pas que les vers à soie soient dangereux en plus de la chimio. A la place, c'est criminel. Même remarque pour les vaccins.

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Histoire de France : hommes et femmes, chacun à sa place

Un « grand mouvement d'opinion » pose des problèmes de fond sur notre société en reprochant au pouvoir en place de vouloir détruire la famille et l'identité des hommes et des femmes. Tout étonné, le gouvernement retire son projet de loi sur la famille, on ne peut violer les consciences...

Il a reculé aussi sur l'écotaxe, qui pourtant ne posait pas beaucoup de problèmes de conscience, juste la question de la légitimité de l'impôt dans une société structurée, mais bon je m'égare.

Constatons toutefois que cette campagne « d'opinion » n'est pas neuve. L'un de vous m'envoie deux documents vraiment étonnants, datant des années 30.

Je les dépose dans mon nuage. Cliquez sur documents [alerte] puis simple clic sur culturephysiquehommefemme ou simple clic sur coéducation. Bon, le logiciel refuse d'afficher culture physique. Dommage c'était le plus intéressant. A titre tout à fait exceptionnel, je le place en pièce jointe du présent message. Hélas les lecteurs du site ne pourront pas le lire. (J'évite d'habitude de joindre des pièces, pour ne pas alourdir l'envoi.)

Ne boudez pas votre plaisir. Un petit clic, et deuxdocuments vraiment étonnants, non seulement par ce qui s'y dit, mais par la proximité avec ce qui se dit dans le « grand mouvement d'opinion » actuel. Un régal. Ce qui étonne est que des « mouvements d'opinion » si anciens surprennent un gouvernement expérimenté et un ministre philosophe.

Citation, 1935, pour combattre les écoles « géminées », lieu d'une abominable promiscuité : « n'y a-t-il pas là un plan abominable de déchristianisation par la corruption de l'âme et du corps de la jeunesse ? » Satan, on t'a reconnu, sors du corps de Peillon.

Citation, Culture physique homme femme (L'auteur est le docteur Thooris, animateur des Temps nouveaux, mais je n'ai pas trouvé la date. Environs 1930 ? ) : « Suicide de race : Le génie de l'espèce se sert des mâles et des femelles. Plus les mâles sont mâles et plus les femelles sont femelles mieux l'espèce est servie. en confondant éducation et instruction notre université a commis l'erreur de croire que des individus instruits étaient ipso facto des individus bien élevés. Illusion mortelle. La faute la plus grave est d'avoir donné aux deux sexes la même instruction tandis qu'il fallait avant tout leur donner une éducation dans le sens de la divergence des sexes. La nature tend à la bipolarité, l'université rapproche les pôles. La vie veut avant tout des mâles et des femelles, des héros et des mères, elle ne peut avoir tort. Elle est plus forte que l'esprit.»

On doit féliciter les animateurs de la manif pour tous de leur constance. Rien de nouveau. Ils n'ont même pas d'imagination et reproduisent des slogans des années 30, sans avoir enrichi leur réflexion par une analyse de la société actuelle. Ils ont raison, si on se met à réfléchir toutes les certitudes s'effondrent.

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Histoire de France : CNR, les jours heureux

Là encore, je ne suis pas historien, j'ai comme vous une culture générale qui me permet de situer les événements et leur sens, mais ne saurais vous détailler les choses avec précision.

« Les jours heureux par le CNR» est le titre volontairement dynamique du programme que le Conseil National de la Résistance à adopté à l'unanimité le 15 mars 1944, alors que la France n'était pas encore libérée des nazis. Ce programme comportait deux parties : un programme d'action immédiate, décrivant la façon dont la lutte devait être menée par les différents mouvements de résistance pour libérer la France, et un programme de gouvernement à mettre en œuvre après la libération.

Un film intitulé « Les jours heureux » tourne actuellement dans le circuit militant, je vous ai signalé une projection à Bagnolet dans la dernière lettre [alerte] ; à ne pas manquer.

Et pourtant, d'où viennent mes doutes non pas sur le contenu du film, mais à propos du débat qui a suivi lorsque j'ai assisté à la projection ?

Le programme du CNR jette les bases de toute notre société de solidarité : démocratie, sécurité sociale, définition du service public, retraites, liberté de la presse, nationalisation des banques et de la production d'énergie, droit du travail.... Il a été effectivement appliqué à la libération, et est depuis quelques années systématiquement détruit par petits bouts.

Dès 2007, Denis Kessler, du CNPF, déclarait « il s'agit de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la résistance ».

Peut-être n'avez-vous jamais lu ces propos édifiants de Kessler ?

http://blogs.mediapart.fr/blog/republicain/191211/denis-kessler-il-sagit-de-defaire-methodiquement-le-programme-du-cnr

Ce qui me pose problème dans les débats auxquels j'ai participé suite à la projection du film et dans les débats actuels sur la social-démocratie est le point suivant :

Le programme du CNR a été adopté à l'unanimité, alors que tous le partis politiques qui n'avaient pas soutenu le nazisme étaient membres du CNR, de la gauche à la droite. Il me semble que risque de se développer une illusion, en 2014 : la droite et la gauche, c'est du passé, imitons le CNR et mettons-nous tous d'accord sur un programme de sauvegarde de notre société.

Il me semble que c'est une totale illusion. Les rapports de force ne sont plus du tout les mêmes. Le monde sortait de la guerre contre le nazisme, ce qui avait donné du poids aux forces démocratiques. Le patronat avait besoin de relancer l'économie détruite par la guerre. Et l'existence de l'Union Soviétique, même profondément anti-démocratique, équilibrait les rapports de force.

De nos jours, le libéralisme à tout crin triomphe, sans contrepoids fort. L'offensive idéologique est intense contre les piliers du programme du CNR, considérés désormais comme des freins à l'entreprise et au développement économique : le droit du travail est un carcan qui empêche d'embaucher, la solidarité est une charge (ah, les charges, qu'il faut supprimer...), la sécurité sociale croule sous les abus (alors que toutes les études montrent que les « abus » sont d'un faible poids dans les problèmes de la sécu...), et tout à l'avenant. Sur quel rapport de forces pourrait-on s'appuyer, en 2014, pour élaborer un vaste programme de compromis économique et social progressiste comme en 1944 ?

Il me semble que dire en 2014 «en 1944 le CNR a réussi à faire un compromis, de la droite à la gauche, abandonnons donc les luttes stériles et retroussons nos manches pour élaborer un compromis analogue » relève d'une pure illusion : compromis suppose l'existence de composantes divergentes, avec des rapports de force qui aboutissent à un compromis. Je ne vois pas en 2014, avec des institutions financières internationales si puissantes, avec la faiblesse des luttes syndicales, avec une crise économique qui tire vers le bas toutes les revendications sociales, quelles seraient les bases d'un compromis d'aussi vaste ampleur que celui du programme du CNR. Ni ce qui conduirait les forces réactionnaires à l'accepter gentiment.

Pour tout dire, je ne vois pas non plus quelles sont les bases du compromis que le gouvernement Hollande propose au patronat avec le pacte de solidarité. Normalement, dans un compromis, tout le monde gagne un peu et tout le monde perd un peu. Pour négocier, il faut un peu de puissance sous le pied. Est-ce le cas du gouvernement Hollande face au patronat ? Est-ce une bonne façon de négocier que d'annoncer à l'avance ses concessions (baisse des charges) sans contrepartie ? Dans le contexte actuel, je ne vois pas quelle place pour un compromis équilibré, si l'on n'établit pas des rapports de force.

Je ne crois pas à une « bonne volonté » des partenaires politiques qui, réunis autour d'un éventuel Jean Moulin, d'un éventuel De Gaulle, se diraient «Tiens, au fond, c'est vrai, notre société n'est pas juste, nous allons tous ensemble changer cela, embrassons-nous. » Je pense qu'il existe en 2014 des forces progressistes et des forces réactionnaires, et qu'utiliser l'exemple du CNR pour le gommer est une illusion.

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Fin de la lettre du 2014 2 13 / 13 février 2014